DU BONHEUR
Parole et prière, janvier 2023
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Les triades de Horney
LES TRIADES DE HORNEY
ou trois manières d’aborder le monde et les autres appliquées à l’ennéagramme
Karen Horney est née à Hambourg en 1885. Psychanalyste, elle a fui l’Allemagne en 1932 et s’est établie à Chicago. Inspirée par la philosophie platonicienne, et les catégories de la volonté, la passion et la raison, elle a établi une typologie de trois réponses possibles à la manière d’aborder le monde et les autres: aller contre, aller vers, se retirer de.
Richard Riso et Russ Hudson ont appliqué ces triades à l’ennéagramme, lui apportant ainsi une lumière nouvelle.
– Les bases qui s’opposent (Horney) ou qui s’affirment (Riso & Hudson): 3, 7 et 8
Ils sont ego-centrés et ego-expansifs. Ils réagissent au stress en construisant, opposant ou gonflant leur ego. Ils veulent contrôler et dominer, affirment leur force, et veulent faire aboutir leurs projets. En psychanalyse, ils sont focalisés vers le moi.
- La personne de base 3 s’affirme dans la poursuite de ses objectifs et la compétition avec les autres.
- La personne de base 7 s’affirme pour satisfaire ses désirs et les trouver dans son environnement.
- La personne de base 8 s’affirme en contrôlant et possédant les autres et son environnement.
– Les bases qui vont vers les autres (Horney) ou conformatifs (Riso & Husdon): 1, 2 et 6
Ils partagent le besoin d’être utiles aux autres même s’ils ne se conforment pas nécessairement à leurs attentes mais plutôt aux exigences de leur surmoi. Ils s’ajustent aux autres, bougent en fonctions d’eux, et ont besoin d’être acceptés.
- La personne de base 1 se conforme aux idéaux qui viennent de son surmoi et le mettent en action.
- La personne de base 2 se conforme aux besoins de l’autre et à l’exigence de son surmoi d’être aimé et reconnu.
- La personne de base 6 se conforme à ce que son surmoi pense que l’on attend de lui.
– Les types qui s’écartent des autres (Horney) ou en retrait (Riso & Husdon): 4, 5 et 9
Ils ne font guère de différence entre leur moi conscient et leurs sentiments, pensées ou pulsions non conscientes. Ils réagissent au stress en s’éloignant du monde et en investissant un espace intérieur. Leur réserve leur donne l’allure de personnes qui ont un sentiment de supériorité.
- La personne de base 4 se retire pour protéger sa vie émotionnelle de l’incompréhension des autres et ne pas exposer sa faible image de lui.
- La personne de base 5 se retire pour ne pas être envahie par les autres et pour pouvoir penser et vivre ses émotions à l’abri des interférences.
- La personne de base 9 se retire pour que les autres ne viennent pas perturber sa tranquillité intérieure, bousculer son rythme propre et lui imposer ses conflits.
Une manière nouvelle de comprendre certaines confusions courantes entre les bases 3-7, 3-8, 1-6, 2-6, 5-9. Ce n’est pas parce qu’une personne est en retrait qu’elle est forcément de base 5 ni qu’elle est de base 2 parce qu’elle est prévenante. Ce qu’elle donne à voir, le comportement extérieur peut être commun, et les motivations – correspondant aux besoins fondamentaux, très différentes. C’est par le groupe et les échanges, spécificité de la tradition orale, que la différence peut se découvrir.
Entretien avec Zélie
ENTRETIEN AVEC ZELIE
Février 2020
Quels étaient vos rêves de petite fille ?
Des rêves de liberté ! Ce qui n’a pas fait de moi une enfant ni une adolescente faciles: je cherchais, provoquais parfois pour comprendre, creuser, me poser la question du pourquoi. Je me suis faite remettre à ma place plusieurs fois, avec souvent l’impression de ne pas être comprise. Mais cela m’a appris à ne pas me contenter de l’apparence, à tenter au risque d’échouer, à me donner les moyens de cette liberté. D’abord de manière un peu maladroite et rebelle, puis en apprenant à élargir mon point de vue, à observer, écouter, à me remettre en question, à me dire que finalement ce n’était peut-être pas le monde qui devait changer, mais moi-même.
Vous êtes chrétienne ; comment avez-vous rencontré Jésus ?
J’ai été élevée dans une famille catholique pratiquante où j’ai reçu une éducation chrétienne et une formation solide. Je crois que j’ai coché toutes les cases. Mais si vous parlez de rencontre personnelle, ce fut beaucoup plus tard et pas à mon initiative, il y a une douzaine d’année dont je vis encore aujourd’hui, et que je garde pour moi si vous le voulez bien. Et puis il y a eu toutes les rencontres dues aux épreuves: celles de la vie, des amitiés, de l’accident grave d’une de nos filles. Je crois que quand on est vulnérable le Christ se donne à connaître d’une manière toute particulière.
Qu’est-ce qui vous a amenée à devenir formatrice à l’ennéagramme ?
Un désir de changement ! Car j’ai d’abord exploré cet outil pour moi-même. Il m’a appris à prendre du recul, à changer mon regard sur moi-même, sur les autres, sur le monde. A distinguer ce qui vient de ma nature de ce que je peux en faire. En bref, il m’a appris à être plus libre, avec comme fruit principal plus de paix intérieure. Et quand on a beaucoup reçu, c’est tout naturellement que vient le désir de transmettre. C’est un émerveillement toujours renouvelé d’être le témoin de la beauté des personnes, leur bonne volonté et de la manière dont elles s’emparent de l’outil et prennent les moyens de bouger. Il y a aussi une notion de responsabilité dans celle de liberté et comme le dit Etty Hillesum, notre responsabilité est d’irradier la paix reçue dans ce monde en ébullition.
Pouvez-vous nous présenter l’ennéagramme, et l’intérêt de cet outil ?
L’ennéagramme est une cartographie de la personnalité en neuf points, du grec ennea gramma, comme il en existe depuis toujours, en tous cas depuis les pères du désert avec Evagre le Pontique (qui distinguait huit profils proches de ceux de l’ennéagramme). Il permet de faire la lumière sur nos motivations profondes, souvent inconscientes, de découvrir qu’elles correspondent à un talent propre, mais aussi à des travers. En les connaissant mieux, il est plus facile d’adoucir les uns et de mettre au service les autres.
Par exemple si on est de base 9 et que notre motivation fondamentale est l’harmonie, nous aurons des compétences pour l’écoute et la compréhension de l’autre, mais avec parfois une difficulté à l’affirmation de soi par peur du conflit, avec un risque d’inertie. Le but du jeu est d’en prendre conscience et de développer sa vertu propre qui est l’action juste, c’est-à-dire, d’oser la confrontation au risque d’une disharmonie apparente, pour un positionnement juste. Et ce qui est intéressant dans cette action juste – qui demande un travail – c’est que c’est ce qu’elle a à apporter au monde: l’action juste est le propre de la base 9. Et c’est ainsi pour les 9 bases, nous avons besoin de chacun pour que le monde tourne. Je n’ai jamais aimé cette phrase commune : personne n’est indispensable. Je lui préfère de loin un chacun est précieux.
Vous proposez cinq modules de formation, de deux jours chacun (et vous avez déjà formé plus de mille stagiaires!). Pouvez-vous nous décrire ces différentes étapes ?
Les trois premiers modules sont, je pense, nécessaires pour avoir une connaissance complète de l’outil. Pour faire simple:
- on y découvre son profil dans le premier dans une formule très interactive avec alternance de topos, d’expérimentations en petit et grand groupe et de travail à la vidéo;
- on apprend à mieux comprendre celui des autres dans le second par le biais de panels, spécificité de la tradition orale à laquelle je suis formée, selon le principe que la personne est la mieux placée pour parler de ce qui la meut. C’est un module qui est très beau, très humain;
- et on y trouve des clés concrètes d’évolution dans le troisième, le sous-type étant le lieu de l’incarnation du type, l’endroit où il se manifeste dans le quotidien.
- Le quatrième, sur les émotions, est mon chouchou. Elles ont parfois mauvaise presse ces émotions qui peuvent pourtant devenir nos meilleurs alliés, pourvu que nous les accueillions pour ce qu’elles sont: des sources d’informations sur nos besoins et une force pour l’action.
- Le cinquième est plus axé sur la communication entre les différents profils, en creux et en plein, et les moyens que nous pouvons prendre pour avancer dans ce domaine.
Les cinq se déroulent dans une atmosphère de grand respect mutuel et de bienveillance. Comme une parenthèse de douceur dans « ce monde en ébullition » que j’évoquais tout à l’heure, selon la phrase d’ Etty Hillesum.
Racontez-nous le témoignage d’une personne pour qui la connaissance de son profil dans l’ennéagramme a été un moyen de grandir en liberté et d’avancer, dans sa vie personnelle, et également dans la relation aux autres.
Il va être difficile de choisir. Nous recevons un public très varié : étudiants et retraités, fiancés, pères et mères de famille, et religieux/ses, prêtre, mais aussi chefs d’entreprise, soignants, enseignants et j’aime cette diversité. Je choisirais celui d’une jeune femme de base 3 pour qui la réalisation est la motivation principale et qui nous est arrivée proche du burn out. Croyant que pour être aimée, il lui fallait dépenser son énergie à 200%, elle était en train de se brûler les ailes, autant dans le domaine professionnel que personnel. Elle était pressée, il fallait qu’elle fasse les cinq modules rapidement. Et nous l’avons vu doucement ralentir au fil des modules, reconnaître ses limites, prendre le temps de la relation gratuite. C’était un petit combat où elle cherchait, encore, à trouver les solutions les plus efficaces. Jusqu’au dernier module où, le visage paisible, elle me dit à la pause que du jour où elle avait cessé de chercher à contrôler, un nouveau travail moins dévorant s’était présenté, en même temps qu’une relation amoureuse stabilisante. Elle avait appris non plus à fabriquer sa vie mais à la recevoir. Compris en quoi elle pouvait mettre au service cette énergie vitale spécifique des bases 3, cette efficacité, cette capacité de réalisation au service.
Vous proposez des formations à l’ennéagramme en entreprise. En quoi cet outil est-il utile dans la vie professionnelle ?
Les formations en entreprise sont plus délicates et je conseille toujours aux responsables d’envoyer les personnes se mêler à un groupe mélangé plutôt qu’à se former en interne. Il est important qu’une personne soit parfaitement libre pour se remettre en question, et ce n’est pas toujours le cas dans le domaine professionnel. Mais nous avons eu de belles expériences avec des équipes dont l’éthique commune a permis un beau travail. Je pense à une équipe de cancérologues qui nous a édifiés. Ils avaient besoin de rire, et l’on comprend pourquoi. Le stage fut très joyeux… et très profond. Je pense aussi à celle d’une maison d’édition qui est venue en équipe et qui me disait au moment des vœux à quel point l’ennéagramme leur permettait encore aujourd’hui, plusieurs années après, de rire ensemble des petites incompréhensions quotidiennes et de s’accueillir mutuellement pour mettre en commun ce qu’ils ont de meilleur.
Sur votre site, on peut lire que dans votre formation à l’ennéagramme, « l’outil est présenté de manière neutre, mais il est arrimé à une anthropologie aristotélicienne et chrétienne. » Qu’est-ce que cela signifie ?
C’est en effet ce qui fait notre spécificité, c’est un créneau choisi car il nous a semblé important de donner un cadre anthropologique clair et solide à un outil qui s’intéresse à la personne. De formation philosophique au départ, c’est tout naturellement que je me suis tournée vers l’éthique aristotélicienne, notamment par sa définition de la vertu, définie comme un juste milieu entre deux excès. Pour Aristote, l’homme est fait pour le bonheur et a une orientation spécifique vers le bien, spécifique car il est limité. C’est un peu comme le versant d’une montagne, qui n’est pas le seul accès possible mais qui permet, comme les autres, d’accéder au sommet.
Quand une personne se découvre en base 6 par exemple et qu’elle réalise que son moteur est la peur, la bonne nouvelle est de savoir dans le même temps que sa vertu propre est le courage, qui n’existe pas sans peur, et qui est un juste milieu entre la couardise et la témérité comme le dit Aristote dans l’Ethique à Nicomaque. Et que ce courage, il en est le porte-flamme, il est là pour ça. L’autre bonne nouvelle est qu’en activant sa vertu propre de courage, selon le principe de saint Thomas de la connexion des vertus, il devient dans le même temps plus sereine, plus généreuse, plus équanime etc.
Par ailleurs, la clarification de ses talents propres peut aussi donner quelque chose à voir de notre petite mission dans le monde: que la personne de base 2 est faite pour prendre soin de l’autre, sans être envahissante, celle de base 8 est faite pour la protection, sans écraser, celle de base 7 est faite pour l’enthousiasme, sans superficialité.
D’ailleurs, pouvez-vous nous préciser pourquoi il est important de ne pas considérer un outil psychologique comme un moyen spirituel, de salut ? (même si cela peut y contribuer, indirectement)
Très important ! Central. Pour en parler j’aime utiliser l’image des trois cercles concentriques de Simone Pacot. Pour elle, le cercle extérieur est celui du corps qui est ce qui m’apparaît en premier: vous êtes brune Solange, jeune, les yeux bleus. Le cercle suivant est celui de la psyché, qui m’échappe déjà beaucoup plus déjà: votre tempérament, mais aussi votre histoire, votre éducation, votre culture. Le troisième est celui du cœur profond, de l’unicité de la personne (Saint Paul l’appelle l’esprit, on pourrait aussi parler de fine pointe de l’âme, de for interne). C’est le lieu de sa vie spirituelle, de son rapport à Dieu, un peu comme la septième demeure de Thérèse d’Avila. Il est important de souligner et je le fais en stage de manière assez appuyée, que l’ennéagramme s’occupe du deuxième cercle, celui de la psyché et jamais du troisième qui est un lieu intime et profond où le formateur ou le thérapeute ne pénètrent jamais.
Cela dit, comme vous l’évoquiez, l’homme ne peut se saucissonner en tranches et il existe des interactions permanentes entre ces trois cercles: vous avez pu constater qu’une baisse de forme aura une influence sur votre humeur et votre vie de prière et à l’inverse, votre vie intérieure peut rayonner sur votre visage. Nous invitons donc les personnes à faire ces liens par eux-mêmes, au besoin à l’aide d’un accompagnateur spirituel, pour tendre à l’unité. En bref, l’ennéagramme peut lever certains obstacles psychologiques à l’accueil de la grâce, lui en faciliter l’accès, mais jamais devenir un outil prométhéen, ni s’y substituer. D’où l’intérêt d’un cadre anthropologique clair.
Vous animez cette formation à l’ennéagramme avec votre mari François Huguenin, lui-même éditeur et écrivain. Qu’est-ce que cette collaboration apporte à votre couple ?
C’est une école de vie ! Pour tout vous dire les débuts ont été musclés. Nous sommes de deux caractères bien différents et il nous a fallu développer une grande écoute mutuelle pour tendre à ce que nos différences ne s’opposent pas mais se complètent, pour que nos manières de voir les choses s’accordent et s’harmonisent. François est plutôt intello et je suis plus pragmatique. Le cadre rationnel et les exemples historiques sont ses points forts et je développe plutôt un accompagnement personnel. Les deux sont importants et comme la respiration, nous avons appris à insuffler l’un et l’autre au gré des besoins du groupe.
Une autre approche qui vous intéresse particulièrement est celle de la psychogénéalogie. Pourquoi ?
L’ennéagramme n’est qu’une cartographie de la personnalité, en stage nous donnons une carte et une boussole aux stagiaires pour qu’il tracent eux-mêmes leur route. Elle n’inclut pas directement l’histoire familiale, culturelle et sociale de la personne, qui compte aux deux-tiers dans son profil de personnalité. L’outil est donc insuffisant pour appréhender les différentes dimensions de la personne et il m’a semblé important de me former à un outil qui permette d’accéder à cette dimension.
Le principe de la psychogénéalogie est que nous héritons d’un passé, dont nous ne connaissons pas toujours les arcanes et auquel nous restons loyaux d’une manière ou d’une autre. En creux ou en plein, pour le meilleur et pour le pire. L’enjeu de la psychogénéalogie est de prendre conscience de ce sac à dos avec lequel nous naissons et d’en tirer ce que nous voulons garder pour faire fructifier un héritage et laissons ce qui ne nous encombre, qui ne nous appartient pas, qui nous entrave. Encore une affaire de liberté. C’est l’approche thérapeutique la plus profonde que je connaisse; je l’intègre en séance individuelle de psychothérapie – notamment pour son accès à l’inconscient, mais pas en stage, dont l’objet n’est pas directement thérapeutique.
Parlons maintenant de la méthode Vittoz, que vous utilisez dans l’accompagnement en psychothérapie ; vous êtes praticienne Vittoz certifiée formée à l’IRDC (Institut de recherche pour le développement cérébral). Qu’est-ce que Vittoz ?
La méthode Vittoz est une approche psychocorporelle dont l’enjeu est d’être capitaine sur son bateau. Son principe est que le cerveau a deux fonctions : une fonction émissive (celle qui nous permet de penser, d’imaginer, d’élaborer mentalement) et une fonction réceptive (les informations qui viennent à nous par les sens: vue, odorat, ouïe, toucher, goût mais aussi proprioception c’est-à-dire les mouvement que nous percevons de notre corps). Un fonctionnement ordinaire, optimal du cerveau alterne ces deux fonctions. « Quand une sensation est juste, la pensée est juste » écrit le docteur Vittoz. Hélas force est de constater que notre société hyper sédentarisée et hyper connectée ne va pas dans ce sens et qu’une émissivité incontrôlée engendre souvent fatigue, anxiété, difficultés de sommeil, stress… qui peuvent aller jusqu’au burn-out ou la dépression. La méthode Vittoz permet de rééduquer l’alternance naturelle émissivité-réceptivité par le biais du corps pour ne plus subir les agressions intérieures et extérieures et gagner en liberté intérieure. Elle est dite intégrative car il n’est pas nécessaire assez rapidement de lui dédier un temps spécifique, mais elle peut s’intégrer dans la vie quotidienne: se laver les mains, marcher en forêt, converser avec vous…
Quels sont les bénéfices de l’approche Vittoz ?
On pourrait distinguer deux bénéfices, qui demeurent étroitement liés. Quelque chose d’un art de vivre et d’une pédagogie qui permettent de vivre ici et maintenant: savoir savourer son café le matin sans déjà se laisser envahir par le torrent des informations, apprendre à écouter le chant des oiseaux, se laisser surprendre par un sourire, de prendre le temps de goûter la vie. Et ce n’est déjà pas mal.
Il y a aussi une dimension psychothérapeutique à la méthode Vittoz. Le corps ne ment jamais selon l’expression d’Alice Miller et s’y reconnecter peut permettre de retrouver des lieux de blocage et s’en libérer. C’est par le corps que se manifestent les émotions et c’est par lui que peuvent remonter à la conscience certains pans de l’inconscient. Et c’est le corps encore qui donne les moyens de les accueillir, d’oser y demeurer le temps nécessaire à les comprendre et d’y consentir, pour poser des actes et des choix plus libres. Car le but du jeu n’est pas d’atteindre un état de bien-être, béatitude, zénitude illusoire en toutes circonstances, mais d’accueillir qui nous sommes, avec nos forces et nos faiblesses, et de nous ajuster aux autres et au monde le plus librement possible.
Depuis que vous pratiquez Vittoz dans votre vie, qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
Au démarrage, j’ai gagné deux bonnes heures de sommeil. Puis les choses se sont approfondies. J’ai pu prendre conscience des moments où ma tête projetait des scénarii qui n’avaient rien à voir avec le réel ou de ceux où mes émotions étaient sans proportion avec les événements. J’ai pu mettre cela en lien avec mon histoire et tendre à mettre chaque chose à sa juste place. C’est bien sûr un travail qui est toujours en cours avec ses reculs et ses avancées. Cela n’efface pas le passé mais permet de s’enrichir des expériences plutôt que d’y réagir automatiquement. Je crois que le changement fondamental est d’apprendre chaque jour un peu plus à « vouloir ce qui est » selon la très belle expression du docteur Vittoz, c’est-à-dire à accueillir le réel, qu’il soit enthousiasmant (le bleu du ciel, le froid du matin, le rire des enfants) ou difficile (la souffrance d’un proche, une incompréhension relationnelle), sans lutter contre lui mais en nous ajustant librement à lui. C’est un chemin qui n’exclut pas la souffrance mais qui apporte beaucoup de paix intérieure.
Pourriez-vous nous proposer en direct sur ce podcast, un court exercice (scan corporel?) Vittoz ?
Bien sûr ! Je vous propose à vous Solange et aux auditeurs, de faire un petit stop dans notre entretien et de sentir la posture de votre corps ici et maintenant, quelle qu’elle soit. Une pause p.a.u.s.e. par la pose p.o.s.e..
Puis passez du dehors au-dedans, en fermant les yeux c’est souvent plus facile, pour prendre conscience de vos pensées: sont-elles paisibles ou follettes ? Et de votre émotion principale: êtes-vous plutôt dans l’inquiétude, la tristesse d’un souvenir, la colère, la joie ? C’est votre point de départ.
Puis après ce petit état des lieux, vous pouvez lâchez tout cela et sentir très simplement votre respiration telle qu’elle est sans chercher à la modifier: l’air qui entre dans vos narines avec une température, qui parcourt votre corps aux différents niveaux (gorge, poitrine, ventre) et le met en mouvement, et l’air qui ressort peut-être avec une autre température. Puis sentez vos points d’appui au niveau des pieds, des fessiers si vous êtes assis, du dos. Sentez que vous êtes soutenus, portés. Puis portez votre attention sur votre visage, votre cou, vos deux bras, le dos, la poitrine et le ventre qui se soulèvent au gré de votre respiration. Peut-être pouvez-vous demeurer quelques instants au niveau de votre cœur. Puis accueillez votre bassin, vos fessiers et chacune de vos deux jambes, jusqu’aux pieds. Sentez votre corps dans sa globalité, en mouvement par la respiration et soutenu par les points d’appui. Soyez en état de présence à vous-même, simplement.
Puis revenez à votre état. Comment vous sentez-vous à présent? Que se passe-t-il au niveau de vos pensées, des émotions? Qu’est-ce qui a changé, qui s’est transformé? Si un mot venait pour résumer cet état, quel serait-il? Demeurez dans cet état le temps qui est bon pour vous puis vous pourrez passer du dedans au dehors quand ce sera suffisant, pour que nous reprenions l’entretien.
QUESTION COURTE, RÉPONSE COURTE :
Complétez cette phrase : « L’être humain est… »
… à l’image de Dieu. Et toute sa vie consiste à retrouver cette image perdue, comme le décrit le père Barthélémy dans son très beau livre Dieu et son image, jusqu’au dernier jour où, selon l’incroyable parole de saint Jean : « nous serons semblables à lui car nous le verrons tel qu’il est ».
Le livre que vous lisez en ce moment ?
Guérir son enfant intérieur de Moussa Nabati, le cœur de la thérapie selon moi. On y découvre qu’en chacun de nous sommeille l’enfant que nous avons été et qui demeure très présent. Si nous avons eu une enfance heureuse, sécurisée, affectueuse avec des cadres et des limites, cet enfant est comme notre ange gardien, celui qui nous garde dans l’émerveillement, l’accueil de ce qui est, qui nous fait « voir comme l’enfant au réveil » selon l’expression du docteur Vittoz. Mais si nous avons eu une enfance blanche selon l’expression de l’auteur, c’est-à-dire privée de ce dont un enfant a besoin pour se développer harmonieusement, cet enfant intérieur va devenir comme un fantôme, à la recherche d’une consolation, d’une récupération, d’une compensation extérieures. Pour ces adultes souffrants, dont je reçois certains dans mon cabinet, il y a une espérance de transformer ce fantôme en ange gardien, par un processus d’autonomisation et encore une fois, de liberté.
L’un de vos films préférés ?
Cyrano de Bergerac de Rappeneau. Pour la tendresse, le verbe, la beauté des paysages et des costumes, l’alternance de la gravité et du rire comme dans la vie, le panache et surtout pour cette vulnérabilité qui se cache sous ce colosse brillant et secret qu’incarne de manière magistrale Gérard Depardieu.
Un beau moment en famille avec votre mari et vos cinq enfants ?
Nos enfants sont presque tous de jeunes adultes et les moments que je préfère sont les repas familiaux où les joutes de pensée se transforment en joyeux feux d’artifice dans une grande liberté: tout y passe, actualité politique, pensée philosophique, match de foot, musique pop ou cinéma. Avec ce contrat que deux d’entre eux ont établi : « jamais nos différences ne seront séparatrices ».
Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?
J’espère que je saurais lui dire : Mon âme exalte le Seigneur, mon esprit exulte en Dieu mon sauveur!
Enneagram rhapsody
ENNEAGRAM RHAPSODY
par Marie
de base 8
« Je suis submergé par toutes ces personnalités! » Les Rivers Crossing, dans une reprise de BohemianRapsody de Queen, s’essaient à une autre manière d’aborder la typologie de l’ennéagramme. Outil au service d’une meilleure connaissance de soi et d’une meilleure compréhension des autres, il nous aide à voir plus profondément en nous, au niveau des motivations souvent inconscientes qui nous habitent. Pour prendre de la distance avec nos automatismes et avancer vers plus de liberté intérieure.
« Ouvrez les yeux », demandent-ils. C’est bien le cœur du sujet. Le principe de l’ennégramme est que nous avons une manière de voir le monde qui correspond à un neuvième de la réalité. Elle est tout notre monde, mais elle n’est pas le monde entier. Le chemin auquel il nous invite est d’élargir l’espace de notre tente, voir plus loin et plus large que ce qui nous est familier, sortir de notre zone de confort, ouvrir les yeux.
Le spectacle commence au piano, dans un style lyrique et doux. Il est accompagné du chœur de l’introduction et de légères lumières. Quoi de mieux pour introduire le type 4? La voix pleine d’émotions, il déclare avoir « besoin de plus de sympathie ». Besoin d’attention du 4, peur de ne pas être vu, faible estime de soi. Mes sentiments vont et viennent, au gré du regard de l’autre, tels un yoyo qui le fait se sentir vivant. Puis, une envolée lyrique nous ouvre à l’originalité, la profondeur et le sens de l’absolu des personnes de base 4. Car au même endroit se trouve en lui, comme en chaque base, la faille et la lumière, le travers et le talent.
Avec la base 7 qui lui succède, le ton reste étonnamment mélancolique, au regard de l’image de joyeux drille que cette base peut donner. La souffrance est au cœur de sa problématique, en creux. Les personnes de base 7 passent souvent leur vie à fuir contrainte, enfermement, souffrances, au risque de d’un jour être submergé par elles. Leur voie d’évolution sera la sobriété pour ne pas céder à l’étourdissement et oser avancer en eau profonde. Ce qui ne changera pas leur nature, le couplet s’achevant sur une invitation à partir en soirée, où une place nous sera gardée… par une personne de base 2. Jolie transition.
« Drama ou ouou! », s’exclame le 9, « Pouvons-nous juste tous bien nous entendre? » Cette soif d’harmonie se mêle à une poussée de voix puissante, révélation de la force du 9 qui, quand il s’agit de paix, peut sortir les crocs, « parce que la paix est tout ce qui compte ». S’il se laisse entraîner par sa peur du conflit et de l’affrontement, il ne pourra pas activer sa vertu, l’action juste. Le travail des personnes de base 9 va donc être de contacter cette colère qui les habite et qu’ils se cachent à eux-mêmes par peur des conséquences, pour faire confiance à leur corps et se positionner quand cela est nécessaire.
Après un interlude musical qui annonce très bien le besoin de solitude et de silence des personnes de base 5, le chanteur quitte son piano pour dire: « Au-revoir tout le monde, je dois partir, j’ai encore trop de choses à penser ». Sobre, clair, efficace. Donner de soi, de son temps, de son savoir, est un chemin long et ardu, avec comme fruit un moment de musique bref sans doute, mais tout en délicatesse et profondeur. Car la générosité est bien ce que les personnes de base 5 ont à apporter au monde, de manière privilégiée.
« Mama ou ouou ! » Le 4 revient sur le devant de la scène (parce que c’est sa forme !), se jette à genoux devant le public et reprend son refrain lyrique: « Quelquefois je ne sais même plus qui je suis! » s’effondre-t-il. Batterie au rythme d’un cœur et solo de guitare électrique…
Puis la musique prend un tournant léger et joyeux, un rythme enjoué et presque drôle pour introduire la base 2. Avec un peu d’ironie, le chœur refuse son aide et le ton prend des accents dramatiques, presque agressifs : « Laissez-moi faire quelque chose, que tout le monde m’aime, je vous en prie! » Car la personne de base 2 est taillée pour le service, le care of, mais se rend rarement compte que son moteur, le besoin d’amour et de reconnaissance peut devenir envahissant: explosion de lumières sur scène qui peut figurer la lumière qui jaillit quand par la vertu d’humilité, les personnes de base 2 peuvent apprendre la gratuité du don.
Changement radical d’atmosphère avec la base 6 : le chanteur se cache dernière son piano, inquiet. L’agressivité demeure mais ce n’est plus celle qui veut agir pour l’autre mais qui veut s’en protéger. Les dangers sont multiples face à cette multiplicité de caractères dont on ne peut prévoir à tous les coups les réactions. Il lui en faudra du courage pour affronter sa peur et développer la loyauté et la droiture qui caractérisent les personnes de base 6.
Le 1 « ne lâchera jamais l’affaire, jamais ! – Lâche l’affaire » répète encore et encore le chœur dans un martèlement régulier. Une réponse : « Non, non, non, non, je ne lâcherai pas l’affaire! » Car si je la lâchais, la beauté du monde serait en danger. L’action de chacun est requise et le travail toujours inachevé pour mettre de l’ordre dans le chaos avec rigueur, précision et détermination. Le challenge pour cette base sera pourtant bien de lâcher le contrôle, oser prendre du repos et laisser courir la vie dont l’imperfection peut révéler la beauté.
Sunlights et feux d’artifice sur scène ! C’est l’entrée de la base 3. La lumière obéit à l’injonction de celui pour qui l’image, l’efficacité et la performance sont au cœur. Mais ne nous y trompons pas, ce n’est pas un arriviste, un opportuniste, mais bien plutôt un amoureux de l’amour dont la croyance est que pour être aimé, il est important de réaliser. Et pour que ses talents d’entrepreneur puissent donner leur fruit, son chemin passera par l’accueil de ce cœur dont il n’écoute pas les informations, par peur d’être ralenti.
En apothéose, un long morceau de rock nous fait entrer dans l’univers de la base 8 : force, élan de vie, énergie considérable qui prend tout l’espace, voix roque et puissante. « Si tu me gênes, tu vas mourir » : la vie est une jungle où le plus fort gagne pour protéger le plus faible. « Si tu ne peux pas le faire, tu ferais mieux de t’éloigner de moi ». Justicier, ennemi de la mollesse et de la paresse, il fuit la faiblesse, et la sienne d’abord. Pourtant, l’interlude à la guitare électrique qui se prolonge au piano dans un registre plus doux révèle le défi de la base 8 : la douceur, dont il est le hérault. N’est-elle pas le signe de la vertu de force ?
« Tout le monde compte de manière égale », c’est le mot de fin qui aurait pu être prononcé par une personne de base 9, dans une atmosphère englobante et douce. A l’instar du personne n’est indispensable, il envoie un chacun est précieux. Le monde a besoin d’amélioration constante (1), de care of (2), de réalisation (3), de connexion émotionnelle (4), de science (5), de vigilance (6), d’enthousiasme (7), de force vitale (8) et d’harmonie (9). Ôter une manière de voir le monde, il perd son équilibre. Reconnaître humblement quelle est sa petite mission pour la mettre au service, est un des enjeux de l’ennéagramme.
Petit bémol à cette tentative de mise en forme : cette idée de « faire le test » à la fin de la chanson. On ne peut demander à une machine de nous dire qui nous sommes et chacun est le seul à connaitre ce qui le meut, à son rythme. C’est le cœur de la déontologie de la tradition orale de l’ennéagramme. C’est toute la beauté, la délicatesse et la complexité de cet outil qui engage autonomie et responsabilité. Deux jours en groupe ne sont pas trop pour passer du 2D au 3D et se laisser émerveiller par les richesses des vies intérieures, à commencer par la sienne. Et si vous tentiez l’expérience ?
Les trois centres d’intelligence
LES TROIS CENTRE D’INTELLIGENCE
validés scientifiquement
Notre société cartésienne l’a longtemps pensé, et notre système éducatif en porte la trace : l’intelligence est celle du cerveau, de la rationalité. Hors de la tête, point de salut! Elle est justement à la tête et doit être toujours privilégiée. Depuis les travaux de Salovey et Mayer, dans les années 90, popularisés par Daniel Goleman, auteur du best-seller, L’Intelligence émotionnelle, on sait que les émotions aident à mieux appréhender les personnes et les situations. Plus récemment encore, on a pris conscience que le corps a aussi sa forme d’intelligence. C’est lui qui sait comment nous devons réagir face au danger, qui sent les personnes, les lieux, les atmosphères… Les sensations, au contraire des sentiments et de nos réflexions qui peuvent transformer l’appréhension du réel, ne nous trompent pas, elles sont, simplement. « Le corps ne ment jamais », selon l’expression d’Alice Miller.
Les progrès de la neurologie viennent scientifiquement de démontrer l’existence réelle de ces trois centres d’intelligence. L’Institut HeartMath, composé de scientifiques qui mènent d’importantes recherches sur les fonctions du cœur, a découvert que le cœur est loin de n’être qu’une pompe servant à la circulation sanguine. Il est également muni d’un cerveau composé de dizaines de milliers de neurones, lieu notamment de la création de l’hormone de l’attachement. Il émet un champ électromagnétique et révèle plusieurs fonctions supplémentaires. Une interaction entre le cerveau du cœur et le cerveau de la tête a été identifié, ainsi qu’entre les émotions et les battements cardiaque et enfin sur un plan plus subtil, le cœur aurait une influence sur l’intuition.
Quant au corps, on sait désormais que le ventre est un lieu de vitalité et d’intelligence particulièrement riche. Au bas mot, 200 millions de neurones s’y trouvent localisés et notre vitalité en dépend très largement, ainsi que notre bien-être puisqu’il s’agit du lieu de création de la dopamine et de 95% de la sérotonine, deux neurotransmetteurs qui agissent fortement sur nos comportements.
Ce qui est notable est que le cerveau du ventre est autonome par rapport à celui de la tête. Comme si le corps humain avait besoin de plusieurs salles des machines pour fonctionner : la tête, le cœur et le ventre.
Nous possédons tous bien sûr ces trois centres d’intelligence. Mais un des enjeux de l’ennéagramme est de prendre conscience que, selon notre base, nous avons surinvesti un de ces trois centres d’intelligence, au détriment des deux autres. Une des voies d’évolution sera donc de tendre à l’équilibre de ces centres. Et la méthode Vittoz nous en donne les moyens: en nous mettant à l’école de nos cinq sens, elle nous permet de redonner à notre corps toute sa place, de se laisser informer par lui. Ancrés par lui dans l’instant présent tel qu’il est, nous devenons plus libres de ne plus nous laisser envahir par le vagabondage cérébral et nous pouvons donner à nos émotions leur juste place.
Quand les neurosciences confirment
Neurobiologie, dynamique relationnelle et Ennéagramme : LES TROIS CENTRES D’INTELLIGENCE
Traduit par le CEE avec permission du site drdaviddaniels.com
David Daniels, Professeur en médecine, a longtemps dirigé le département sciences comportementales de l’université de Stanford. Il est également co-fondateur de la Tradition Orale de l’Ennéagramme et auteur du best-seller Trouvez rapidement son profil Ennéagramme… et savoir qu’en faire. Il a également enseigné l’Ennéagramme à l’Université de Stanford, aux Etats-Unis et à l’international pendant plus de vingt ans.
Comment nos relations –et donc nos vies- sont-elles reliées à notre neurobiologie ?
L’envie d’écrire cet article provient des énormes travaux de recherche accomplis depuis plusieurs années et qui donnent une crédibilité nouvelle à l’Ennéagramme. En effet, la science commence à reconnaître que l’homme, comme tous les mammifères, partage trois centres d’intelligence. Centres à partir desquels nous faisons l’expérience, percevons et discernons ce qui se passe dans le champ à tout moment. Nous avons été tellement habitués à penser que notre intelligence résidait seulement dans notre cerveau, cette matière grise située au-dessus de nos épaules, que c’est déjà une surprise d’apprendre qu’il y a en fait trois endroits à partir desquels nous pouvons ressentir et évaluer le monde extérieur.
Depuis le départ, le système de l’ennéagramme a évoqué ces trois centres d’intelligence ou trois champs d’expérience. Je suis toujours stupéfait qu’un tel savoir était connu depuis longtemps, bien avant que les microscopes, les scanners et autres progrès technologiques du siècle dernier aient pu, de leur côté, prouver que ces trois centres étaient une réalité. Le système de l’ennéagramme, en effet, est subdivisé en trois parties, chacune étant en correspondance directe avec ce qui est maintenant considéré comme les trois centres d’intelligence des humains/mammifères. Les trois centres se présentent comme suit :
. le centre de la tête, également appelé centre mental ou centre de la pensée
. le centre du cœur, également appelé centre émotionnel
. le centre corporel, également appelé centre physique ou centre moteur
Le système de l’ennéagramme est donc validé par ce que ces trois centres démontrent quant à tous les comportements des mammifères. Les neurosciences montrent, en effet, que tous les mammifères ont trois réactions aversives lorsque leurs trois besoins fondamentaux ne sont pas comblés :
– La détresse ou la panique survient lorsque nous faisons l’expérience d’une perte ou d’une connexion vitale avec les autres. La détresse est reliée au centre d’intelligence du cœur, qui concerne ce qui touche au lien et à l’amour. Dans la théorie de l’attachement, l’expérience que fait l’enfant d’une connexion saine crée un lien sécurisé et pose les fondations d’une vie émotionnelle et psychologique saine.
– La peur ou la terreur survient lorsque nous faisons l’expérience d’une menace, d’un danger, d’une insécurité ou d’une incertitude. La peur est reliée au centre d’intelligence mental, qui essaye de comprendre ce qui nous rend la vie prévisible et sécurisée. Dans la théorie de l’attachement, un attachement sécurisé permet à l’enfant d’être vu et par-delà sécurisé.
– La colère ou la rage survient lorsque nous faisons l’expérience de n’être pas traités correctement ou que nous ne sommes pas pourvus de ce dont nous avons besoin ou désirons. La colère est reliée avec le centre d’intelligence corporelle ou des tripes, qui ressent ce qui ne va pas dans le monde et ce qui n’est pas satisfaisant. Dans la théorie de l’attachement, le lien sécurisé amène l’enfant à faire l’expérience de la protection, dont tous les enfants ont besoin et qui est également relié directement à ce centre.
C’est trois réactions fondamentales sont très puissantes parce qu’elles sont des réactions d’alerte et qu’elles sont douloureuses. Elles sont en relation directement avec le centre de notre être et, par là, au sentiment de plénitude du tout dans l’unité. Aussi, il y a un sentiment de bien-être ultime incrusté dans chacune de ces émotions que nous nous efforçons de ne pas ressentir. La colère essaye d’éviter la rupture avec notre besoin essentiel de bien-être et d’estime de soi, la détresse essaie d’éviter la rupture avec notre besoin d’amour inconditionnel et de connexion vitale, et la peur essaye de nous éviter la rupture avec le savoir de nous priver de ce qui rend la vie prospère et sécurisée.
Alors que chacune de ces réactions est critique à comment nous survivons, nous développons et grandissons, nous ne pouvons pas faire face aux vicissitudes de la vie, si ces réactions sont constamment sous pression. Notre capacité à adapter, ajuster et gérer ces réactions devient partie prenante de notre chemin de développement. Donc, même avec si elles sont par nature aversives, ces réactions existent pour de bonnes raisons et sont fondamentalement « bien intentionnées ». Elles sont immédiatement présentes lorsque nous percevons que les trois besoins fondamentaux de sécurité/certitude, amour/connexion, et valeur/besoins sont menacés ou ne sont pas remplis. La figure ci-dessous montre les trois besoins fondamentaux, les trois réactions aversives correspondant à chacun de ces besoins, et le centre d’intelligence auquel chacune est reliée.
Figure : Les émotions aversives de base et les trois centres d’intelligence
Au fil des siècles, la psychologie et l’éducation occidentales ont porté l’intelligence mentale au pinacle et l’ont vénéré comme le centre de l’intelligence. Aujourd’hui, la science démontre sans le moindre doute l’existence des deux autres formes d’intelligence, tout aussi puissantes : l’intelligence du cœur (intelligence des émotions) et l’intelligence du corps (intelligence des sensations et du mouvement). L’ennéagramme prend en compte ces trois centres, reconnaît que chacun d’eux existe en nous, et que chacun d’eux peut être entraîné. Si nous sommes en connexion avec chacun des ces centres, chaque type de l’ennéagramme s’appuie plus fortement sur l’un d’entre eux.
La capacité à reconnaître et à évaluer lequel de ces trois centres vous privilégiez le plus souvent est un merveilleux premier pas vers une meilleure conscience de soi. Alors, reconnaître, valoriser, et intégrer ces trois centres en tant que «forces également compétentes» est crucial pour tendre vers une vie équilibrée et développer des relations harmonieuses. Il est essentiel de parvenir à équilibrer ces trois forces à l’intérieur de nous, afin de pouvoir ensuite les mettre en œuvre dans nos relations.
LE CENTRE-TÊTE DOMINANT : types 5, 6, 7
Si le centre -tête est dominant, je tends à filtrer le monde à travers mes facultés mentales.
– Les buts de cette stratégie sont de minimiser la peur, anticiper les possibles situations douloureuses et maximiser la certitude en utilisant les processus mentaux que sont l’analyse, la vision et la planification. Si nous pouvons décoder le monde extérieur, comprendre et anticiper ses sollicitations, alors, nous gagnons en sécurité et en évaluation des risques.
– Cela demande d’anticiper le futur, à la fois positivement et en envisageant les manifestations potentiellement dangereuses, afin de développer des stratégies ad hoc avant le possible événement.
– Tous les types dépendent de l’intelligence mentale pour développer les qualités supérieures du centre mental comme la prévenance, le discernement, et la sagesse.
– Mots clé : sécurité, certitude, protection, assurance, prévisibilité, pensée.
– Lorsque nous ne nous sentons pas à l’aise dans ces mots clé, nous réagissons par la peur/terreur, comme tous les mammifères, avec des variations de peur chez les humains parmi lesquels l’anxiété, le souci, le doute et l’appréhension.
Le CENTRE-CŒUR DOMINANT : types 2, 3, 4
Si le centre cœur est dominant, je tends à ressentir le monde via le filtre de l’intelligence émotionnelle.
– Je suis sensible et je m’ajuste à l’humeur et à l’état émotionnel des autres, afin de combler mes propres besoins d’être accepté, d’être en lien, de recevoir de l’affection et d’être reconnu. Plus que les autres profils de l’ennéagramme, je suis dépendant de la reconnaissance et de l’admiration des autres. J’en ai besoin pour établir une bonne estime de moi-même et créer une identité que je perçois comme aimable. L’idée, c’est de m’assurer que je vais combler mon besoin d’amour et de lien.
– Pour m’assurer de recevoir approbation et reconnaissance, je tends à me créer une image qui va amener les autres à me valoriser, à m’accepter et à me considérer comme spécial. Par ailleurs, le pouvoir de ce centre est amplifié par l’émotion positive du prendre soin de, ce bon sentiment qui émerge des liens que nous ressentons dans une relation. Cette émotion est partagée par tous les mammifères. La relation mère-enfant illustre cette histoire de lien. Toute notre vie, nous avons besoin de ressentir un tel sentiment.
– Tous les profils Ennéagramme s’appuient sur leur intelligence émotionnelle pour ressentir et développer les qualités supérieures du centre du cœur, comme l’empathie, l’écoute de l’autre, la compassion, la gentillesse.
– Mots clé : amour, connexion, affection, lien, sentiment et reconnaissance.
– Lorsque nous ne nous sentons pas à l’aise dans ces mots clé, nous réagissons par la détresse/panique, comme tous les mammifères, avec des variations de détresse chez l’homme parmi lesquelles la tristesse, la mélancolie et la honte.
Le Centre Corps dominant : Types 8, 9, 1
Si le centre corps est dominant, je tends à filtrer le monde par mon intelligence kinesthésique: le mouvement dans l’espace, les sensations physiques et une connaissance sensorielle.
– Je vais utiliser ma situation et mon pouvoir pour rendre la vie conforme à ce que je veux qu’elle soit, obtenir ce que je veux et sortir du champ ce qui m’empêche d’obtenir ce que je veux. Je vais tendre vers des stratégies qui assurent ma place dans le monde, obtenir ce que je veux, et maximiser mon confort.
– Tous les profils dépendent de l’intelligence corporelle pour développer les qualités supérieures de ce centre : évaluer intérieurement l’énergie requise pour l’action, discerner quelle puissance utiliser pour accomplir cette action le plus justement possible, et développer la sensation « d’être ancré », d’exister là, dans le monde.
– Dans l’enfance, sans distinguer clairement la plupart des situations, nous sommes naturellement ancrés dans le moment présent. Toute notre vie, c’est notre centre corporel qui nous ramène dans le moment présent, ce que nous pouvons faire consciemment en nous recentrant sur nos sensations. Lorsque nous sommes vraiment ancrés (quand nous savons exactement qui et où nous sommes dans le temps et dans l’espace), nous ressentons les frontières de notre individualité dans le monde, nous nous sentons « incarnés » et, à partir de là, nous pouvons avancer dans notre vie, et nous relier sainement aux autres.
– Mots clé : puissance, valeur, respect, protection, confort, entreprendre l’action, harmoniser, appartenance.
– Lorsque nous ne nous sentons pas à l’aise dans ces mots clé, nous réagissons par la colère/rage, comme tous les mammifères, avec des variations chez l’Homme parmi lesquelles l’irritation, le ressentiment et l’impatience.
Causerie d’été
UNE PETITE HEURE D’EMISSION SUR RCF AVEC LE PHILOSOPHE NORBERT MALLET sur les rapports entre foi et méthodes de connaissance de soi
Faut-il avoir peur des méthodes de connaissance de soi ? Sont-elles compatibles avec la foi chrétienne ? Pourraient-elles même lui être utile ? C’est autour de ces questions que Norbert Mallet, philosophe et formateur, auteur du livre Le développement personnel du chrétien, a donné un entretien à RCF que je ne peux que vous inciter à écouter.
Norbert Mallet est à la fois rigoureux et bienveillant, à l’écoute et convaincu, savant et pédagogue. Aucune question ne lui fait peur, pas même celle des réticences de l’Eglise face à certains outils. S’il reconnaît l’entière légitimité de la prudence de l’Eglise et de son refus de tout ce qui est lié à un esprit new-age ou gnostique, il convoque la philosophie d’Aristote et la théologie de saint Thomas d’Aquin pour encourager une saine vision du développement personnel.
Je retiendrais de ces propos deux points. Tout d’abord le fait que dans la veine aristotélo-thomiste, il y a toujours eu l’idée qu’il existe une éthique des caractères, fondée sur la reconnaissance de leur différence et qui fait que chacun a, selon son profil de caractère ou sa passion dominante, une voix de progression éthique particulièrement adaptée, une manière propre de concourir au bien commun. Se connaître soi-même, avoir conscience de son caractère, de ce qui le sous-tend est alors bien loin d’un nombrilisme stérile, mais gage de fécondité.
Ensuite, en s’appuyant sur cette idée bien connue et magistralement développée par saint Thomas, que la grâce présuppose et accomplit la nature sans la nier, Norbert Mallet montre comment des outils comme l’ennéagramme ou la méthode Vittoz ont toute leur place dans une démarche humaine complète. S’il ne s’agit pas de confondre les plans, on ne saurait les séparer. Une juste distinction, une harmonieuse articulation entre corporel, psychique, éthique et spirituel est indispensable pour respecter l’unité de la personne humaine.
Si seul Dieu sauve, bien de nos problématiques ne sauraient se régler par le tout spirituel ou par ce que Norbert Mallet appelle la psychologie « hors-sol ». Beaucoup de nos comportements récurrents ont le fruit d’une méconnaissance de soi et la simple conscience peut véritablement opérer un profond changement. Nombreux sont ceux qui parlent d’un avant et d’un après dans la vie personnelle, conjugale, familiale et professionnelle.
Cette émission (accessible via le lien ci-dessous) s’offre sur le ton d’une conversation simple et profonde et s’écoute avec plaisir en temps de vacances : un joli moyen de faire un point pour, pourquoi pas, prendre un nouveau départ…
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Les deux pieds sur terre
ENNEAGRAMME ET SPIRITUALITÉ CHRETIENNE
Cela faisait longtemps que je rêvais d’animer une session dans un cadre monastique où cette méthode de connaissance soi qu’est l’ennéagramme aurait pu être articulée, sans confusion ni séparation, à une démarche spirituelle. Non pas à la façon d’Icare, ce personnage de la mythologie grecque mort d’avoir tenté de se rapprocher du soleil, mais avec les deux pieds bien plantés en terre, dans le réel et le présent. C’est chose faite, grâce à Panorama, car j’ai eu la joie d’animer avec François une session pour les lecteurs du journal au monastère de Bose, près de Turin. Retour sur ce temps fort.
Le principe était simple : transmettre l’outil de manière neutre, comme nous avons l’habitude de le faire, et proposer aux 57 stagiaires d’approfondir leurs découvertes à travers temps de silence et de prière, accompagnement par des moines et moniales de la Communauté, offices… Ainsi les domaines naturel et surnaturel seraient bien distincts grâce à la distinction des temps, des lieux et des personnes : chacun pourrait à sa guise et à son rythme faire les ponts intérieurs nécessaires.
Et c’est de manière très naturelle et harmonieuse que les choses se sont mises en place. Un thème était abordé en session, et la lecture spirituelle proposée à l’office s’en faisait l’écho. L’Évangile était proclamé à la messe et trouvait son incarnation dans l’étude qui suivait. Jusqu’à certaines clés de la pratique de la Lectio divina que nous donna Enzo Bianchi, fondateur de Bose, pour nous faire entrer plus avant dans l’intelligence des Écritures et son rapport avec la vie quotidienne de chacun.
Mais plus encore que les enseignements, c’est sans doute la prière commune avec les près de 80 membres de la Communauté, également répartis entre moines et moniales, qui servit de ciment invisible et de creuset intérieur. La messe quotidienne célébrée par le Père Paul, stagiaire, l’émouvante musicalité des psaumes en italien à deux voix mixtes trois fois par jour ; mais aussi la vie quotidienne partagée avec les frères et sœurs de Bose : repas, conversations, vaisselle, visites des ateliers d’iconographie… ont permis cet équilibre subtil entre les langages du cœur, du corps et de l’esprit dont parle le Pape François.
Entre nous, la dynamique du stage a fait naître une communion étonnante : trois jours après le début du stage, un groupe était né, des amitiés s’étaient tissées dans l’humilité, la bienveillance et la vérité. Point d’orgue de cette fraternité : la dernière soirée, consacrée à une veillée de prière, où Jean-Baptiste de Fombelle, rédacteur en chef de Panorama eut le génie de laisser à chacun l’initiative. Prières et chants spontanés, louange et intercession, psaumes et lectures de Saint Paul sont montés vers le ciel devant le Christ en majesté de l’Eglise de Bose, dans une communion simple, profonde et joyeuse. Chacun a pu déposer son fardeau, demander les grâces nécessaires et remercier de ce qu’il est, selon le psaume 139 : « C’est Toi qui m’as formé les reins, qui m’as tissé au ventre de ma mère ; je te rends grâce pour tant de mystère : merveille que je suis, merveille de tes œuvres. »
Le tour de piste final manifesta avec émotion et sobriété les fruits de cette session : joie et paix reçues dans la contemplation du mystère de chacun, à travers une démarche humble et joyeuse de connaissance de soi. Nous sommes redescendus dans la vallée chacun – organisateur, animateurs et participants, différents de ce que nous étions à l’arrivée; avec des clés nouvelles pour mieux nous connaitre nous-mêmes et mieux comprendre les autres, une plus grande liberté intérieure.
« Gloria a te, Cristo risorto ! »
Homère et l’Ennéagramme
LE VOYAGE D’ULYSSE A LA LUMIERE DE L’ENNEAGRAMME
Par Xavier Villette
Consultant en relations humaines
De quand date l’ennéagramme ? Entre ceux qui prétendent que l’ennéagramme est la construction mentale d’un aventurier du XXème siècle, et ceux qui vont rechercher des traces chez les pères de l’Eglise, en passant par les soufis, par les mathématiciens musulmans du moyen âge… la liste des possibles est longue.
Cet été, j’ai eu l’occasion de faire un pas de plus sur ce sujet, en étudiant de plus près un des plus grands textes du patrimoine littéraire de l’humanité, l’Odyssée d’Homère. Une amie avait piqué ma curiosité en me parlant d’un coach américain, Michael Golberg, qui a écrit sur ce sujet. Je me suis donc armé d’un exemplaire de l’Odyssée, en français, et de deux ouvrages de Golberg, en anglais cette fois, et j’ai lu. C’est impressionnant. En voici l’histoire, un chapitre à la fois.
Chapitre 1 : Les mangeurs de Lotus ?
Ulysse quitte Troie, commet encore quelques massacres chez les Cicones, puis prend la mer sérieusement pour se rendre à Ithaque et retrouver Pénélope. Un voyage de quelques semaines qui va durer… 10 ans. Il fait une première étape chez les Lotophages, ce peuple si gentil, sans conflits, mâcheurs de Loto, cette activité d’apparence anodine par laquelle ils se « narcotisent », au point d’oublier qui ils sont. Ils n’ont d’ailleurs guère de courage pour en sortir (acédie). Ce peuple ne vous rappelle rien ?
Chapitre 2 : Ulysse chez les Cyclopes
Laissant les Lotophages, Ulysse gagne donc le pays des Cyclopes. Changement de décor. Ici la nature est luxuriante et sauvage. Polyphème, puissant géant à œil unique, qui vit en maître de son petit univers, qui ne craint pas plus les dieux que ses adversaires, une sorte de force brutale, tout en excès, fort peu attentif aux dégâts collatéraux de ses colères. Son œil unique voit l’adversaire devant, mais pas sur les côtés. Trop sûr de sa force pour imaginer même qu’Ulysse puisse lui faire du mal, il ne peut être vaincu que par ruse. Une fois affaibli, il crie vengeance. La force brutale, le refus de se voir faible, l’excès, voyons, voyons…
Chapitre 3 : Eole, l’île qui flotte sur la mer
Ulysse reprend la mer et aborde sur les rivages d’Eole, l’île qui flotte au gré des vents, là où les habitants font la fête tous les jours, et vivent dans une attitude de joie apparente, toujours prêts à évoluer selon le vent, à saisir l’opportunité nouvelle. Ils regardent la vie du bon côté : pourquoi ce bonheur ne durerait-il pas toujours ? Leur roi aide Ulysse à partir. Il lui permet même d’avoir en rêve la vision d’Ithaque mais se préoccupe assez peu des modalités pratiques pour y retourner vraiment, par un long voyage. Ulysse est rejeté sur l’île, après une faute de son équipage, qui a transgressé les conseils du roi. Tant pis pour eux. Le roi s’est détourné de ce problème qui commence à le lasser. Ah, si tout le monde pouvait voir la vie du bon côté comme les éoliens !
Chapitre 4 : Méfiance en Lestrygonie
Ulysse repart et arrive en Lestrygonie. L’entrée du port est plus inquiétante qu’accueillante. On sent que la population vit dans une attitude de doute et de peur, a priori défensive. Elle craint toujours le pire. Le roi est paranoïaque. Il attaque et détruit la flotte d’Ulysse à titre préventif. Ulysse ne sauvera qu’un navire sur douze. Homère a une vision bien noire de ce peuple-là. N’a-t-il pas aussi de bons côtés ?
Chapitre 5 : Circé ou les connaissances de la sorcière
Alors Ulysse arrive chez la sorcière Circé qui vit cachée au cœur d’une forêt, un peu en ermite dans son palais (château-fort ?), entourée de lions et de loups. Mais on n’envahit pas Circé sans risque ! Elle accueille les compagnons d’Ulysse mais c’est pour les ensorceler et les transformer en porcs (dans la mythologie, le porc est un vorace, un glouton qui ne pense qu’à se remplir l’estomac. Il n’en a jamais assez). Circé piège ainsi ceux qui sont obnubilés par leur quête jamais assouvie d’approfondissement d’un champ étroit de connaissances. Ulysse ne se laisse pas prendre. Alors Circé partagera avec lui son savoir, lui révélera des secrets qui lui permettront de se rendre dans le territoire des ombres, puis de traverser le pays des sirènes, puis d’éviter les dangers de Charybde et Scylla. Le savoir de Circé est grand, et quand elle est bien disposée, elle le partage. Encore faut-il parvenir à passer ses défenses et savoir comment l’aborder.
Chapitre 6 : L’Hadès et les sirènes
Circé coache Ulysse. Grâce à ses informations précieuses, il va être capable d’entrer dans le monde terrifiant, noir, des ombres des morts. Il va affronter la mélancolie des morts, leur désir si fort d’être différents de ce qu’ils sont et de ce qu’ils ont été. Il saura se protéger de l’envahissement des émotions. Il parviendra à sortir de là, ayant trié en lui-même les émotions auxquelles il donne droit de cité, et celles auxquelles il renonce.
Ayant fait le tour de ses propres ombres intérieures, Ulysse peut naviguer de nouveau. Il traversera le territoire des sirènes, il saura écouter la beauté suave et insoutenable de leur chant qui lui dit : « nous savons qui tu es profondément ». Lié au mât de son bateau, il ne pourra pas en modifier le cap, et échappera à l’écueil mortel de ne se tourner que vers lui-même.
Chapitre 7 : Charybde et Scylla
De Charybde à Scylla, seul compte de gagner, les pertes sont inévitables. Voilà bien un lieu où le problème n’est pas de méditer sur ses émotions intérieures. Là il faut réussir. Seul le résultat sera vu et apprécié. Il faut aller vite, ne pas s’arrêter, naviguer en évitant les écueils. La trajectoire droite n’est pas forcément la plus efficace. Louvoyer un peu en fonction des dangers est bon, puisque cela réussit. Bien sûr, il y aura des pertes au passage. Mais business is business, Ulysse est prévenu et il devra bien s’y faire malgré ses résistances. Il n’a qu’à se mentir un peu à lui-même : de toute façon il n’y a qu’une seule solution, foncer. La vitesse est primordiale.
Chapitre 8 : Calypso, prisonnier d’un amour possessif
C’est sur l’île d’Ogigie qu’Ulysse est resté prisonnier 7 années. Malheureux homme : emprisonné dans la douceur de la belle nymphe, de jour comme de nuit. Calypso l’a recueilli mourant. Elle a su ce qu’il lui fallait, elle a répondu à tous ses besoins sans même qu’il ait besoin de les exprimer. Elle l’aime et se donne à lui et pour lui. Une seule chose lui est refusée : partir. Il est prisonnier de cet amour possessif. Elle espère qu’en l’emprisonnant elle en obtiendra son amour en retour. Il faudra l’ordre supérieur de Zeus pour qu’elle le libère, et c’est seulement là qu’il l’aimera et qu’elle sera vraiment heureuse de l’aider gratuitement, en toute liberté. Amour, emprisonnement, liberté, don de soi aux autres…
Chapitre 9 : Les Phéaciens ou « faire les choses comme il faut »
Enfin, Ulysse aborde en naufragé l’île des Phéaciens. Là, les choses qui méritent d’être faites méritent d’être bien faites. Ulysse n’aborde pas en conquérant. Il respecte les usages. Il se conduit correctement et humblement. Secouru par Nausicaa, la fille du roi, il va se rendre au palais de son père. Un palais parfait, comme tout le reste ici. Le roi comprend qu’il est de son devoir moral d’aider Ulysse, et s’y met aussitôt. Avant de partir pour Ithaque, Ulysse devra se résoudre à participer aux Olympiades de ses hôtes, qui sauront le pousser à donner le meilleur de lui-même. Puis les marins du roi, parfaits navigateurs, amèneront Ulysse à Ithaque, malgré l’opposition de Poséidon. Perfection, rigueur morale, idéaux élevés, toujours faire bien ou même mieux…
Conclusion : de quand date l’enneagramme ?
Vous les avez reconnus : de 9 à 1, dans l’ordre inverse, les 9 étapes du voyage d’Ulysse correspondent exactement aux 9 types de l’ennéagramme, et dans l’ordre inverse. Le mot ennéagramme n’est jamais cité. Il n’existait pas d’ailleurs. Et puis nous sommes dans un poème. Mais tout de même, la correspondance ne peut pas laisser indifférent.
Revenons à notre question de départ. De quand date l’ennéagramme ? Je ne le sais toujours pas. Mais Homère, que l’on situe quelque part entre 900 et 700 avant Jésus-Christ, semble nous faire un clin d’œil : quelque chose de cette pensée sur la personne humaine était déjà connu à ce moment-là.
Il reste que dans l’ensemble, ces 9 descriptions sont le plus souvent très noires, alors que pour ma part je pense qu’il y a quelque chose d’un talent particulier de chaque type qui est donné comme une grâce au monde. Il fallait peut-être, pour compléter ce regard attendre Jésus-Christ.
Traverser l’épreuve
LA VIE EN BLEU
Martin Steffens
Marabout
Enseignant la philosophie à Metz, Martin Steffens a un nom de sprinteur belge spécialisé dans les classiques flandriennes. On le connaît comme un des jeunes auteurs chrétiens les plus prometteurs, notamment grâce à un savoureux Petit traité de la joie. Avec La Vie en bleu, il nous introduit à une belle réflexion sur le sens de l’épreuve. Sans connaître l’ennéagramme ni Vittoz, il aborde la question en philosophe de manière étonnamment proche de ce que nous livrent ces deux outils sur la question.
Le titre du livre dit beaucoup de cette éthique du juste milieu, du juste positionnement que l’on aime chez Aristote. On connaît l’expression la vie en rose ou celle qui décrit son contraire, la vie en noir. A contrario de ces deux postures extrêmes, l’une niant l’épreuve, l’autre s’y laissant engloutir, Martin Steffens choisit le bleu : bleu des coups que nous recevons de la vie, bleu du bleu de travail que l’on doit enfiler pour apprendre à vivre. Car ce que propose Martin Steffens ici est un chemin de vie : accueillir l’épreuve, la traverser, pour en sortir plus vivant.
Ce livre sera d’une grande utilité pour certains types de l’ennéagramme, à commencer bien sûr par le type 7. Les personnes de base 7 sont expertes pour tourner la page de la souffrance, sans se laisser le temps de l’accueillir. Aux 7, Martin Steffens explique que nier l’épreuve, la souffrance, qui peut être de l’ordre du deuil le plus éprouvant mais aussi de la pénibilité la plus anodine, c’est nier une part de vie qui est en nous. Il décrit cette manie de positiver : ce n’est pas grave, ça ira mieux demain qui n’est pas de l’ordre de l’espérance ou de la joie, mais du refus du présent réel pour un présent imaginaire ou un futur hypothétique. En 7, le risque est, en refusant l’émotion aversive (tristesse, douleur, ennui), de se nier tout court. En voulant arracher l’ivraie de la vie, déraciner en même temps le bon blé. Cette stratégie qui est à l’origine de la fuite du 7 dans les plaisirs et dans les projets, lui interdit ce à quoi il aspire, la joie, qui ne peut être vécue que dans la conscience du moment présent.
Il me semble que ce livre ne s’adresse pas qu’aux personnes de base 7, mais très particulièrement aux trois bases que Riso et Hudson nomment les « types assertifs » : 3, 7 et 8. Chacun à sa manière évite si ce n’est la souffrance comme en 7, plus généralement l’épreuve. En 3, c’est celle de l’échec qui est niée. On sait que le 3 et le 7 sont les deux types qui ont le plus de mal à vivre les émotions aversives et notamment leurs deuils: en 7 car cela fait souffrir, en 3 car cela est un frein à l’efficacité. Tous les deux sont menacés de prendre d’un coup en boomerang, à l’occasion d’une épreuve parfois minime, tous les deuils non faits pendant leur vie. C’est alors le temps des larmes, ce qui est inconfortable mais sain, ou, plus problématiquement celui de la dépression et du burn-out. Les 3 et les 7 doivent apprendre avant d’en arriver là, à accueillir l’épreuve, mais aussi à ne pas en sortir trop vite. Laisser le temps à la vie de faire son œuvre, de creuser son sillon…
Cette problématique est moins caricaturale en 8 qui, en tant que base privilégiant le centre instinctif, est plus facilement dans le présent et qui n’a pas peur de la souffrance. Mais il y a en 8, un profond déni de sa propre vulnérabilité qui verrouille la porte devant toute expression de faiblesse, ce qui constitue une manière très puissante de nier l’épreuve. Les 8 donnent souvent l’image de personnes fortes qui ne souffrent pas alors qu’elles se violentent profondément en niant la sensibilité et la vulnérabilité qu’elles croient ainsi protéger.
On pourrait dire que l’épreuve est pour chaque base de l’ennéagramme une occasion d’accueil de ce que mon ego a toujours voulu fuir : la possibilité de commettre une erreur en 1, l’éventualité de ne pas être aimé en 2, la confrontation à l’échec en 3, la banalité de la vie ordinaire en 4, l’hypothèse de ne pas tout comprendre en 5, la présence perpétuelle du danger en 6, les occasions de souffrance en 7, ma propre vulnérabilité en 8, l’existence du conflit en 9. Ainsi, l’ennéagramme nous apprend à repérer ce qui, au sein de notre existence, représente l’épreuve majeure et qui, pour une personne d’une autre base que la nôtre pourrait sembler anodin, ou du moins, pourrait être traversé plus facilement. Il nous apprend où se situe le nœud de notre humanité, où le combat spirituel s’engage. Car comme le dit le Père Pascal Ide, ma base de l’ennéagramme est l’endroit où je suis le plus béni, celui de mon talent, mais elle est aussi celui où je suis le plus attaqué, blessé, pécheur.
Apprendre à traverser l’épreuve est un défi de chaque jour, dans les petites et grandes circonstances de l’existence. Si l’ennéagramme nous donne une carte et une boussole pour nous orienter dans les méandres de notre vie intérieure, la méthode Vittoz nous donne les moyens de cette traversée. En apprenant à vivre l’instant présent par le biais du corps et de ses sensations, il devient possible de mettre à distance le mécanisme de défense de notre type qui n’a pour but que d’éviter la confrontation à l’épreuve majeure de notre personnalité. Accueillir ce qui est, y compris ses propres réactions inappropriées, et cela sans jugement, permet à chaque type de vivre l’épreuve qui lui est propre en la mettant à sa juste place: sans la nier ni la dévaluer, mais sans la surjouer non plus. Ce faisant, cette démarche qui spirituellement évoque celle de l’abandon, est le chemin de la vraie joie.