Quatre jours entre Dieu et soi

10906196_823189874408511_1822340522752143365_nCONNAISSANCE DE SOI ET VIE SPIRITUELLE

du 11 au 14 mai 2015
au Monastère de Bose en Italie

A la demande du mensuel Panorama, je vais animer pour la deuxième année consécutive une session d’initiation à l’ennéagramme dans un lieu superbe : Bose, près de Turin, où Enzo Bianchi a créé en 1965 une communauté monastique qui est devenue une des plus  importantes d’Europe.

Le très beau succès de celle de l’année dernière est plein de promesses pour cette nouvelle formation qui durera 4 jours au lieu des 2 jours habituels pour une session de découverte classique. Les temps de silence, de prière communautaire et d’accompagnement spirituel par les moines viendront s’insérer dans la trame de la formation.

C’est pour moi une grande joie de pouvoir proposer l’outil de connaissance de soi qu’est l’ennéagramme dans un écrin spirituel. Les plans naturel et surnaturel y seront bien distincts mais des passerelles pourront se faire dans le cœur de chacun, parce que l’homme est un.

La découverte de notre base de l’ennéagramme permet en effet, par la prise de conscience de nos motivations profondes, de faire la lumière sur certains nœuds de notre vie. Elle peut également servir de révélateur des talents et nous aider au discernement spirituel. Notre manière de prier enfin, n’est pas la même en fonction de notre base et le savoir peut se révéler une aide précieuse pour avancer dans ce domaine.

Prodiguée dans les règles de l’art de la tradition orale de l’ennéagramme, cette formation sera dispensée de manière neutre, mais prendra pour modèles des exemples de saints ou des personnages bibliques et se transmettra dans le cadre d’une anthropologie chrétienne.

Comme toujours, mon rôle se cantonnera à celui d’un passeur qui donne à ses stagiaires une carte et une boussole pour suivre leur chemin propre. Chacun sera libre ensuite, dans les temps personnels proposés, de demander l’aide d’un religieux pour l’accompagner dans telle ou telle voie personnelle qui aura été éclairée en stage.

« Le Christ veut sauver tout l’homme : dans son corps, sa vie morale, théologale mais aussi psychologique. » écrit le Père Pascal Ide dans un article sur les rapports entre vie spirituelle et psychologie. L’ennéagramme, comme d’autres outils, apporte sa contribution à une meilleure connaissance de soi qui ne demande qu’à être prolongée dans l’ordre surnaturel par d’autres moyens. 

« Dieu fait à l’âme une grande miséricorde lorsqu’il lui permet de se connaître. » écrit Thérèse d’Avila dans ses Demeures. Ainsi peuvent être levés certains obstacles que nous avons engrammés de façon inconsciente depuis de nombreuses années et qui empêchent la grâce de passer. Notre expérience nous a montré que cet outil peut permettre à certains de renouer avec leur vie spirituelle en se libérant d’un certain nombre d’entraves et ainsi, de se rendre plus disponibles à l’action de Dieu en eux

Métaphore de la base 3

unnamedL’ABEILLE
ou comment en deux jours, je suis passée du bulldozer à l’abeille

par Clémence, de base 3

Le bulldozer ne contourne pas les obstacles, il les prend de front, en fonçant bien dans le tas, en escaladant même s’il le faut. Il avance, coûte que coûte en continuant son chemin. Il est impressionnant et dominant. Peu de barrages lui résistent. Mais le bulldozer n’est pas vivant car il n’a pas de cœur.

Abeille_CoolAlors que l’abeille, surnommée la petite reine, vit. C’est une ouvrière qui travaille de tout son cœur et sans relâche car elle est consciencieuse, et souhaite un travail qui fonctionne. Elle vit en société organisée et a besoin des autres abeilles pour que le travail soit abouti même si elle est indépendante et qu’elle butine seule. Par son labeur, l’abeille produit du miel. C’est le fruit de son acharnement. On ne le sait pas car l’abeille est mystérieuse, mais elle doit certainement tirer grandes satisfactions lorsqu’on aime son miel, si bon pour la santé. Elle est efficace car elle transforme aussi sa récolte en cire, propolis ou gelée royale.

L’abeille est polyvalente et a même un grand rôle dans l’écosystème, la pollinisation. Elle rayonne en transportant le pollen qui permet la reproduction des plantes. Quand elle apparaît, elle attire toute l’attention. On la remarque par son vol qui fredonne. Il se peut que certains la redoutent, mais c’est une fausse idée car l’abeille ne gêne pas. Elle continue ce pour quoi elle est faite. Si on la dérange, elle ira butiner sur une autre rose.

En revanche, c’est une ménagère qui défend son territoire, si on l’attaque, elle pique mais ce n’est pas par plaisir, et la douleur peut être un électrochoc. Besoin de lumière, de soleil, de chaleur, l’abeille ne résiste pas au gel. L’abeille n’a pas une taille de guêpe car elle a toujours de bonnes victuailles dans ses pattes dans le souci de nourrir l’autre. Elle vole, elle butine, elle vit pour sa mission. Dommage que l’humain la craigne, car l’abeille aimerait peut être qu’on l’aime pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle produit.

L’écureuil : métaphore de la base 7

10171841_10205458306765385_5792206469532640303_nL’ÉCUREUIL
par Marie, de base 7

C’est le printemps et il est tôt, je m’éveille doucement; c’est moi l’écureuil, vous me connaissez…

Toujours en quête de nouveauté, je saute de branche en branche à la recherche de toutes sortes de plaisirs. Je ne pense qu’à m’amuser. Je suis gourmand d’aventures et de projets. Je me maintiens dans cet état pour échapper à la souffrance. Ma curiosité me pousse toujours vers l’inconnu bien plus attrayant que mon quotidien. Pourquoi focaliser sur le présent quand l’avenir nous offre tant de merveilles ?

UNNAMED_cropJe n’aime pas repenser au passé, il est synonyme parfois de souffrance et je me garde bien de faire resurgir en moi ce que j’ai détesté. Je m’échappe donc en quête de réjouissances qui me feront tellement bien oublier le passé que j’aurai du mal à me rappeler des éléments douloureux.

Et le présent ? Je le fuis avec beaucoup d’ardeur, dans le rêve de nouvelles aventures. Même si je m’y sens bien quelquefois, mon cerveau fonctionne tellement vite que je ne peux m’empêcher d’être encore une fois absent de ce présent dans lequel je pourrais pourtant me sentir si bien…

Finalement je ne me sens pas bien ; ni au présent, ni au passé ; et le futur dans lequel je me crois tellement bien, lorsqu’il devient présent ne m’attire plus… Je rejette joyeusement ce que j’ai souhaité !

Et vous me voyez, là, dans les branches, sautant joyeusement ? La nature ne me met aucune limite… si vous saviez comme j’aime cette liberté. Mais finalement cette gaieté n’est que façade, je cherche juste à échapper aux contraintes et à ce présent trop pesant… Et si j’amuse la galerie, c’est mon petit côté gonflé d’orgueil car j’aime que l’on m’admire.

Alors que fait ce petit écureuil pour corriger ses défauts ? Je me mets au travail sérieusement, je récolte précieusement ma nourriture pour l’hiver et la cache à un seul endroit que je n’oublierai pas, au lieu de m’éparpiller en tous lieux. Je n’en suis capable qu’en prenant exemple sur mes deux amis : la fourmi perfectionniste dont je voudrais bien avoir la ténacité et le hibou observateur qui se pose pour analyser les choses et profiter de la vie telle qu’elle est !

Renoncer à soi-même ?

arton220-00b85EGO, PAIS ET UIOS
ou les trois dimensions de la personne

Dans un article de la  Vie consacrée paru chez Desclée de Brouwer en juillet-août 1972 (p. 236-249) et consacré à la vitalité spirituelle personnelle, le père Albert-Marie Besnard, op, auteur des très beaux Propos intempestifs sur la prière, pose la question de l’ambivalence entre le précepte évangélique de cultiver ses talents et celui de renoncer à soi-même. 

Étonnants sont les échos avec la démarche de connaissance de soi qu’offre l’ennéagramme et les moyens concrets que propose la méthode Vittoz pour éduquer la volonté et choisir librement ce que l’on veut faire des talents reçus.  

Extraits.

« Aucun renouveau de la vie religieuse n’est possible si l’on ne l’assure pas par les deux bouts à la fois : par la rénovation institutionnelle et par la transformation personnelle. […] Chacun est sollicité de développer ses dons personnels sous la mouvance de l’Esprit au service de tous. […] Qu’advient-il en tout cela du si rigoureux renoncement à soi-même exigé par le Christ? 

Notre langage spirituel (y compris celui de nos constitutions) est farci de déclarations magnifiques, mais la tradition concrète qui nous tient ce langage est incapable de nous fournir les moyens adéquats de pratiquer ces choses. A force de dire et de ne pas faire, non par hypocrisie mais parce qu’on ne sait pas comment s’y prendre, on décourage les meilleures volontés.

Il ne s’agit de rien de moins que d’une transformation radicale de cette conscience de soi. […] [Celle-ci] tend à se réduire au « mental », […] dans ce champ rétréci, la Parole de Dieu, les symboles sacramentels, les convictions spirituelles se réduisent à leurs ombres chinoises. […] Ce mental agité est perpétuellement traversé par des décharges affectives incohérentes. C’est que, obligés à faire bonne figure dans un champ social ou professionnel où règne un consensus d’objectivité rationnelle, nous demeurons pourtant en proie à tous nos démons familiers (la peur, le besoin de sécurité, l’envie d’être applaudi, etc.), qui trahissent et cachent les configurations tourmentées de notre inconscient. Ils nous dénoncent comment centrés sur nous-mêmes. Nous n’en convenons pas volontiers, et cela rajoute à ce premier mal celui de demeurer en état de mensonge. »

[Les] sciences [psychologiques] ont infiniment à nous apprendre, mais […] rares sont ceux qui sont qualifiés pour les mettre en œuvre. Par contre tous, tant que nous sommes, avons dès cet instant même à avancer sur le chemin de la transformation personnelle et avons besoin pour cela de repères empiriques.

Qui suis-je ?

[…] EGO, c’est celui qui est devenu, au fil des circonstances […] le pauvre diable que je suis et que j’aurais tort de vilipender. EGO, c’est le petit enfant que j’ai été, marqué par les peurs du dedans et les interdits du dehors ; c’est la somme des conflits ensevelis dans l’inconscient, et c’est donc l’individu stigmatisé par les diverses contractures névrotiques qui ont résulté de ces conflits et qui en sont la solution de fortune. […] C’est celui qui doit faire « bonne figure » en toutes sortes de situations à la hauteur desquelles il n’est jamais tout à fait, […] et qui investit une énergie psychique considérable en compromis, en défenses, en précautions, en agressivités. […] Il traîne une anxiété, un malaise permanent, qu’il lui faut compenser ou faire oublier.

[…] PAIS, c’est mon être authentique, […] d’un mot grec qui signifie serviteur, […] toujours au service de quelque chose qui le dépasse et l’accomplit […], tel qu’il a été créé par Dieu à son image et ressemblance. […]

Il est appelé à devenir UIOS, fils dans l’Unique Fils de Dieu.

[…] Ce qui m’apparaît pouvoir être une véritable révolution dans nos vies, c’est de décider que ces choses que l’on sait, il s’agit de les vivre. […] [C’]est une responsabilité grave pour quiconque l’entrevoit. […] Elle est, en tout cas, l’une des conditions essentielles pour que toutes les autres transformations, évolutions ou révolutions, que notre raison historique nous fait estimer nécessaires, ne deviennent des impasses où des masses entières se trouveraient prises au piège.

[…] Quelle instance efficiente va mettre en œuvre la libération de PAIS de l’EGO qui le parasite, et ainsi préparer l’avènement d’UIOS ? Cette instance, […] appelons-le BOULÈ, de l’un des mots grecs qui signifient la volonté […]. Par les impasses de plus en plus douloureuses où se débat EGO, […] par l’aspiration de PAIS […] qui a quelque chose d’irrésistible parce que notre vitalité naturelle profonde va tout entière dans ce sens ; […] par l’espérance théologale de devenir UIOS, […] voici donc ma BOULÈ acquise à la cause de la transformation personnelle, ma volonté devenue « bonne volonté » pour faire quelque chose dans cette direction. J’insiste sur le faire : il s’agit d'[…] une praxis quotidienne.

[…] Laisser tomber EGO : […] ce que le christianisme appelle conversion (metanoia), […] « dépouiller » ou « déposer » le vieil homme (cfr Ep 4, 22). […] Grâce à ses complicités avec notre inconscient, il est tout à fait capable de se renforcer de ce par quoi nous voulons l’humilier et de s’engraisser de ce par quoi nous croyons l’affamer ! […] Mais en réalité, il y a dans EGO une faiblesse radicale : il ne survit qu’à coup de défenses. Dès que BOULÈ réussit à « laisser tomber » telle ou telle défense, EGO perd la face et je peux commencer déjà à m’identifier à PAIS.

[…] Je suis persuadé de l’unité psychosomatique de notre être (et même pneumo-pscyho-somatique !). Impossible donc de pratiquer sur le spirituel sans pratiquer sur le psychique et sans pratiquer sur le corps.

« Laissez tomber » les muscles du visage, ce que justement, on appelle le masque. […] « Laisser tomber » le poids du corps dans ce que les japonais appellent le hara (le lieu du ventre), afin d’asseoir notre être dans un véritable centre de gravité : notre être physique et, par entrainement, notre être psychique, […] c’est une mise en place de soi-même en position de force.

[…] De tels chemins impliquent une initiation qualifiée, mais enfin il est important de dire que certains exercices de silence, convenablement poursuivis, sont une manière efficace de laisser tomber EGO. Dans la ligne des pratiques plus traditionnelles et à la portée de tous, cet exercice peut se concevoir sous la forme de la recherche de la pureté d’intention. Pour qui n’a aucun connaissance de sa propre complexité intérieure, une telle recherche est illusoire et apparaît alambiquée, elle serait d’ailleurs vite retournée par EGO et à son profit. Mais pour celui qui a le discernement de son propre esprit, elle a un sens et est fort ardue à suivre.

[…] En tout cela, il s’agit de s’exercer. Exercice, le mot fait sourire et la chose répugne. […] Nos contemporains sont vite culpabilisés s’ils ont l’air de distraire, pour des pratiques apparemment sans utilité immédiate, des moments qu’ils disent devoir au service d’autrui, à leurs tâches, à leurs relations. […] Un type d’exercices qui, pour austères qu’ils paraissent, contribuent à long terme à nous équilibrer […] n’a de sens que s’il permet peu à peu d’étendre l’attitude correcte qu’il instaure jusqu’à tous les instants de la journée. […] Mais il ne s’agit pas pour autant de chemins contraignants et raboteux : l’ascèse authentique et utile est expérience d’élargissement, de plénitude, de joie réelle.

[…] Ce sont les mêmes exercices qui permettent de laisser tomber EGO et d’apprendre à se tenir de manière juste dans l’existence. Cette manière juste est avant tout une attitude de tout l’être (y compris du corps) qui consiste, appuyés sur une force intérieure qui nous est toujours donnée, à accueillir toute la réalité du moment et de la circonstance présente. Alors nous pouvons répondre à la situation par une action pertinente. Relisez l’Évangile et vous verrez qu’en effet Jésus a vécu ainsi.

Je parle d’une force intérieure qui nous est toujours donnée, je veux dire qui est toujours donnée à PAIS, pas à EGO. Car elle n’est donnée qu’à celui qui a dépassé les peurs, y compris celle de la mort ; à celui qui ne se recherche plus lui-même mais ne veut qu’être le parfait serviteur de la vocation qu’il a reçue. […] Son chemin devra passer par la souffrance, la défaite ou la mort, il franchira le passage en homme noble, de la manière juste, celle par laquelle encore il glorifiera Dieu.

[…] Notre ambition est à la fois plus haute et plus humble : restaurer en nous notre humanité simple et forte, à l’image de celle de Jésus de Nazareth. La force qu’expérimente PAIS n’est donc pas un pouvoir pour dominer ou triompher, mais une capacité d’accepter et de se situer correctement dans la conjoncture. Elle fait vivre dans le présent.

[…] Le temps me manque pour parler de la respiration comme lieu d’exercice possible (au sens défini plus haut) pour cette étape, et comme indice de la justesse de notre attitude. […] S’ouvrir à l’Esprit n’est pas, comme nous le croyons, une belle formule sans contenu possible, c’est un acte précis et qui s’exerce, notamment dans l’oraison.

[…] L’absence de Dieu pour notre EGO peut, si elle est ressentie avec souffrance et étonnement, conduire à la découverte qu’il s’agit peut-être de devenir un autre pour percevoir le Dieu toujours présent, toujours là quand on l’invoque, […] un Dieu à la fois moins immédiat […] et plus indéniablement proche.

[…] Cette transformation est l’œuvre de la grâce. Mais nous y coopérons par un oui des profondeurs. Ce oui, il faut le tenir (comme on parle en musique d’une note tenue par l’archet). Il se tient dans la fermeté d’un silence [qui] est comme une assise sur laquelle notre vie active peut s’édifier avec plus d’assurance et de sérénité.

[…] Comme nous avons besoin qu’on nous enseigne autre chose que des méditations paresseuses où l’on enfile simplement des « idées » comme les perles d’un collier, mais le chemin de l’esprit qui se distend au maximum pour appréhender ce qui lui est destiné et qui lui échappe, et qu’il ne percevra qu’après avoir trouvé la fissure qui conduit à la vérité par-delà le sens. Et qui donne un contenu expérimental au mot : adoration.

[…] Nous voyons bien quel moi doit mourir : l’EGO. Non pas que l’abnégation évangélique ne demande aussi à PAIS, un jour ou l’autre de sacrifier sa vie, mais PAIS est prêt en profondeur à cette éventualité-là  ; il peut vivre à fond et sans inquiétude ni culpabilité car il sait mourir, et il sait qu’il ressuscitera en UIOS. »

 

 

Thérèse d’Avila et la base 3

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THERESE D’AVILA 
Un archétype* de base 3

Cinq cents ans après sa naissance, sainte Thérèse d’Avila n’en finit pas d’être actuelle. Comme l’a magistralement montré Christiane Rancé dans une biographie qui fera date, La Passion de Thérèse d’Avila, celle qui fut la première femme docteur de l’Église, aura été à la fois une des plus grandes mystiques de tous les temps et une femme d’action au talent exceptionnel.

Thérèse est pétrie de l’âme castillane et parfois il est difficile de faire le tri entre ce qui relève de sa personnalité et de sa culture. Néanmoins, certains traits de caractère affleurent. Enfant, elle rêvait à la lecture des romans de chevalerie et se voyait bien octroyer la palme du martyr. Jeune fille, elle s’avère être d’un charme et d’une capacité de séduction qui ne se démentiront jamais. Au point de risquer perdre son âme. Quand on analyse les raisons pour lesquelles Thérèse rentre au couvent, on en trouve deux : en plein, le désir de faire son salut, en creux, celui de faire de grandes choses, ce que la condition de la femme mariée rend à peu près impossible en Castille à cette époque-là. Or, au couvent, Thérèse va se trouver en échec : elle n’arrive pas à prier. Elle se lance dans une gigantesque bataille contre elle-même, s’imposant de rudes mortifications et se ruant dans les travaux domestiques les plus pénibles pour briser sa résistance. En même temps, elle laisse cours, comme dans les couvents de son époque à une activité mondaine, et une relation platonique mais flatteuse à ses yeux. On perçoit là les grands traits de caractère de Thérèse : une énergie considérable, une capacité de séduction, et surtout une volonté farouche de réussir et un souci aigu de son image. Et peut-être aussi une difficulté à habiter ses profondeurs, une manière aussi de s’accommoder avec la réalité. Chaque soir elle quitte son amoureux platonique en se jurant de ne plus le voir ; le lendemain elle retourne se laisser admirer. Comme le dit Christiane Rancé, elle se ment à elle-même (p. 100). Nous sommes ici avec les symptômes classiques de la base 3 : goût du challenge et de la réussite, nécessité d’être admiré et reconnu ; refus de voir son échec qui va jusqu’au mensonge à soi-même.

Un jour, à l’aube de ses trente-neuf ans, Thérèse aperçoit dans l’oratoire une statue du Christ souffrant. Elle est renversée, tombe en larmes et le supplie de lui donner la force de ne plus l’offenser. Ce retournement arrive au moment même où Thérèse s’avoue vaincue et reconnaît son impuissance : « C’est qu’alors je n’espérais plus rien de moi-même, j’attendais tout de Dieu » (p. 109). Pour que Thérèse devienne Thérèse, il a fallu qu’elle reconnaisse son échec et son impuissance. Il lui a fallu vingt ans.

Désormais Thérèse se laisse toucher par Dieu et elle va devenir cette mystique particulièrement comblée. Mais ce n’est plus sa réussite. C’est Dieu qui agit et qu’elle laisse agir. De là, toute l’énergie de la base 3 va se mettre en action pour opérer cette réforme du Carmel si nécessaire et pour fonder monastère sur monastère. Thérèse s’avère être un leader au charisme indéniable, entraînant derrière elle ses moniales, mais aussi ses confesseurs, jusqu’à saint Jean de La Croix. Toujours enthousiaste, elle déploie une activité inégalable. N’oublions pas qu’elle est une femme, et une femme suspectée par la redoutable Inquisition. Face aux résistances qu’elle rencontre, elle ne lâche jamais, mais agit avec souplesse et un grand sens de l’efficacité. Thérèse est un stratège : elle va convaincre les unes après les autres les personnes influentes qui pourront permettre à son projet de se réaliser. Rien ne l’arrêtera. Et elle réussira son grand œuvre de réforme et de fondation en contournant les obstacles au lieu de les affronter. Elle jouera de tout son pouvoir de séduction, saura battre en retraite quand il faut, évitera les points de rupture, gagnera chaque bataille. Une sorte de Napoléon de la vie spirituelle !

Comme Ignace de Loyola avec ses Exercices, Thérèse laisse avec Le Château de l’âme, un manuel de combat spirituel, un guide de l’oraison qui a bien pour but de progresser dans cette voie royale. Il y a une efficacité exceptionnelle dans la méthode d’oraison qu’elle a mise au point. Mais, la Thérèse mystique se permet de contacter toutes ses émotions. Elle traduit bien combien la base 3 est au cœur de la triade émotionnelle. Les personnes de base 3 répriment leur centre préféré qui est le centre cœur. Pendant vingt ans Thérèse a fonctionné ainsi. Après sa conversion, elle ouvre les vannes de ses émotions sans que cela ne ralentisse son efficacité. Bien au contraire, s’en remettant totalement à Dieu à qui elle se voue corps, cœur et intelligence, elle réalise le programme tracé par saint Paul, un autre représentant possible de la base 3 : ce n’est plus elle qui vit, mais Dieu en elle. N’est-ce pas le couronnement d’une volonté d’agir et de réussir, totalement purifiée de ses scories ?

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son œuvre. 

BONUS !
La même histoire, versus spi, avec cette homélie du frère Jean-Alexandre, ocd, Couvent d’Avon, le 26 août 2022, à l’occasion de la fête de la transverbération de sainte Thérèse d’Avila

Faire mémoire de la transverbération du cœur de sainte Thérèse, c’est méditer sur la façon dont le Seigneur a transformé le cœur de cette femme. Car sainte Thérèse n’est pas tombée du ciel ; elle a dû vivre un chemin de conversion radicale de son cœur. De fait, la jeune doña Teresa de Ahumada était plutôt captée par le jeu des apparences et des honneurs lors de son adolescence. Et elle s’en sortait très bien au dehors mais elle reconnaît : « J’avais le cœur si dur que j’aurais pu lire toute la Passion [du Seigneur] sans verser une larme. » (V 3,1) Mais l’Amour a pris patience… Et la conversion de Thérèse à 39 ans consistera en une brisure du cœur devant une représentation du Christ très blessé en sa Passion (V9): son cœur de pierre fut brisé pour devenir un cœur de chair vulnérable. A partir de ce moment, elle vivra à partir du dedans, c’est-à-dire de la présence du Christ en elle. Mais elle recevra six ans après une autre grâce importante, celle dont nous faisons mémoire aujourd’hui, celle de la transverbération.

Cette grâce intérieure consiste en une blessure d’amour figurée par « une flèche qui pénètre jusqu’au plus intime du cœur et des entrailles » (V29,10) et laisse l’âme « tout embrasée du plus ardent amour » (V29,13). Le cœur devenu vulnérable peut maintenant être enflammé de l’amour de Dieu et rendu conforme au Cœur de Jésus. C’est une grâce apostolique qui transforme Thérèse en un apôtre: deux ans après, elle fonde le monastère de saint Joseph d’Avila avant les quinze autres qui suivirent jusqu’à la fin de sa vie. Désormais c’est l’amour de Dieu qui conduira son action et lui fera réaliser des œuvres impensables auparavant. Cette blessure d’amour est aussi le signe d’une maternité spirituelle: son cœur s’ouvre et se dilate pour pouvoir engendrer une nouvelle famille spirituelle, le Carmel déchaussé. Mais sa maternité s’étend à toute l’Eglise puisqu’elle est aussi appelée mère des spirituels. On peut comprendre cette grâce ainsi puisque la Vierge Marie est devenue mère de tous les baptisés lors du glaive intérieur qui transperça son cœur à la croix.

Dans l’oraison d’ouverture, nous avons demandé au Seigneur que nous puissions « expérimenter en nous-mêmes la force de son amour qui nous rendra toujours plus généreux à son service. » Que la vie de sainte Thérèse réveille donc notre cœur en ce jour afin que nous fassions nôtre cette demande. Que l’amour brûlant qui a atteint le cœur de Thérèse embrase également le nôtre et nous rende serviteurs de l’Amour. Amen

Des ronds dans l’eau

« Que nous le voulions ou non, nous avons dans le monde une influence bonne ou mauvaise, du seul fait de notre état rayonnant autour de nous la paix, l’énergie, la joie, la bonté si nous les possédons; ou inversement, le trouble, le découragement, la tristesse, la malveillance.

De là pour nous une nécessité de conscience de nous mettre et de nous maintenir dans ces états d’âme bienfaisants pour les autres comme pour nous. Nous le devons au prochain parce que nous sommes des êtres sociaux et que nous avons, qui que nous soyons, une tâche à remplir en ce monde et une part de responsabilité dans le bien qui se fait ou ne se fait pas et dans le mal qui se commet.

Qui connaîtra jamais exactement les conséquences nuisibles ou bienfaisantes d’un acte, d’une parole, et ses répercussions lointaines dans le monde ? »

Roger Vittoz, Notes et pensées, Angoisse ou contrôle

Des vertus de l’attention

imgresDans un chapitre de « Réflexions sur le bon usage des études scolaires en vue de l’amour de Dieu » (Attente de Dieu, Paris, 1950, Éditions du Vieux Colombier, p. 113-123), Simone Weil développe les vertus de l’attention, rejoignant ainsi le cœur des travaux du docteur Vittoz. Elle montre comment, après s’être entraîné sur de petites choses, l’exercice de l’attention peut mener, via l’étude et la charité, jusqu’à la contemplation.

« La prière est faite d’attention. C’est l’orientation vers Dieu de toute l’attention dont l’âme est capable. La qualité de l’attention est pour beaucoup dans la qualité de la prière. La chaleur du cœur ne peut pas y suppléer.

[…] Bien qu’aujourd’hui on semble l’ignorer, la formation de la faculté d’attention est le but véritable et presque l’unique intérêt des études.

[…] Jamais, en aucun cas, aucun effort d’attention véritable n’est perdu. Toujours il est pleinement efficace spirituellement. […] Sans qu’on le sente, sans qu’on le sache, cet effort en apparence stérile et sans fruit a mis plus de lumière dans l’âme. […] Les certitudes de cette espèce sont expérimentales. Mais si l’on n’y croit pas avant de les avoir éprouvées, si du moins on ne se conduit pas comme si l’on y croyait, on ne fera jamais l’expérience qui donne accès à de telles certitudes. […] La foi est la condition indispensable.

[…] S’il y a vraiment désir, si l’objet du désir est vraiment la lumière, le désir de lumière produit la lumière. […] Quand même les efforts d’attention resteraient en apparence stériles pendant des années, un jour une lumière exactement proportionnelle à ces efforts inondera l’âme. […] il suffit de le vouloir.

[…] On dépense souvent ce genre d’effort musculaire dans les études. Comme il finit par fatiguer, on a l’impression qu’on a travaillé. C’est une illusion. La fatigue n’a aucun rapport avec le travail. […] Cette espèce d’effort musculaire dans l’étude est tout à fait stérile, même accompli avec bonne intention. Cette bonne intention est alors de celles qui pavent l’enfer.

[…] L’intelligence ne peut être menée que par le désir. Pour qu’il y ait désir, il faut qu’il y ait plaisir et joie. […] Car le désir, orienté vers Dieu, est la seule force capable de faire monter l’âme. Ou plutôt c’est Dieu seul qui vient saisir l’âme et la lève, mais le désir seul oblige Dieu à descendre. Il ne vient qu’à ceux qui lui demandent de venir ; et ceux qui demandent souvent, longtemps, ardemment, il ne peut pas s’empêcher de descendre vers eux.

[…] Il y a quelque chose dans notre âme qui répugne à la véritable attention beaucoup plus violemment que la chair ne répugne à la fatigue. Ce quelque chose est beaucoup plus proche du mal que la chair. C’est pourquoi, toutes les fois qu’on fait vraiment attention, on détruit du mal en soi.

[…] L’attention consiste à suspendre sa pensée, à la laisser disponible, vide et pénétrable à l’objet. […] ne rien chercher, mais être prête à recevoir dans sa vérité nue l’objet qui va y pénétrer. Tous les contresens dans les versions, toutes les absurdités dans la solution des problèmes de géométrie, toutes les gaucheries de style et toutes les défectuosités de l’enchaînement des idées dans les devoirs de français, tout cela vient de ce que la pensée s’est précipitée hâtivement sur quelque chose et étant ainsi prématurément remplie, n’a plus été disponible pour la vérité. La cause est toujours qu’on a voulu être actif.

[…] Les biens les plus précieux ne doivent pas être cherchés, mais attendus. Car l’homme ne peut pas les trouver par ses propres forces, et s’il se met à leur recherche, il trouvera à la place des faux biens dont il ne saura pas discerner la fausseté.

[…] Les malheureux n’ont pas besoin d’autre chose en ce monde que d’hommes capables de faire attention à eux. […] Ce regard est d’abord un regard attentif, où l’âme se vide de tout contenu propre pour recevoir en elle-même l’être qu’elle regarde tel qu’il est, dans toute sa vérité. Seul en est capable celui qui est capable d’attention. Ainsi il est vrai, quoique paradoxal, qu’une version latine, un problème de géométrie, même si on les a manqués, pourvu seulement qu’on leur ait accordé l’espèce d’effort qui convient, peuvent rendre mieux capable un jour, plus tard, si l’occasion s’en présente, de porter à un malheureux, à l’instant de sa suprême détresse, exactement le secours susceptible de le sauver.

[…] Les études scolaires sont un de ces champs qui enferme une perle pour laquelle cela vaut la peine de vendre tous ses biens, sans rien garder à soi, afin de pouvoir l’acheter. »

 

Vittoz validé scientifiquement

imgresFOVEA, un programme de l’Institut Vittoz-IRDC conçu pour évaluer et valider scientifiquement les effets de la méthode Vittoz

Partout en France se multiplient de petits groupes FOVEA, où en 8 semaines, des stagiaires peuvent être initiés à la méthode Vittoz dans le cadre d’une étude scientifique. Ce programme est constitué de 8 séances de 2 heures et suit un protocole précis et national. Les sessions sont animées par des praticiens Vittoz certifiés par l’IRDC. Un livret est fourni aux participants en début de session pour les aider à pratiquer au cours de la semaine, en dehors des séances de groupe.

Ce programme FOVEA est ensuite évalué (concernant son efficacité sur le bien-être), dans le cadre d’une étude scientifique dirigée par Rébecca Shankland, maître de conférence de psychologie à l’Université Pierre Mendès-France (Grenoble) et validé par un comité scientifique composé de : Christophe André (Praticien hospitalier, Service Hospitalo-Universitaire, Centre Hospitalier Sainte-Anne, Paris), Michel Dufossé (Chercheur CNRS en Neuroscience), Pascale Haag (Maître de conférences à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (Paris) et membre de l’Institut de recherches interdisciplinaires sur les enjeux sociaux – Sciences sociales, politique, santé (UMR 8156), Jean-Philippe Lachaux (Directeur de Recherches à l’INSERM, Unité U1028, Centre de Recherches en Neurosciences de Lyon) et René Sirven (Maître de conférences (Montpellier I, Médecine), vice-président de l’Institut de Psychosomatique de Montpellier et de la Société Française d’Odontologie Psychosomatique et Sciences Humaines).

J’anime un groupe FOVEA à Fontainebleau :
– 8 séances hebdomadaires, de 20h à 22h
– septembre/octobre 2015
– janvier/février 2016
Pour tout renseignement: contact@valeriemaillot.com

ARTICLE d’Etienne Séguier du 15 janvier 2015 dans La Vie
Entretien avec Rébecca Shakland

« Et si une plus grande attention au moment présent aidait à lutter contre le stress ? Cette conviction se trouve au cœur de la méthode inventée il y a un siècle par le médecin suisse Roger Vittoz (1863- 1925), fondée sur la redécouverte de nos cinq sens, l’accueil de nos sensations, la conscience de nos actes. Mais elle n’avait encore jamais été validée scientifiquement jusqu’à l’étude effectuée en 2014 par Rébecca Shankland, chercheuse au Laboratoire interuniversitaire de psychologie de Grenoble. Psychologue clinicienne, spécialisée dans le domaine des addictions et de l’éducation pour la santé, elle démontre à ce titre les bienfaits de cette approche : augmenter son attention au présent et accomplir les gestes du quotidien en accueillant ses sensations. Entretien.

Pourquoi avez-vous choisi d’évaluer la méthode Vittoz ?
Je cherche comment promouvoir des pratiques de santé qui soient facilement utilisables par le grand public. Je voulais tester les effets de la méditation de pleine conscience pour lutter contre le stress chez les étudiants et les salariés. L’efficacité du protocole a déjà été démontrée par des nombreuses études, mais implique une pratique formelle de méditation (assis, immobile, en silence, ndlr) chaque jour. Or il apparaît qu’un certain nombre de participants ne souhaitent pas ou ne parviennent pas à s’impliquer dans ces pratiques formelles. Je souhaitais donc évaluer l’efficacité d’un protocole qui serait uniquement fondé sur une pratique intégrée dans le quotidien tel qu’être attentif à ses propres mouvements lorsqu’on marche ou à ses émotions lorsqu’elles surviennent. Je me suis alors tournée vers la méthode Vittoz.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette approche ?
Elle propose des exercices qui favorisent aussi la seule attention au présent. Par exemple, le fait de marcher et manger en conscience de nos actes a pour objectif de focaliser son attention sur l’expérience qui se déroule et d’en accueillir les sensations sans jugement. Ce type de pratique peut s’effectuer au bureau, dans les transports.

Sur quoi a porté votre étude ?
Elle a été menée sur près de 100 personnes dont une partie avait connu dans le passé des troubles anxieux ou dépressifs. Avec l’Institut Vittoz-IRDC, nous avons conçu un programme de huit semaines, à raison d’une réunion hebdomadaire en groupe de 2 heures. Durant ces rencontres les participants découvraient des exercices, qui avaient pour but d’augmenter leur attention au moment présent et le non-jugement, libre à eux ensuite de les reprendre.

Pourriez-vous nous décrire un exercice ?
Par exemple ce qu’on appelle « l’installation ». Les personnes sont assises et on leur demande de sentir leurs points d’appui, les tensions corporelles, puis de nommer les émotions présentes en essayant simplement de les accueillir.

Quels sont les résultats ?
Ils montrent une diminution forte des niveaux de stress perçu comparativement à un groupe contrôle qui n’a pas participé à ce programme. Nous observons aussi une plus grande capacité à percevoir nos émotions et les signaux que nous envoient les autres. Nous constatons en ce sens un effet similaire à ceux que l’on obtient avec les pratiques intégrant des temps de méditation formelle. On remarque que ces résultats sont maintenus au même niveau trois mois après la fin des séances.

Comment expliquez-vous cet effet persistant ?
La majorité des personnes a continué à pratiquer. Si vous prenez l’habitude de mieux utiliser vos cinq sens et de porter une plus grande attention à vos actes au cours de la vie quotidienne, il est difficile ensuite de revenir en arrière, d’autant que cette nouvelle forme de conscience permet d’apprécier davantage ce que l’on est en train de vivre. »

Serge Gainsbourg et la base 5

1SERGE GAINSBOURG
Un archétype* de base 5

Provocateur et tendre, honni ou porté aux nues, Gainsbourg n’a jamais laissé indifférent. L’entretien ci-dessous, réalisé en 1968, alors qu’il a à peine plus de trente ans, est touchant. Il se livre comme jamais. On sent une grande sensibilité, mais jamais dans une expression débridée de l’émotion. Derrière le sourire narquois, on repère vite celui qui évite d’être dépendant des choses matérielles : il abandonne la peinture pour ne pas l’être. Très vite, on pense au centre tête, mais beaucoup trop complexe et tourmenté, pas assez enthousiaste pour être de base 7. Cela se joue entre 6 et 5. Un esprit logique et en même temps elliptique semble faire pencher la balance vers le 5. Gainsbourg parle peu, et surtout, il parle en se gardant bien de lâcher des éléments trop personnels qui permettraient de le percer à jour. Son interlocuteur doit sans cesse aller le chercher (et il le fait avec tact et bienveillance, ce qui nous permet finalement d’avoir pas mal d’éléments) alors que Gainsbourg est en permanence dans une stratégie de rétention de soi. Là où une personne de base 6 expliquerait, lui lâche des bribes et esquive. Le non-verbal est éloquent : il laisse entrevoir une délicatesse extrêmement sensible, typique de la base 5.

Gainsbourg parle une fois de façon très claire et complète : quand il évoque la question du prix des tubes de couleur utilisés dans la peinture. On remarque que sur un point qui n’engage pas son intimité, une personne de base 5 peut être loquace. Et l’on constate que l’argent est un point d’attention (la fameuse avarice du 5). En revanche, quand on l’interroge sur la qualité de ses chansons, sur son statut d’artiste, il fait un pas en arrière. On n’en tire rien, sauf quelques réflexions désabusées sur la place très mineure de la chanson dans l’art. Juste un aveu : entre auteur, compositeur, personnage, « c’est très faux-jeton, je louvoie sans me mouiller ». Aveu d’une stratégie de dissimulation et de protection pour éviter d’être cerné.

La part de l’ironie est fondamentale dans ses chansons. Ironie souvent cruelle que Gainsbourg attribue à un scepticisme dû lui-même à une lucidité. Il faut que le journaliste le pousse dans ses retranchements pour avoir l’essentiel. Cette lucidité est elle-même permise par une froideur. C’est effectivement son style comme le formule remarquablement son interviewer : « Systématiquement vous donnez un coup de ciseau à l’émotion quand elle va apparaître ». La réponse de Gainsbourg est très claire. Il s’agit d’une croyance qui vient de l’enfance et cite cette phrase de Schopenhauer qui l’avait fasciné adolescent : « seules les bêtes à sang-froid ont du venin ». « Je serais plutôt réfrigérant, réfrigéré que passionné et généreux, continue Gainsbourg. Je ne suis pas généreux. Je suis une éponge qui prend mais qui ne rejette pas son eau. » L’hypothèse de la base 6 s’envole et l’on assiste à un magnifique déploiement de la base 5 qui met à distance les émotions pour absorber toutes les informations dont il a besoin pour comprendre le monde. Observateur, le 5 regarde plus qu’il ne participe. Gainsbourg confesse être volontiers voyeur…

Le danger en 5 est d’être envahi. La peur fondamentale est celle de l’intrusion. D’où, parfois, le fait de se cacher derrière des attitudes de froideur ou des masques. « J’ai mis un masque de cynique que je n’arrive plus à retirer. » Cette peur de l’intrusion va de pair avec une pudeur qui va jusqu’à trouver excessive la taille des mini-jupes des filles, alors qu’on est en pleine période de libération sexuelle et qu’il déshabillera volontiers les femmes en scène plus tard… Nul doute que la rigueur qu’il regrette de ne plus voir chez les femmes n’est pas du puritanisme, mais un réflexe de protection. Que ce soit en creux ou en plein, la question du « voir » est centrale chez lui.

Fascinant, se livrant car il est en confiance avec une personne, il se pourrait bien que Gainsbourg fût du sous-type tête-à-tête. L’hypothèse d’une aile 6 vient d’elle-même : l’émotion est mise à distance et la peur est très présente, y compris celle relative à une certaine sécurité ; une personne de base 5 à aile 4 aurait eu moins peur de la bohème. Et une aile 6 expliquerait volontiers la capacité de provocation dont Gainsbourg a tant de fois fait preuve.

Une des caractéristiques des personnes de centre mental est l’humour, qui met la peur à distance. C’est leur arme préférée et le réflexe premier quand ils se sentent en danger : la gaudriole en 7, la même « ironie grinçante » en 5 et en 6, avec des fonctions différentes. Cette ironie sert à tester le protagoniste et à clarifier ses intentions en 6, elle est un bouclier qui le met à distance pour préserver son intimité en 5. Avis à ceux qui les aiment et les entourent : en 5, 6 et 7, quand je commence à rire et à faire rire, c’est que j’ai peur et que je me défends…

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son oeuvre. 

Arnaud : une paix intérieure

FULLSIZERENDER_cropJe tenais à te remercier ainsi que François pour ces deux merveilleuses journées que nous avons partagées tous ensemble.

Outre le fait d’avoir trouvé ma base, ce que je retiens en premier, c’est l’immense bonheur, l’immense joie, que j’ai ressentis lorsque j’ai passé la porte du Couvent pour rentrer chez moi.

Cette sensation de paix intérieure, je ne l’avais pas ressenti depuis plusieurs années.

Je le dois à vous deux, et au super groupe qui a composé cette session… Je reviendrai pour le M2, comme certains d’entre nous qui souhaitons le partager ensemble. Dommage qu’il faille attendre ! Entre temps je t’enverrai ma petite femme…