du faire à l’être

DU FAIRE A L’ETRE
Témoignage de confinement / 5
par Barbara, de base 3 en tête-à-tête

Le confinement ne représente pas pour moi un arrêt brutal de l’activité mais plutôt la confirmation d’un ralentissement entamé depuis quelques mois déjà et l’approfondissement d’une prise de conscience, un changement profond de paradigme.

Au début du confinement, c’est mon sous-type tête à tête qui a été le plus fortement impacté. Les conversations et entretiens en face-à-face ont toujours eu à mes yeux, une grande importance. Je suis coach et thérapeute, et pour moi, la co-construction se fait dans la présence que seule, et c’est ce que je croyais jusque- là, la relation en face à face pouvait assurer. Bien sûr, de base 3, avec son goût pour les défis, les objectifs, je m’étais à plusieurs reprises prêtée au coaching en ligne ou à la formation à distance, mais toujours avec une espèce de dédain et la conviction que cela enlevait une grande partie de l’efficacité.

Puis est arrivé le confinement, et j’ai dû, bon-gré mal-gré, si je voulais poursuivre mon activité, proposer la thérapie à distance. Quelques-uns de mes clients ont accepté, et oh surprise, j’ai découvert que je pouvais là aussi créer une vraie présence, une vraie relation et à quel point cela pouvait être efficace. Pour ma base 3 tête-à-tête cela s’est avéré très positif.

Tout-à-coup, et cela aussi a été une bonne surprise, je pouvais passer plus de temps avec mon époux. De base 3 comme moi, il a tendance à travailler beaucoup, à se déplacer souvent, bref, à être en mouvement. Avec le confinement, plus de déplacements, du télétravail, et davantage d’activités en commun, promenades, travaux de jardin et surtout plus de moments de répit, de conversations longues, profondes, essentielles, de bons repas partagés. Un ralentissement, une intériorisation qui fait du bien.

Au début du confinement, fidèle à ma base 3, il fallait que je trouve des choses à faire, que je me pose des défis. Animer des conférences, m’inscrire dans un groupe de coachs qui allait travailler sur des formations en ligne, être volontaire sur une plateforme de thérapeutes bénévoles pour écouter les personnes qui ne vont pas bien. Aucun de ces projets ne s’est fait comme je le pensais. Au début je n’ai pas compris pourquoi, cela a généré de la frustration, une comparaison malsaine avec les autres où moi, forcément, j’étais en échec.

Aujourd’hui je comprends pourquoi cela ne s’est pas fait. Le confinement m’a mise en face de cette dualité être/faire qui a été, pendant une grande partie de ma vie, ma ligne directrice. Le confinement m’a invitée à ne rien faire, ou à en faire moins, à avoir une autre relation au temps, à être. Difficile au début, parce que je l’ai vécu comme de la procrastination, de la paresse (peut-être ma flèche en 9?), avec son lot de critique intérieure. Puis, petit à petit, j’ai commencé à me laisser vivre, à me laisser guider par mes sensations, je suis restée de longs moments à contempler la nature qui s’éveillait, les bourgeons qui se formaient, les abeilles qui butinaient et à écouter les oiseaux qui inondaient l’espace de leurs chants mélodieux. Je me suis assise, j’ai médité, j’ai fait du yoga en pleine présence, et j’ai trouvé cela si agréable. Aucune pression, aucun besoin de faire mes preuves, d’atteindre un objectif, pas besoin de plaire ou d’impressionner, juste être là. Et, comme dans un flux, naturel, juste, à mon niveau, je me suis mise à disposition des personnes qui avaient besoin de moi pour les écouter et les soutenir inconditionnellement.

Je ne fais pas vraiment de plan pour le futur, car quand j’anticipe trop, ma flèche en 6 me fait voir tous les risques, tout ce qui pourrait mal se passer. Alors, je préfère méditer sur la peur pour l’apprivoiser et être capable de faire des plans raisonnables, ne pas retomber dans un excès d’activité pour combler, ou au contraire dans une paralysie bloquante.

Cette période de confinement m’apprend à faire confiance en ce qui est là, en ce qui émerge dans l’instant, à me faire confiance et à faire confiance dans le fait que les choses vont se mettre en place naturellement dans une action juste, sans forcer ni batailler.

Tribulations

TRIBULATIONS
Témoignage de confinement / 4
par Pascal, de base 6 en survie

Peur sur la ville, peur sur le pays, peur pour le monde, la pandémie de COVID 19 telle que je le perçois est à la fois un grand chamboultout et une espérance relative compte-tenu de la nature humaine.

De base 6, je devrais angoisser, stresser, douter; un peu comme un lapin pris dans les phares d’une voiture… ce n’est pas totalement le cas: je me dis que je m’en sors plutôt bien, vivant dans le quartier calme et résidentiel de La Clairière à Rambouillet, entouré de verdure, avec un espace clos et avec ma chatte Lana, petit rayon de soleil qui vient d’avoir cinq ans aujourd’hui (même jour que la reine d’Angleterre).

Par contre, je sens la frustration (ce n’est rien eu égard à la situation de milliers de gens malades, aux soignants, aux isolés et ceux qui sont en détresse économique) d’être privé de liberté (je respecte les règles). Etre livré à l’imprévu, à l’impondérable, c’est difficilement tenable, moi qui aime bien planifier, organiser, prévoir, anticiper: vacances, voyages, sorties, stages – j’espère que nous aurons le M4 et M5 cette année! Cela me fait penser à l’apôtre Jacques qui dit dans son épître qu’il y a dans le cœur de l’homme beaucoup de projets mais que seuls s’accomplissent ceux qui sont permis par l’Éternel.

De sous-type survie, je n’ai eu pas eu l’idée ou l’envie de stocker (riz, pâtes, etc) mais par contre, je suis plus inquiet (stressé) à l’idée de choper le virus et sur les perspectives à venir lorsqu’il faudra repartir au boulot: masques, tests… qu’en sera-t-il après le 11 mai… on entend beaucoup de choses et son contraire et cela me perturbe: je n’aime décidément pas le flou.

De centre mental, je ne m’ennuie pas avec moi-même: mon aile 5 est fortement développée, au point que j’ai douté lors du M1 être de base 5. Mais après bien des stages, des lectures et surtout en actionnant mon observateur intérieur, je suis convaincu que mes fixations sont le doute et la peur. Une personne de base 6 qui doute d’être 5 , cela a du sens! Je m’adonne à la lecture de la Bible – primordial, et il faudra aussi bientôt finir la licence de Théologie, approfondir mon anglais et lire beaucoup…  Je planifie, je structure mes journées pour avoir des activités variées: aile 7 peu développée mais qui me pousse aux jeux de mots et à la gourmandise.

Moi qui ai du mal avec mon corps (les exercices Vittoz sont peu aisés) et le confinement n’étant pas bon pour la balance; ma flèche 9 me donne de continuer le vélo d’intérieur, le rameur (à défaut de trop pouvoir sortir à l’extérieur, même avec un ausweis), la relaxation, la cohérence cardiaque et la ronron-thérapie (merci le chat). J’ai bien avancé les articles de bio ennéagramme pour le site de Valérie, mais ma flèche 9 me pousse à prendre le temps (je suis un peu diesel parfois). Moi qui suis un solitaire , j’apprécie les coups de fil quand ils ne sont pas intempestifs, et les moyens de web technologies tels que skype, zoom, Whatsapp qui nous permettent de rester en contact avec les chrétiens de l’Eglise: on se salue de loin mais on se voit.

Cette période est une occasion de s’interroger sur le sens de la vie, sur sa relation à Dieu. Il m’est possible de suivre des conférences et des prédications, des tables-rondes autour de pasteurs, de théologiens, de philosophes… le thème étant: Que fait un Dieu bon dans un monde en crise?

Je ne suis pas optimiste quant au devenir de ce monde… Il y a déjà deux mille ans Pierre écrivait « La fin de toute chose est proche. » 1P, 4, 7. Un pasteur en Israël me disait il y a peu: « Nous sommes à H-2 avant le grand retour ». Les clignotants pour le retour de christ sont au vert: nous vivons sans doute une période formidable, à condition d’avoir fait la paix avec Dieu, en ayant reconnu Jésus comme notre Sauveur et Seigneur personnel.

Je voudrais terminer sur deux éléments plus légers! Ma flèche 3 est peu utilisée sauf quand avec mon épouse qui est aussi à la maison, nous jouons à des jeux de société (Scrabble, IchtusTrivial pursuit chrétien ou yamsje n’aime pas perdre, même si j’ai fait d’énormes progrès et je bénis Dieu de m’avoir donné Catherine qui est de base 9 et beaucoup plus positive que moi: je dois travailler le contentement de soi et c’est dur…

Un dernier mot – verset d’encouragement,  en cette période troublée : « Nous savons en outre que Dieu fait concourir toutes choses au bien de ceux qui l’aiment, de ceux qui ont été appelés, conformément au plan divin. » Épître de Paul aux Romains, 8, 28

Aïe aïe aïe & youpi !

AÏE AÏE AÏE ET YOUPI à la fois, aurais-je du temps?
Témoignage de confinement / 3
par Maguelonne de base 9 en survie

Durant les trois premières semaines du confinement, mon sous-type survie, a pris le dessus… au point d’étouffer les caractéristiques de ma base 9. Je me suis retrouvée mère de famille, comme au bon vieux temps, lorsque j’avais mes trois enfants à la maison… pas évident après sept années sans.

Tous ne sont pas venus s’installer chez nous, deux sur trois. Mes réflexes d’antan m’ont éclaté au visage! Nourrir ma famille, que personne ne souffre du manque. J’étais, en ce temps là, organisée en conséquence, dans une routine rassurante.

Et me voilà partie en croisade, cherchant tous les bons plans pour acheter ce dont nous avions besoin, selon mes critères (et ce ne sont pas ceux des miens qui sont plutôt cools), pour que chacun.e puisse continuer son travail, sans avoir à se préoccuper du quotidien… C’était mission impossible! Serait-ce l’exigence et le perfectionnisme de mon aile 1?

C’était pulsionnel, compulsif, occupant mon esprit jour et nuit… Mon corps en tension, et en même temps je faisais ce que je savais bien faire, ouvrir un supermarché chez moi et surtout gérer pour ne pas connaître de rupture de stock!!! Ah! Ah! Ah! Mission là aussi impossible! Les stocks cela descend toujours.

Je me voyais comme sur un écran de cinéma, cette représentation de moi projetée juste devant moi. Je me suis prise en flagrant délit de nombreuses fois… sans pouvoir intervenir pour m’apaiser, me pauser… moi qui en ai tellement besoin, pour prendre le temps, prendre mon temps… Car après tout je sentais bien qu’au fond de moi, c’était une occasion d’expérimenter un autre rythme, dans ma maison, dans une routine qui me va.

Par contre me retrouver en confinement chez moi, dans des conditions privilégiées puisque nous avons de la place pour que chacun.e ait son espace, avec un jardin qui s’épanouit chaque jour durant ce printemps si particulier… j’aime çà ! Observer les bourgeons qui éclosent sur les arbres, les uns après les autres, à l’unisson pour certaines variétés comme le liquidambar et les différentes essences de bouleaux; attendre que le hêtre pleureur qui est toujours le dernier, s’y mette enfin… Accueillir comme un cadeau les tableaux offerts par Dame Nature sous les rayons du soleil…

J’ai rêvé de commencer ma journée en m’étirant, en prenant le temps de faire une méditation et une cohérence cardiaque, puis écrire sur les sujets sur lesquels j’aimais aimé avoir du temps… puis tranquillement préparer un repas, m’alanguir dans une chaise longue, en plein soleil si généreux en ce moment… et regarder le bal des oiseaux, écouter les chants si particuliers de chacun… Mais là encore mission impossible pour moi! Les besoins de ma famille sont bien plus précieux que les miens…

Je vois que je ne sais pas, en moment de crise, entendre mes besoins. Et pourtant des signes commencent à apparaître… une grande fatigue, une lassitude, mon corps qui me fait mal de partout… la fibromyalgie dormante, se réveillant petit à petit… la tristesse m’envahissant… me sentir seule face à tout çà.

Et je marche dans notre jardin. Je croise mon mari ou un de mes enfants, qui viennent prendre un temps de respiration au milieu de leurs journées hyper denses pour deux d’entre eux… leur sourire et en même temps sentir leurs préoccupations, la densité qu’ils ont à vivre… Je me sens alors comme une éponge qui absorbe tout… cherchant ce que je peux faire pour les soulager… et c’est dur pour moi.

J’oscille d’une émotion à l’autre comme dans un punching ball. Je me sens crispée, parfois abattue, fragile et forte à la fois, agitée et calme tout au fond de moi, sur la défensive à l’extérieur et en sécurité chez moi… Je me laisse traverser, ce n’est pas trop désagréable… je m’en étonne.

Maintenant que ce confinement s’installe dans le temps, j’ai trouvé comment nourrir les miens sans que cela soit trop lourd pour moi… Les actions justes ont été posées. J’accepte que chacun.e prenne sa part, à sa mesure… je ne porte plus toute seule.

Je souhaite m’offrir les semaines qui viennent comme un temps bien mérité car en bon petit soldat j’ai, me semble-t-il, bien organisé le quotidien de la maison… Et là aussi je sens que c’est juste pour moi.

Je me sens plus paisible aujourd’hui, contactant cette paix que je sais toujours présente au fond de moi. Je mange sainement, et mon corps m’en remercie. Je sais comment nourrir ma vie spirituelle. Lorsque mon Jiminy Cricket viens taper sur l’épaule pour m’appeler à nourrir les besoins des autres… je lui souris et lui réponds qu’ils sont assez grands pour les nourrir eux-mêmes. Il est temps de nourrir mes besoins. Méditation, écriture, prière, marche dans le jardin, rêvasser, regarder le temps s’écouler… celui là j’adoooore! Je suis en contact avec moi et je sais qu’alors il émane de moi une certaine paix et que c’est ce que j’ai à apporter au monde.

Le lien social est pour moi simple à entretenir, les technologies actuelles nous permettent tant de choses… un thé festif avec trois amies pour fêter les cinquante ans de l’une d’elle, un apéro dînatoire avec mon mari et quatre couples de Moscou, Paris et Toulouse… un tête-à-tête avec différentes amies… Avoir très régulièrement ma fille aînée, rire avec mes trois petits-fils, m’émerveiller du dernier de quatre mois.

Et puis il a le rendez-vous tous les soirs à 20h pour applaudir tous ceux qui travaillent pour sauver nos vies, pour permettre que le quotidien soit vivable, je pense aux caissières de supermarché, aux éboueurs, aux livreurs, aux facteurs/factrices… et j’en oublie ! Temps de gratitude, de reconnaissance.

Et il y a le temps de soutien d’une voisine seule et en pleine dépression, d’une amie chère qui vient de perdre sa maman, m’associer par la prière le jour de l’enterrement, appeler tous les deux jours ma mère seule chez elle, veiller à ce que tout soit organisé pour qu’elle ne manque de rien… Prendre des grandes respirations… Continuer.

Actuellement je ne me sens pas en manque de liens. J’ai plutôt besoin de ne pas multiplier les rendez-vous… A un moment donné, c’était trop pour moi. Exercice de la vie, j’ai su parfois dire ce qui était possible pour moi, et ce qui ne l’était pas… Je continue à apprendre à dire de vrais Oui ou de vrais Non. Mon corps sait, à moi de l’écouter.

En fait c’est ma vie qui s’installe dans un rythme, je finis par m’y retrouver. Comme chez moi, l’ennui connais pas, j’ai confiance en mes capacités à traverser ce temps de confinement et à savoir vivre l’après… Après tout n’est-ce pas cela la vie?

 

Taillé pour la crise

TAILLÉ POUR LA CRISE
Témoignage de confinement / 2
par Nathan, de base 3 en tête-à-tête

Covid-19, le Président clame l’état de guerre. Une guerre avec des généraux incompétents comme au début de 14-18, voilà ce que m’a donné l’impression de cette drôle de guerre, avec une défaite annoncée. Dur pour ma base 3. Pas de logistique, pas de ressources, et un corps de bataille déjà exténué. Je le sais, je travaille dans un hôpital.

L’aubaine? Les premiers quinze jours. L’occasion de déployer toute l’énergie d’une équipe et d’assister à la transformation des équipes de chercheurs, de médecins spécialisés dans d’autres domaines que la virologie pour parer à l’urgence. La joie de tout réorganiser. Une fatigue écrasante aussi. L’élaboration de nouvelles initiatives dès les premiers jours – et bien avant qu’on en parle – pour les personnes dans les EHPAD, dont nous savions qu’elles seraient exposées singulièrement.

Le piège du surmenage est alors prêt à se refermer. Mais là, je le savais, étant un peu habitué par ma base à l’excitation (presque frénétique) que dope ce type de situation.

J’ai vu de belles choses qui m’ont aidé à prendre du recul sur la gloire, ce fameux « soleil des morts » dont parle Balzac. J’ai vu des médecins et infirmières se délasser, pratiquer le tai-shi pour se détendre. Je me suis arrêté pour les admirer après la nuit infernale vécue. Je pouvais me joindre à eux. J’ai refusé gentiment. Timidité? Non, je voulais admirer en silence les mouvements déliés, une sorte de communion fraternelle entre les membres des équipes qui s’unissaient dans une chorégraphie éblouissante dans le clair matin des jardins de la Pitié-Salpêtrière. C’était retrouver, pour moi, cette joie enfantine du regard qui découvre, admire et contemple la nature comme si c’était le premier matin du monde.

J’ai eu la faiblesse de ne pas m’arrêter assez longtemps, d’autres urgences me réclamaient. Toujours des urgences. Et je sais les résoudre avec une équipe formidable qui n’a pas compté son temps, ses heures, ses week-ends. Avec toujours ce risque de s’épuiser, d’être à bout de souffle, de dompter par sa volonté tenace le corps malgré des yeux boursouflés de fatigue. Pour une fois, peut-être plus que davantage, j’ai écouté mes proches qui me disaient de souffler, de me reposer. Atterrissage dans le corps étonnant.  Dormir mais garder un rythme exigeant. Dormir peu mais dormir tous les jours.

Lâcher prise aux angoisses et se dire qu’on ne pourra pas tout faire, être partout, que les forces sont comptées, les moyens contraints et que la créativité elle aussi à ses propres limites…

La relation entre mon type 3 et mon sous-type one-to-one, se trouve-t-elle affectée? Oui et non. Je continue à voir du monde, à travailler. Jamais autant travaillé d’ailleurs. Mais il y a cette distance que l’on observe. Un mètre ce n’est pas grand-chose mais c’est si loin de ceux avec qui j’ai besoin de mes shoots les yeux dans les yeux. J’en éprouve de la gêne et aucune conférence zoom, facetime ne remplace l’être, la complicité, le moment de qualité passé à table. Bien sûr, j’éprouve ces moments en famille, amis au travail, je suis finalement coincé. C’est frustrant. Et même si l’efficacité reprend le dessus, je sens sourdre une nostalgie du monde d’avant, celui de la poignée de main. Toujours cette nostalgie d’un lointain Paradis perdu? J’ai du mal à creuser, peut-être de peur de rencontrer des émotions trop fortes. La mélancolie est le poison de l’action. Mais toutes les émotions ne sont pas de la mélancolie. N’y a-t-il pas une forme d’inanité à contempler le creux, la béance? Bref, beaucoup de questions que je m’attache à disséquer les unes après les autres en essayant d’être le plus juste possible, sans me mentir à moi-même.

En famille, en couple par contre, c’est la joie d’avoir paradoxalement de meilleurs moments, de poser davantage les choses, de se ressourcer davantage. Je voudrais croire que pour l’ensemble de notre société, il y aura un avant et un après et que finalement, une forme d’ordre naturel reprendra le dessus. Et de cela, je doute.

Je voudrais croire pour moi, que mon travail sera le support de ma vie de famille et non pas l’inverse. Finalement, j’appelle cette réalisation de soi de tous mes vœux sans vraiment en discerner le chemin. A cet égard, j’aimerais un confinement plus long, pour me laisser assez de temps pour me transformer de l’intérieur. Parce que le confinement – même quand on travaille – reste un moment exceptionnel, étrange. Le temps s’est ralentit. Et j’aime ça malgré tout. Il y a cette tension permanente – plus prégnante – entre l’action et les moments pour souffler.

Et la vie spirituelle là-dedans? Plus profonde. Plus inquiète aussi. Plus dense. Plus visitée par des inspirations que je ne sais pas avoir de moi-même. Tôt levé, je peux admirer le lever du soleil et prendre du temps au calme, commencer doucement mon chapelet, suivre des yeux le jour naissant, ce printemps magnifique et simplement rendre grâce. Et surtout, surtout me taire et écouter Celui qui est le Maître de toute vie.

Je ne sais pas encore si j’ai pu mettre en place des choses nouvelles dans ma vie. C’est difficile à dire. Il faudrait plus de recul sur l’événement et un retour à une vie normale. Mais cette vie existera-t-elle? Après le Covid-19, d’autres combats, notamment celui de l’économie nous attendent. J’ai plutôt l’impression qu’après un premier choc, il faudra resserrer la jugulaire de son casque pour d’autres batailles. Cette crise fractionne et unit à la fois. De ces deux forces, laquelle sera la plus forte dans le temps? Ma ressource ici est de croire que l’on peut tout surmonter ensemble. Mais il faut s’assurer de la fiabilité des personnes (j’active ma flèche 6), les sonder. C’est un peu la pesée des âmes. Il faut négocier aussi, en permanence, se montrer à la fois ferme et compatissant (un peu de 9, mais pas trop quand même!)

Voilà ce que je puis dire de cette période étrange où l’on réalise des choses étonnantes avec une équipe soudée. Et où l’on prend aussi plus le temps de discuter ensemble paradoxalement, d’aller plus au fond des choses. Quelque chose de plus authentique, de plus vrai se dessine. Et je goûte une écoute nouvelle avec mes proches comme avec mes collaborateurs. Si nous n’avons gagné que cela, j’estime que c’est déjà un beau cadeau de cette crise, au-delà de la souffrance.

Alors, je sais que nous allons continuer à nous organiser, à rationaliser, à inventer. Mais ce qui est beau, et je prends le temps de m’arrêter pour le regarder, c’est que les femmes et les hommes ne sont pas les moyens de cette grande aventure collective, mais des personnes extraordinaires dans leurs doutes et dans leur action déterminée. Certains soirs, une grande tendresse pénètre mon âme pour ceux avec qui je vis au travail comme en famille, parce que j’éprouve enfin le sentiment plénier d’appartenir à une grande et si belle famille humaine.Si capable. Si généreuse.

Une époque formidable

UNE EPOQUE FORMIDABLE
Témoignage de confinement / 1
par François, de base 7 en social

Le confinement pour moi est un mélange étrange d’atmosphère joyeuse et anxiogène.

Il est certain que le vivre en famille complète et dans une maison avec jardin n’est pas la même chose que si
j’avais été seul dans un petit appartement parisien. Cela aide à un bilan largement positif.

Toujours est-il que la famille étant réunie et composée de personnalités riches et toniques, ce temps de confinement ressemble à un apéro géant où, le soir venu, je jette un défi à la tristesse, à
l’angoisse et au fantôme de la mort. J’ai assuré mes arrières, ne risque pas de manquer. Le moment convivial est encore plus important que d’habitude et ne saurait faire défaut, au risque de tomber dans une morosité inquiétante. Car la face sombre du tableau existe bien: sans doute, plus encore qu’à l’accoutumée, les insomnies sont au rendez-vous, les rêves tournent au cauchemar et se sont assez substantiellement modifiés. Il s’agit d’une angoisse de mort, aiguisée par cette fameuse peur de souffrir si commune aux personnes de base 7 et qui, dans les circonstances actuelles, prend la forme d’une menace précise. Face à cela, le recours aux plaisirs est encore la réponse la plus adéquate.

Pendant la journée, je m’adonne au travail intellectuel qui est pour moi un plaisir intense. Mon activité professionnelle me permet cela. Dans mon bureau, situé dans l’annexe de la maison, entouré de mes livres, baigné toute la journée par la musique classique ou pop, selon l’humeur et l’envie, j’avance comme jamais sur ma thèse. Seul, l’esprit mobilisé, je jubile de trouvailles en découvertes. Ma flèche 5 est activée en permanence. Je suis capable d’éplucher des textes avec minutie, je ne rate aucune note en bas de page. Le projet commence à prendre forme, c’est jubilatoire.

En revanche, la flèche 1 que je n’ai jamais beaucoup activée demeure toujours sous-utilisée. Je
pense avoir compris que le passage en centre corps m’est très difficile, bien plus que dans le centre cœur au demeurant, et que même en temps de crise nécessité ne fait pas loi.

En fin de journée, quelques parties de ping-pong m’aident à déconnecter de mon mental (il est amusant de constater que quand je pense au coup d’avant, je perds systématiquement le point). Et la réunion familiale le soir autour de quelques verres permet d’assurer la dose d’échanges nécessaires.

Le social que je suis met évidemment sur le tapis les sujets politiques du moment, ou plutôt de l’après. Toujours dans l’anticipation de ce qui va arriver. Cette période est passionnante car notre monde est à reconstruire. Le bouillonnement intellectuel m’électrise. Je lis l’économiste jésuite Gaël Giraud, je suis à fond sur Facebook. Le soir, j’ai entrepris de relire tout Julien Green. M’ennuyer moi ?

La frustration est cependant réelle de ne pas pouvoir sortir de notre cadre agréable. La forêt est interdite d’accès alors qu’elle est en face. Outre le plaisir que cela m’ôte, c’est aussi une belle
occasion d’être dans mon corps, par la marche consciente vittozienne, qui s’envole. J’ai néanmoins décidé d’appliquer scrupuleusement les règles, du fait sans doute de mon aile 6 et de mon sous-type social prêt à sacrifier ses plaisirs pour le bien du groupe.

Heureusement, le marché a réouvert, et je vais en ville deux fois par semaine. J’éprouve un plaisir intense à échanger avec la pharmacienne, la fromagère, le caviste ou le libraire qui organise un drive. Parler à ces personnes extérieures au cadre familial est vital: tout en étant comblé par la présence de ma famille réunie, la vie ne saurait s’arrêter au cercle de la survie. J’appelle mes meilleurs amis alors que je n’aime pas vraiment le téléphone. Je suis les Facebook live de notre maire, et surtout je rate le moins possible des concerts à la maison que donnent les song-writters pop que j’aime sur Facebook. Tout un monde artistique est en train de se réinventer: j’ai l’impression de participer à une aventure incroyable, d’appartenir à une
communauté d’amateurs éclairés et je me dis que cette époque est, vraiment, malgré tout
formidable…

de la peur

Le cri d’Edward Munch

LA PEUR
Pourquoi, comment

La peur est une des quatre émotions principales avec la colère, la tristesse et la joie.

Si nous prenions l’image d’une boussole, le Nord serait la joie. Les trois autres interviendraient à l’occasion d’un événement, comme une information à écouter et une énergie pour agir, afin de retrouver le Nord.

La peur prévient d’un danger, c’est UNE INFORMATION. Si nous n’avions pas peur, nous n’anticiperions pas et ne pourrions nous garder du danger; si les enfants n’avaient pas peur des voitures, ils se feraient écraser. La peur appelle la prudence.

La peur est UNE ENERGIE qui nous permet d’activer plusieurs mécanismes de défenses:

  • L’attaque
  • La fuite
  • Quand ni l’une ni l’autre ne sont possibles, une troisième entre en jeu: la sidération. Elle permet de moins souffrir ou de prendre le temps de latence nécessaire à la transformation de l’événement par la réflexion.

Chez la gazelle, la fuite face au guépard est la seule solution, jusqu’à ce que son cœur ne puisse plus suivre. La sidération prend alors le relais, toutes ses fonctions vitales fonctionnant a minima, elle tombe, comme morte. Au pire, elle souffrira moins en étant dévorée, au mieux:

La peur, comme toutes les émotions, est donc bonne en soi, tout comme les mécanismes de défenses qu’elle suscite.

LES PROBLÈMES qu’ils peuvent poser sont de:

            • prendre trop de place, voire toute la place, et d’empêcher ainsi d’accéder aux fonctions supérieures du cerveau qui permettent de proportionner la réaction à l’événement;
            • se déplacer: une peur non consciente peut se transformer en mauvaise humeur ou en colère décalée;
            • projeter un danger imaginaire, la plupart du temps par le biais d’associations à des peurs anciennes.

          D’après Daniel Goleman dans L’intelligence émotionnelle, seulement 8% des peurs reposent sur une base concrète, le reste est imaginaire.

        • « J’ai souffert de beaucoup de choses dans ma vie, disait avec humour Mark Twain, peu sont arrivées ».

       

    • Pour en savoir plus sur ce qui se passe neurologiquement en cas de réaction disproportionnée:

 

COMMENT DONC CONSIDÉRER LA PEUR POUR CE QU’ELLE EST
de manière proportionnée au danger et en faire une alliée?

LA MÉTHODE VITTOZ propose très simplement de l’accueillir corporellement:

      • Faire stop, trouver un endroit silencieux où l’on peut rester seul
      • Fermer les yeux
      • Sentir les manifestations de son corps: gorge serrée, ventre noué, transpiration, accélération du pouls etc.
      • Demeurer avec elles quelques instants, au besoin en plaçant la main sur la partie concernée
      • Suivre leurs évolutions, leurs déplacements, leurs transformations pendant une ou deux minutes,
      • …jusqu’à apaisement.

L’objectif n’est pas d’oublier la peur, la nier ou la tromper, mais:

      • d’apaiser le trop-plein et revenir au réel par le corps,
      • accueillir l’information pour ce qu’elle est,
      • pour retrouver un usage de sa raison proportionné à l’événement,
      • et utiliser l’énergie qu’elle a suscité pour une action juste et libre

« Quand une sensation est juste, la pensée est juste », écrit le docteur Vittoz

 

du goût conscient

MANGER CONSCIEMMENT
Christophe André
Sens & Santé, printemps 2019

« C’est un exercice classique des groupes de méditation en pleine conscience : les animateurs distribuent aux participants un grain de raisin sec. Puis, ils invitent chaque personne à l’observer, le renifler ; le poser sur sa langue pour en percevoir la texture et les premières saveurs, avant même de le mâcher; lui donner un premier coup de dent, s’arrêter pour explorer l’explosion de son goût dans la bouche; prendre ensuite tout son temps pour le mastiquer, le savourer, avant de l’avaler ; et rester encore quelques instants à observer la rémanence de son goût, les fantômes de ses saveurs…

Le tout en observant les pensées apparaissant durant l’exercice (bizarre ce qu’on nous fait faire…, à quoi ça sert tout ce cirque?), en accueillant les sensations ou impulsions prenant naissance dans le corps (la bouche qui salive, qui a envie d’avaler le grain d’un seul coup). L’exercice dure dix minutes environ ; dix minutes pour déguster un grain de raisin ! Ensuite, quelques questions sont posées à chaque participant: qu’avez-vous ressenti et vécu durant l’exercice? Procédez-vous habituellement ainsi avec un grain de raisin? Qu’est-ce qu’une telle attitude (prendre son temps, observer, ressentir) peut éventuellement vous apporter dans la vie?

La plupart des personnes sont surprises par la richesse de l’exercice: j’ai ressenti une impression de satiété avec un seul grain de raisin, étonnant!, je n’avais jamais réalisé toutes les saveurs contenues dans un grain de raisin sec, en général, je les avale sans y penser, c’est la première fois que je prends conscience de leur vraie saveur, je me rends compte que beaucoup de choses dans ma vie fonctionnent sur ce registre: je ne prends jamais le temps de ressentir et de savourer, de ralentir, de m’ouvrir à ce que je fais…

La méditation de pleine conscience peut apporter beaucoup de changements à notre manière de vivre au quotidien, et c’est d’ailleurs son but: ne pas se limiter à une série d’exercices apaisants, bien séparés de notre vie réelle (un temps pour méditer, puis tout le reste pour stresser!), mais nous transformer, modifier notre manière de vivre et d’être au monde. Et parmi ses mille et une conséquences, figure le changement de notre rapport à la nourriture et l’alimentation.

Trop souvent, nous ne sommes pas présents à ce que nous mangeons, parce que notre attention est tournée ailleurs: vers nos pensées et ruminations, vers des distractions (radio, télé, ou pire, usage d’écrans), vers des discussions (si nous sommes en groupe) ou vers une autre activité.

Johann Wilhelm Preyer

L’apprentissage de la méditation nous pousse à comprendre qu’il est précieux de régulièrement manger en pleine conscience, et d’être attentif aux aliments et à notre corps. Ce faisant, nous aurons plus de discernement quant à notre envie de manger : véritable faim? Ou simple réflexe conditionné, envie de manger parce que c’est l’heure, parce que nous sommes stressés, parce que nous nous ennuyons? Ou encore désir de lien et de partage social? Se nourrir en pleine conscience nous offre également plus de discernement quant à notre ressenti de satiété: ai-je vraiment besoin de me resservir de ce plat? Ai-je encore faim? Est-ce une simple gourmandise ? Ou la pensée qu’il ne faut pas gâcher ou jeter ce qui reste dans mon assiette? Mais alors pourquoi le jeter dans mon corps plutôt qu’à la poubelle?

C’est simple, n’est-ce-pas? Simplement manger, en pleine conscience, pleinement présent à ce que nous faisons, ressentons, pensons… Pas forcément à tous les repas, mais régulièrement, une fois ou deux par semaine, prendre son temps, approfondir la rencontre avec notre nourriture, reposer sa fourchette, terminer une bouchée avant de passer à la suivante.

Quel intérêt à cela?

D’abord, protéger notre santé: aujourd’hui, et sans doute pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, une grande partie de la population mondiale (du moins en Occident et dans les pays émergents) n’est plus confrontée à la rareté mais à la pléthore.

La nourriture est omniprésente et relativement bon marché; il suffit de tendre le bras pour en disposer, sans effort de préparation ou d’accommodation, à toute heure du jour ou de la nuit. Les effets de cette pléthore sont dévastateurs: nous mangeons trop, trop souvent, et mal de surcroît (aliments saturés en sucre, sel et exhausteurs de goût).

De nombreuses études de psychologie expérimentale ont étudié ce qu’on appelle le régime de cafétéria: avoir à volonté des aliments attirants car très variés, très salés, très sucrés, etc. Ce type de régime a été proposé à des rats de laboratoire (dont l’alimentation et le métabolisme sont très proches des nôtres): des souches de rats jumeaux sont confrontées soit à un régime normal soit au régime de cafétéria; dans les deux cas, ils ont accès libre à la nourriture.

Les résultats sont nets: les rats de cafétéria deviennent très rapidement obèses et diabétiques. Et encore, ils ne regardent pas la télé et ne sont pas exposés à des publicités les incitant à grignoter à toute heure pour éviter les coups de pompe… Les humains, si!

D’où une épidémie de diabète et d’obésité inquiétante dans tous les pays soumis à cette martingale infaillible: pléthore de mauvaise nourriture, sur fond d’incitations multiples à trop manger, et trop souvent. Manger en pleine conscience nous immunise peu à peu face à ces incitations et impulsions à tout avaler machinalement. En pleine conscience, on réalise beaucoup mieux que ce que l’on mange est trop gras, trop sucré, trop artificiel, et que l’on mange trop, trop vite.

Ensuite, manger en pleine conscience fait de nous des humains plus avisés et respectueux de leur environnement, en nous aidant à comprendre la valeur de tout ce qu’il y a dans notre assiette. D’où viennent ces fruits et ces légumes? À qui les ai-je achetés? Qui les a cultivés, cueillis, acheminés vers moi? Puis-je prendre conscience de tout ce qu’il a fallu de bienfaits de la Nature, et d’efforts humains, pour que cette nourriture arrive dans mon assiette? Ce serait une erreur et une faute de ne pas la respecter. Et la respecter, c’est la savourer, ne manger que ce dont mon corps a besoin, ne pas la gaspiller, et la partager…

Notre société a brisé notre rapport à la nourriture, nous a fait oublier son caractère sacré: reprenons-en conscience!

Santé et sacré, voilà pourquoi il est précieux de régulièrement revenir à la présence et à la conscience: dans le silence et la lenteur, se recueillir pour savourer chaque bouchée. En observant son corps. En interrogeant son esprit. En se sentant heureux d’être en vie. »

 

Qu’est-ce que la conscience ?

QU’EST-CE-QUE LA CONSCIENCE ?

Beaucoup de courants de psychologie contemporaine, mettent la conscience au centre, comme moyen de connaissance de soi, des autres et du monde et comme moyen de progression. Nous aussi. Mais qu’est-ce que la conscience? Une instance subjective inviolable qui n’admet pas de règle extérieure/supérieure? Une conviction intime qui rejoint le réel mais ne peut être confirmée/infirmée de l’extérieur? 

La réponse de saint John-Henry Newman pensée par Benoît XVI me semble – pour utiliser des termes vittoziens – faire la différence entre une conscience emissive (la raison se projette sur l’objet) et une conscience réceptive (la raison reçoit sa forme de l’objet). Ainsi, l’obéissance à la vérité (pour soi, pour la relation à l’autre, pour le monde), ou je préfère dire la volonté de cheminer vers la vérité, emprunte toujours les voies de notre subjectivité, qui se laisse informer. Comme pour l’inspire-expire conscient de la respiration vittozienne, l’alternance subjectivité-objectivité de la conscience est un chemin vers la vérité toute entière, qui demeure un horizon. Autrement dit avec Gustave Thibon dans L’Ignorance étoilée : « L’étoile divine est intérieure et invisible; elle éclaire l’âme du voyageur et non le chemin où il marche; elle nous donne assez de foi pour aller au-delà de tout, mais elle ne dispense de rien.”

Discours du pape Benoît XVI à l’occasion de vœux à la Curie romaine, Salle Royale du 20 décembre 2010:

« En Newman, la force motrice qui le poussait sur le chemin de la conversion était la conscience. Mais qu’entend-on par cela ?

Dans la pensée moderne, la parole conscience signifie qu’en matière de morale et de religion, la dimension subjective, l’individu, constitue l’ultime instance de la décision. Le monde est divisé dans les domaines de l’objectif et du subjectif. A l’objectif appartiennent les choses qui peuvent se calculer et se vérifier par l’expérience. La religion et la morale sont soustraites à ces méthodes et par conséquent sont considérées comme appartenant au domaine du subjectif. Ici, n’existeraient pas, en dernière analyse, des critères objectifs. L’ultime instance qui ici peut décider serait par conséquent seulement le sujet, et avec le mot conscience on exprime justement ceci: dans ce domaine peut seulement décider un chacun, l’individu avec ses intuitions et ses expériences.

La conception que Newman a de la conscience est diamétralement opposée. Pour lui conscience signifie la capacité de vérité de l’homme: la capacité de reconnaître justement dans les domaines décisifs de son existence – religion et morale – une vérité, la vérité. La conscience, la capacité de l’homme de reconnaître la vérité lui impose avec cela, en même temps, le devoir de se mettre en route vers la vérité, de la chercher et de se soumettre à elle là où il la rencontre. La conscience est capacité de vérité et obéissance à l’égard de la vérité, qui se montre à l’homme qui cherche avec le cœur ouvert.

Le chemin des conversions de Newman est un chemin de la conscience – un chemin non de la subjectivité qui s’affirme, mais, justement au contraire, de l’obéissance envers la vérité qui, pas à pas, s’ouvre à lui. »

 

Père et fils

PÈRE ET FILS
par Xavier
de base 7

Emile Friant

J’ai commencé le parcours ennéagramme il y a trois ans en ayant fait le module 1 dans un cadre professionnel et le module 2 avec vous. Cela m’a permis de comprendre un certain nombre de mécanismes et de modes de fonctionnement/approches du réel. Pour autant mes relations avec mon père concernant un sujet sensible – une maison de famille – étaient toujours compliquées.

En effet mon type 7 est plutôt porté sur la projection/vision et aime anticiper, organiser, prévoir. Or de nombreux sujets concernant cette propriété nécessitaient, à mon sens, un minimum de projections. A chaque fois que l’échange avec mon père portait sur le sujet, je le voyais fuir l’exercice et m’avouer à l’issue de nos échanges ressentir une forme de pression, de panique. Il avait l’impression d’être contraint par le temps, la situation. Dans mon esprit c’était tout l’inverse qui devait se produire: c’était justement en définissant une vision puis en planifiant et anticipant les différentes étapes d’un projet que mon père devait pouvoir être rassuré et ne pas être pris à la gorge en cas d’urgence!

Malgré l’ennéagramme, je ne comprenais pas mon père et le trouvais inconséquent et incapable de décider. Je trouvais qu’il subissait la situation. De son côté il me trouvait rouleau compresseur et un peu perché dans mes visions conceptuelles (quel rôle doit jouer une maison de famille? Quelle est sa vision de la retraite? …). C’est à l’issue du module 2 en écoutant le panel des bases 9 qu’un déclic s’est produit! J’ai émis l’hypothèse de ce profil chez mon père et j’ai commencé à aborder nos échanges de façon différente en lui faisant part de mes découvertes. Cela l’a vivement intéressé et après plusieurs discussions au sujet de l’ennéagramme, il a décidé de s’inscrire au dernier module 1 et… s’est assez vite reconnu dans le profil 9.

Il continue son parcours d’introspection et de progression comme moi le mien. On ne se comprend toujours pas au sujet de la maison (et d’autres sujets d’ailleurs) mais désormais on sait pourquoi. Les grands fruits de ces évolutions parallèles sont une meilleure compréhension de l’autre, une meilleure écoute, l’arrêt du jugement de valeur et surtout le lâcher prise! J’ai désormais pleinement conscience que nous avons chacun notre rythme propre et qu’il fera son chemin selon son tempo, avec ses propres prises de conscience et surtout ses propres objectifs, probablement assez éloignés des miens.

Sans enlever les difficultés/situations douloureuses … nos échanges, éclairés de la sagesse de l’ennéagramme, ont au moins permis un apaisement !

Si c’est pas beau ça !

Entretien avec Zélie

ENTRETIEN AVEC ZELIE
Février 2020

https://soundcloud.com/magazine-zelie/valerie-maillot

Quels étaient vos rêves de petite fille ?

Des rêves de liberté ! Ce qui n’a pas fait de moi une enfant ni une adolescente faciles: je cherchais, provoquais parfois pour comprendre, creuser, me poser la question du pourquoi. Je me suis faite remettre à ma place plusieurs fois, avec souvent l’impression de ne pas être comprise. Mais cela m’a appris à ne pas me contenter de l’apparence, à tenter au risque d’échouer, à me donner les moyens de cette liberté. D’abord de manière un peu maladroite et rebelle, puis en apprenant à élargir mon point de vue, à observer, écouter, à me remettre en question, à me dire que finalement ce n’était peut-être pas le monde qui devait changer, mais moi-même.

Vous êtes chrétienne ; comment avez-vous rencontré Jésus ?

J’ai été élevée dans une famille catholique pratiquante où j’ai reçu une éducation chrétienne et une formation solide. Je crois que j’ai coché toutes les cases. Mais si vous parlez de rencontre personnelle, ce fut beaucoup plus tard et pas à mon initiative, il y a une douzaine d’année dont je vis encore aujourd’hui, et que je garde pour moi si vous le voulez bien. Et puis il y a eu toutes les rencontres dues aux épreuves: celles de la vie, des amitiés, de l’accident grave d’une de nos filles. Je crois que quand on est vulnérable le Christ se donne à connaître d’une manière toute particulière.

Qu’est-ce qui vous a amenée à devenir formatrice à l’ennéagramme ?

Un désir de changement ! Car j’ai d’abord exploré cet outil pour moi-même. Il m’a appris à prendre du recul, à changer mon regard sur moi-même, sur les autres, sur le monde. A distinguer ce qui vient de ma nature de ce que je peux en faire. En bref, il m’a appris à être plus libre, avec comme fruit principal plus de paix intérieure. Et quand on a beaucoup reçu, c’est tout naturellement que vient le désir de transmettre. C’est un émerveillement toujours renouvelé d’être le témoin de la beauté des personnes, leur bonne volonté et de la manière dont elles s’emparent de l’outil et prennent les moyens de bouger. Il y a aussi une notion de responsabilité dans celle de liberté et comme le dit Etty Hillesum, notre responsabilité est d’irradier la paix reçue dans ce monde en ébullition.

Pouvez-vous nous présenter l’ennéagramme, et l’intérêt de cet outil ?

L’ennéagramme est une cartographie de la personnalité en neuf points, du grec ennea gramma, comme il en existe depuis toujours, en tous cas depuis les pères du désert avec Evagre le Pontique (qui distinguait huit profils proches de ceux de l’ennéagramme). Il permet de faire la lumière sur nos motivations profondes, souvent inconscientes, de découvrir qu’elles correspondent à un talent propre, mais aussi à des travers. En les connaissant mieux, il est plus facile d’adoucir les uns et de mettre au service les autres.

Par exemple si on est de base 9 et que notre motivation fondamentale est l’harmonie, nous aurons des compétences pour l’écoute et la compréhension de l’autre, mais avec parfois une difficulté à l’affirmation de soi par peur du conflit, avec un risque d’inertie. Le but du jeu est d’en prendre conscience et de développer sa vertu propre qui est l’action juste, c’est-à-dire, d’oser la confrontation au risque d’une disharmonie apparente, pour un positionnement juste. Et ce qui est intéressant dans cette action juste – qui demande un travail – c’est que c’est ce qu’elle a à apporter au monde: l’action juste est le propre de la base 9. Et c’est ainsi pour les 9 bases, nous avons besoin de chacun pour que le monde tourne. Je n’ai jamais aimé cette phrase commune : personne n’est indispensable. Je lui préfère de loin un chacun est précieux.

Vous proposez cinq modules de formation, de deux jours chacun (et vous avez déjà formé plus de mille stagiaires!). Pouvez-vous nous décrire ces différentes étapes ?

 Les trois premiers modules sont, je pense, nécessaires pour avoir une connaissance complète de l’outil. Pour faire simple:

  • on y découvre son profil dans le premier dans une formule très interactive avec alternance de topos, d’expérimentations en petit et grand groupe et de travail à la vidéo;
  • on apprend à mieux comprendre celui des autres dans le second  par le biais de panels, spécificité de la tradition orale à laquelle je suis formée, selon le principe que la personne est la mieux placée pour parler de ce qui la meut. C’est un module qui est très beau, très humain;
  • et on y trouve des clés concrètes d’évolution dans le troisième, le sous-type étant le lieu de l’incarnation du type, l’endroit où il se manifeste dans le quotidien.
  • Le quatrième, sur les émotions, est mon chouchou. Elles ont parfois mauvaise presse ces émotions qui peuvent pourtant devenir nos meilleurs alliés, pourvu que nous les accueillions pour ce qu’elles sont: des sources d’informations sur nos besoins et une force pour l’action.
  • Le cinquième est plus axé sur la communication entre les différents profils, en creux et en plein, et les moyens que nous pouvons prendre pour avancer dans ce domaine.

Les cinq se déroulent dans une atmosphère de grand respect mutuel et de bienveillance. Comme une parenthèse de douceur dans « ce monde en ébullition » que j’évoquais tout à l’heure, selon la phrase d’ Etty Hillesum.

Racontez-nous le témoignage d’une personne pour qui la connaissance de son profil dans l’ennéagramme a été un moyen de grandir en liberté et d’avancer, dans sa vie personnelle, et également dans la relation aux autres.

 Il va être difficile de choisir. Nous recevons un public très varié : étudiants et retraités, fiancés, pères et mères de famille, et religieux/ses, prêtre, mais aussi chefs d’entreprise, soignants, enseignants et j’aime cette diversité. Je choisirais celui d’une jeune femme de base 3 pour qui la réalisation est la motivation principale et qui nous est arrivée proche du burn out. Croyant que pour être aimée, il lui fallait dépenser son énergie à 200%, elle était en train de se brûler les ailes, autant dans le domaine professionnel que personnel. Elle était pressée, il fallait qu’elle fasse les cinq modules rapidement. Et nous l’avons vu doucement ralentir au fil des modules, reconnaître ses limites, prendre le temps de la relation gratuite. C’était un petit combat où elle cherchait, encore, à trouver les solutions les plus efficaces. Jusqu’au dernier module où, le visage paisible, elle me dit à la pause que du jour où elle avait cessé de chercher à contrôler, un nouveau travail moins dévorant s’était présenté, en même temps qu’une relation amoureuse stabilisante. Elle avait appris non plus à fabriquer sa vie mais à la recevoir. Compris en quoi elle pouvait mettre au service cette énergie vitale spécifique des bases 3, cette efficacité, cette capacité de réalisation au service.

Vous proposez des formations à l’ennéagramme en entreprise. En quoi cet outil est-il utile dans la vie professionnelle ?

Les formations en entreprise sont plus délicates et je conseille toujours aux responsables d’envoyer les personnes se mêler à un groupe mélangé plutôt qu’à se former en interne. Il est important qu’une personne soit parfaitement libre pour se remettre en question, et ce n’est pas toujours le cas dans le domaine professionnel. Mais nous avons eu de belles expériences avec des équipes dont l’éthique commune a permis un beau travail. Je pense à une équipe de cancérologues qui nous a édifiés. Ils avaient besoin de rire, et l’on comprend pourquoi. Le stage fut très joyeux… et très profond. Je pense aussi à celle d’une maison d’édition qui est venue en équipe et qui me disait au moment des vœux à quel point l’ennéagramme leur permettait encore aujourd’hui, plusieurs années après, de rire ensemble des petites incompréhensions quotidiennes et de s’accueillir mutuellement pour mettre en commun ce qu’ils ont de meilleur.

Sur votre site, on peut lire que dans votre formation à l’ennéagramme, « l’outil est présenté de manière neutre, mais il est arrimé à une anthropologie aristotélicienne et chrétienne. » Qu’est-ce que cela signifie ?

C’est en effet ce qui fait notre spécificité, c’est un créneau choisi car il nous a semblé important de donner un cadre anthropologique clair et solide à un outil qui s’intéresse à la personne. De formation philosophique au départ, c’est tout naturellement que je me suis tournée vers l’éthique aristotélicienne, notamment par sa définition de la vertu, définie comme un juste milieu entre deux excès. Pour Aristote, l’homme est fait pour le bonheur et a une orientation spécifique vers le bien, spécifique car il est limité. C’est un peu comme le versant d’une montagne, qui n’est pas le seul accès possible mais qui permet, comme les autres, d’accéder au sommet.

Quand une personne se découvre en base 6 par exemple et qu’elle réalise que son moteur est la peur, la bonne nouvelle est de savoir dans le même temps que sa vertu propre est le courage, qui n’existe pas sans peur, et qui est un juste milieu entre la couardise et la témérité comme le dit Aristote dans l’Ethique à Nicomaque. Et que ce courage, il en est le porte-flamme, il est là pour ça. L’autre bonne nouvelle est qu’en activant sa vertu propre de courage, selon le principe de saint Thomas de la connexion des vertus, il devient dans le même temps plus sereine, plus généreuse, plus équanime etc.

Par ailleurs, la clarification de ses talents propres peut aussi donner quelque chose à voir de notre petite mission dans le monde: que la personne de base 2 est faite pour prendre soin de l’autre, sans être envahissante, celle de base 8 est faite pour la protection, sans écraser, celle de base 7 est faite pour l’enthousiasme, sans superficialité.

D’ailleurs, pouvez-vous nous préciser pourquoi il est important de ne pas considérer un outil psychologique comme un moyen spirituel, de salut ? (même si cela peut y contribuer, indirectement) 

Très important ! Central. Pour en parler j’aime utiliser l’image des trois cercles concentriques de Simone Pacot. Pour elle, le cercle extérieur est celui du corps qui est ce qui m’apparaît en premier: vous êtes brune Solange, jeune, les yeux bleus. Le cercle suivant est celui de la psyché, qui m’échappe déjà beaucoup plus déjà: votre tempérament, mais aussi votre histoire, votre éducation, votre culture. Le troisième est celui du cœur profond, de l’unicité de la personne (Saint Paul l’appelle l’esprit, on pourrait aussi parler de fine pointe de l’âme, de for interne). C’est le lieu de sa vie spirituelle, de son rapport à Dieu, un peu comme la septième demeure de Thérèse d’Avila. Il est important de souligner et je le fais en stage de manière assez appuyée, que l’ennéagramme s’occupe du deuxième cercle, celui de la psyché et jamais du troisième qui est un lieu intime et profond où le formateur ou le thérapeute ne pénètrent jamais.

Cela dit, comme vous l’évoquiez, l’homme ne peut se saucissonner en tranches et il existe des interactions permanentes entre ces trois cercles: vous avez pu constater qu’une baisse de forme aura une influence sur votre humeur et votre vie de prière et à l’inverse, votre vie intérieure peut rayonner sur votre visage. Nous invitons donc les personnes à faire ces liens par eux-mêmes, au besoin à l’aide d’un accompagnateur spirituel, pour tendre à l’unité. En bref, l’ennéagramme peut lever certains obstacles psychologiques à l’accueil de la grâce, lui en faciliter l’accès, mais jamais devenir un outil prométhéen, ni s’y substituer. D’où l’intérêt d’un cadre anthropologique clair.

Vous animez cette formation à l’ennéagramme avec votre mari François Huguenin, lui-même éditeur et écrivain. Qu’est-ce que cette collaboration apporte à votre couple ?

C’est une école de vie ! Pour tout vous dire les débuts ont été musclés. Nous sommes de deux caractères bien différents et il nous a fallu développer une grande écoute mutuelle pour tendre à ce que nos différences ne s’opposent pas mais se complètent, pour que nos manières de voir les choses s’accordent et s’harmonisent. François est plutôt intello et je suis plus pragmatique. Le cadre rationnel et les exemples historiques sont ses points forts et je développe plutôt un accompagnement personnel. Les deux sont importants et comme la respiration, nous avons appris à insuffler l’un et l’autre au gré des besoins du groupe.

Une autre approche qui vous intéresse particulièrement est celle de la psychogénéalogie. Pourquoi ?

L’ennéagramme n’est qu’une cartographie de la personnalité, en stage nous donnons une carte et une boussole aux stagiaires pour qu’il tracent eux-mêmes leur route. Elle n’inclut pas directement l’histoire familiale, culturelle et sociale de la personne, qui compte aux deux-tiers dans son profil de personnalité. L’outil est donc insuffisant pour appréhender les différentes dimensions de la personne et il m’a semblé important de me former à un outil qui permette d’accéder à cette dimension.

Le principe de la psychogénéalogie est que nous héritons d’un passé, dont nous ne connaissons pas toujours les arcanes et auquel nous restons loyaux d’une manière ou d’une autre. En creux ou en plein, pour le meilleur et pour le pire. L’enjeu de la psychogénéalogie est de prendre conscience de ce sac à dos avec lequel nous naissons et d’en tirer ce que nous voulons garder pour faire fructifier un héritage et laissons ce qui ne nous encombre, qui ne nous appartient pas, qui nous entrave. Encore une affaire de liberté. C’est l’approche thérapeutique la plus profonde que je connaisse; je l’intègre en séance individuelle de psychothérapie – notamment pour son accès à l’inconscient, mais pas en stage, dont l’objet n’est pas directement thérapeutique.

Parlons maintenant de la méthode Vittoz, que vous utilisez dans l’accompagnement en psychothérapie ; vous êtes praticienne Vittoz certifiée formée à l’IRDC (Institut de recherche pour le développement cérébral). Qu’est-ce que Vittoz ?

La méthode Vittoz est une approche psychocorporelle dont l’enjeu est d’être capitaine sur son bateau. Son principe est que le cerveau a deux fonctions : une fonction émissive (celle qui nous permet de penser, d’imaginer, d’élaborer mentalement) et une fonction réceptive (les informations qui viennent à nous par les sens: vue, odorat, ouïe, toucher, goût mais aussi proprioception c’est-à-dire les mouvement que nous percevons de notre corps). Un fonctionnement ordinaire, optimal du cerveau alterne ces deux fonctions. « Quand une sensation est juste, la pensée est juste » écrit le docteur Vittoz. Hélas force est de constater que notre société hyper sédentarisée et hyper connectée ne va pas dans ce sens et qu’une émissivité incontrôlée engendre souvent fatigue, anxiété, difficultés de sommeil, stress… qui peuvent aller jusqu’au burn-out ou la dépression. La méthode Vittoz permet de rééduquer l’alternance naturelle émissivité-réceptivité par le biais du corps pour ne plus subir les agressions intérieures et extérieures et gagner en liberté intérieure. Elle est dite intégrative car il n’est pas nécessaire assez rapidement de lui dédier un temps spécifique, mais elle peut s’intégrer dans la vie quotidienne: se laver les mains, marcher en forêt, converser avec vous…

Quels sont les bénéfices de l’approche Vittoz ?

On pourrait distinguer deux bénéfices, qui demeurent étroitement liés. Quelque chose d’un art de vivre et d’une pédagogie qui permettent de vivre ici et maintenant: savoir savourer son café le matin sans déjà se laisser envahir par le torrent des informations, apprendre à écouter le chant des oiseaux, se laisser surprendre par un sourire, de prendre le temps de goûter la vie. Et ce n’est déjà pas mal.

Il y a aussi une dimension psychothérapeutique à la méthode Vittoz. Le corps ne ment jamais selon l’expression d’Alice Miller et s’y reconnecter peut permettre de retrouver des lieux de blocage et s’en libérer. C’est par le corps  que se manifestent les émotions et c’est par lui que peuvent remonter à la conscience certains pans de l’inconscient. Et c’est le corps encore qui donne les moyens de les accueillir, d’oser y demeurer le temps nécessaire à les comprendre et d’y consentir, pour poser des actes et des choix plus libres. Car le but du jeu n’est pas d’atteindre un état de bien-être, béatitude, zénitude illusoire en toutes circonstances, mais d’accueillir qui nous sommes, avec nos forces et nos faiblesses, et de nous ajuster aux autres et au monde le plus librement possible.

Depuis que vous pratiquez Vittoz dans votre vie, qu’est-ce que cela a changé pour vous ?

Au démarrage, j’ai gagné deux bonnes heures de sommeil. Puis les choses se sont approfondies. J’ai pu prendre conscience des moments où ma tête projetait des scénarii qui n’avaient rien à voir avec le réel ou de ceux où mes émotions étaient sans proportion avec les événements. J’ai pu mettre cela en lien avec mon histoire et tendre à mettre chaque chose à sa juste place. C’est bien sûr un travail qui est toujours en cours avec ses reculs et ses avancées. Cela n’efface pas le passé mais permet de s’enrichir des expériences plutôt que d’y réagir automatiquement. Je crois que le changement fondamental est d’apprendre chaque jour un peu plus à « vouloir ce qui est » selon la très belle expression du docteur Vittoz, c’est-à-dire à accueillir le réel, qu’il soit enthousiasmant (le bleu du ciel, le froid du matin, le rire des enfants) ou difficile (la souffrance d’un proche, une incompréhension relationnelle), sans lutter contre lui mais en nous ajustant librement à lui. C’est un chemin qui n’exclut pas la souffrance mais qui apporte beaucoup de paix intérieure.

Pourriez-vous nous proposer en direct sur ce podcast, un court exercice (scan corporel?) Vittoz ?

Bien sûr ! Je vous propose à vous Solange et aux auditeurs, de faire un petit stop dans notre entretien et de sentir la posture de votre corps ici et maintenant, quelle qu’elle soit. Une pause p.a.u.s.e. par la pose p.o.s.e..
Puis passez du dehors au-dedans, en fermant les yeux c’est souvent plus facile, pour prendre conscience de vos pensées: sont-elles paisibles ou follettes ? Et de votre émotion principale: êtes-vous plutôt dans l’inquiétude, la tristesse d’un souvenir, la colère, la joie ? C’est votre point de départ.
Puis après ce petit état des lieux, vous pouvez lâchez tout cela et sentir très simplement votre respiration telle qu’elle est sans chercher à la modifier: l’air qui entre dans vos narines avec une température, qui parcourt votre corps aux différents niveaux (gorge, poitrine, ventre) et le met en mouvement, et l’air qui ressort peut-être avec une autre température. Puis sentez vos points d’appui au niveau des pieds, des fessiers si vous êtes assis, du dos. Sentez que vous êtes soutenus, portés. Puis portez votre attention sur votre visage, votre cou, vos deux bras, le dos, la poitrine et le ventre qui se soulèvent au gré de votre respiration. Peut-être pouvez-vous demeurer quelques instants au niveau de votre cœur. Puis accueillez votre bassin, vos fessiers et chacune de vos deux jambes, jusqu’aux pieds. Sentez votre corps dans sa globalité, en mouvement par la respiration et soutenu par les points d’appui. Soyez en état de présence à vous-même, simplement.
Puis revenez à votre état. Comment vous sentez-vous à présent? Que se passe-t-il au niveau de vos pensées, des émotions? Qu’est-ce qui a changé, qui s’est transformé? Si un mot venait pour résumer cet état, quel serait-il? Demeurez dans cet état le temps qui est bon pour vous puis vous pourrez passer du dedans au dehors quand ce sera suffisant, pour que nous reprenions l’entretien.

QUESTION COURTE, RÉPONSE COURTE :

Complétez cette phrase : « L’être humain est… »

… à l’image de Dieu. Et toute sa vie consiste à retrouver cette image perdue, comme le décrit le père Barthélémy dans son très beau livre Dieu et son image, jusqu’au dernier jour où, selon l’incroyable parole de saint Jean : « nous serons semblables à lui car nous le verrons tel qu’il est ».

 Le livre que vous lisez en ce moment ?

Guérir son enfant intérieur de Moussa Nabati, le cœur de la thérapie selon moi. On y découvre qu’en chacun de nous sommeille l’enfant que nous avons été et qui demeure très présent. Si nous avons eu une enfance heureuse, sécurisée, affectueuse avec des cadres et des limites, cet enfant est comme notre ange gardien, celui qui nous garde dans l’émerveillement, l’accueil de ce qui est, qui nous fait « voir comme l’enfant au réveil » selon l’expression du docteur Vittoz. Mais si nous avons eu une enfance blanche selon l’expression de l’auteur, c’est-à-dire privée de ce dont un enfant a besoin pour se développer harmonieusement, cet enfant intérieur va devenir comme un fantôme, à la recherche d’une consolation, d’une récupération, d’une compensation extérieures. Pour ces adultes souffrants, dont je reçois certains dans mon cabinet, il y a une espérance de transformer ce fantôme en ange gardien, par un processus d’autonomisation et encore une fois, de liberté.

L’un de vos films préférés ?

Cyrano de Bergerac de Rappeneau. Pour la tendresse, le verbe, la beauté des paysages et des costumes, l’alternance de la gravité et du rire comme dans la vie, le panache et surtout pour cette vulnérabilité qui se cache sous ce colosse brillant et secret qu’incarne de manière magistrale Gérard Depardieu.

Un beau moment en famille avec votre mari et vos cinq enfants ?

Nos enfants sont presque tous de jeunes adultes et les moments que je préfère sont les repas familiaux où les joutes de pensée se transforment en joyeux feux d’artifice dans une grande liberté: tout y passe, actualité politique, pensée philosophique, match de foot, musique pop ou cinéma. Avec ce contrat que deux d’entre eux ont établi : « jamais nos différences ne seront séparatrices ».

Que direz-vous à Dieu quand vous le verrez ?

J’espère que je saurais lui dire : Mon âme exalte le Seigneur, mon esprit exulte en Dieu mon sauveur!