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Benoît XVI

BENOIT XVI
Un archétype de base 5 en social
*

Les familiers du Vatican aiment à le raconter: avant qu’il n’accédât à la fonction suprême dans l’Eglise, le cardinal Joseph Ratzinger traversait la place Saint-Pierre, le nez dans ses chaussures, pour éviter de croiser le regard de quelqu’un qui aurait pu le distraire de son monde intérieur. En retrait, porté sur l’étude, Benoît XVI pourrait avoir été un pape de base 5.

Pourtant, déminons les assimilations hâtives. Ce n’est pas parce que Joseph Ratzinger a été un des plus grands théologiens de son époque qu’il serait de base 5. Il y a des intellectuels dans tous les types, même si les 5/6/7 sont naturellement portés à cela par leur préférence pour le centre mental. A rebours, les mentaux ne sont pas forcément des intellectuels: chaque base, par le biais de sa motivation profonde (souci de rigueur en 1, soif de sens en 4, adaptation à l’environnement en 3, participation à une œuvre commune en 9 etc) peut l’être. En base 5, la motivation essentielle est la connaissance, la clarification, la transmission…

Le retrait: ce mouvement de mise à distance a un sens, une raison d’être. Il permet d’observer et de comprendre le plus largement, le plus clairement et le plus objectivement possible. Et cela semble avoir été la marque de fabrique de Benoît XVI. Combien, à rebours, les bains de foule, les manifestations tactiles semblaient lui être pénibles… Son sourire délicat cachait parfois difficilement l’effort face aux démonstrations d’affectivité.

Car le retrait, c’est aussi la mise à distance des émotions qui pourraient brouiller le raisonnement. Non pas qu’il n’y ait pas d’émotion. Beaucoup de témoignages de personnes de base 5 expriment une très grande sensibilité, souvent vécue a posteriori, en solitude, et peu démonstrative. Car le risque de l’émotion est de perturber l’analyse ou le sang-froid. Même dans l’écriture, Joseph Ratzinger est logique, analytique et synthétique. Dans son Jésus de Nazareth, il convoque les tenants de la méthode historico-critique, les théologiens protestants, avec calme et sérénité. Tout est bon pour une réflexion approfondie. D’où le sentiment que peuvent avoir certains d’une forme de froideur ou de sécheresse. Mais c’est la condition d’une réflexion qui ne fasse pas l’impasse sur des points importants, qui sache aller en profondeur sans être déroutée par la colère, la peur ou la tristesse. Outre une quête d’objectivité, cette mise à distance lui permet de discuter avec n’importe qui, sans interférence émotionnelle, d’où la relation toujours maintenue avec le théologien controversé Hans Küng.

De fait, Benoît XVI entrait en contact et parlait facilement lorsqu’il s’agissait de la chose intellectuelle, ce qui pourraient laisser perplexe face à la vision château-fort que l’on peut en avoir de la personne de base 5, économe de ses paroles comme de sa présence. L’explication se trouve peut-être dans un sous-type en social. Herr Professor Ratzinger n’était pas indifférent aux places occupées dans l’Université. Non par recherche vaniteuse des honneurs, mais par ce goût de la discussion entre pairs sur des sujets intellectuels essentiels. Tous les témoignages concordent: Joseph Ratzinger était très à l’aise dans les colloques, séminaires et dans les différents cours qu’il donnait avec grand plaisir. La personne de base 5 en social peut aimer le groupe, dans la mesure où l’on y partage des connaissances et où l’on évite les discussions superficielles. Cette capacité le fit nommer au poste d’archevêque de Munich, ce qu’il n’aima pas, parce qu’il n’était pas un homme d’action. A Rome, il fut un remarquable préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, dont la mission est essentiellement théologique. Mais en tant que pape, cette sociabilité avec les théologiens et les intellectuels semble lui avoir manqué. Elle a été remplacée par des mondanités épuisantes et vaines, avec des combats pour lesquels il ne se sentait pas de taille.

La charge pontificale aurait demandé, dans le terrible contexte de l’Eglise (qu’il avait perçu avant tout le monde et explicité dans son homélie du chemin de Croix de 2005 au Colisée, quelques jours avant son élection), une activation d’une flèche 8 dont il n’avait peut-être ni la force ni le goût. Ce qui a conduit, huit ans plus tard, à sa renonciation, au choix définitif d’une posture de retrait, dans l’humble reconnaissance de ses limites.

Réfléchir d’abord. L’émotion est pour après, mais elle est bien présente: c’est Joseph Ratzinger, fin mélomane, à son piano. C’est l’homme qui aimait les chats, peut-être en raison de leur autonomie. C’est la personne délicate, attentionnée, douce par le regard et par le geste. C’est aussi l’homme de prière, dont nous ne pouvons rien dire, mais dont nous pouvons penser que par elle, le cœur avait pris le pas sur le raisonnement. Benoît XVI a toujours défendu, contre bien des théologiens de son époque, que la Révélation n’est pas d’abord son contenu, mais la rencontre avec Celui qui se révèle. Pape, il ne dira rien de plus important. « À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive » (Benoît XVI, Lettre encyclique Dieu est amour, § 1).

Pour ceux qui l’ont lu, les textes de Ratzinger procurent bien sûr une intense jubilation intellectuelle, mais, souvent, et c’est le cœur de l’œuvre, touchent au cœur et tirent les larmes, d’autant que ce qui est écrit l’est sans aucun effet de plume. Parce qu’au-delà de sa nature, qui le poussait à développer ses talents rationnels à la place qui était la sienne, la vraie vie de Benoît XVI fut sans doute dans l’intimité du cœur à cœur avec son Dieu.

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son œuvre. 

Rousseau, un être à part

ROUSSEAU, UN ETRE A PART
Un archétype* de base 4, en social


Nous avons la chance avec Jean-Jacques Rousseau, comme avec saint Augustin, précurseur du genre, mais aussi avec Montaigne, et puis ensuite Chateaubriand, et les grands diaristes, comme Julien Green, de connaître, par leurs Confessions, les pensées et sentiments intimes de ces écrivains dont la langue nous enchante. Celle de Rousseau est l’une des plus belles de la langue française, et dans les Confessions se dessine un autoportrait d’une précision psychologique rare, celle d’une personne dont tout laisse à penser qu’elle serait de base 4.


Le premier trait de la personnalité de base 4 est l’intensité, jusqu’à
une ampleur d’humeur rare, qui fait se succéder les moments d’euphorie et ceux de tristesse, voire de dépression. Cette instabilité d’humeur peut être difficile pour
l’entourage, mais aussi pour la personne elle-même. Sur son passage à Chambéry, où
il vécut une vie plus stable que durant le reste de son existence, Rousseau concède:
« Ma vie a été aussi simple que douce, et cette uniformité était précisément ce dont
j’avais le plus grand besoin pour achever de former mon caractère, que des troubles
continuels empêchaient de se fixer. »

Mais, généralement, la base 4 se manifeste dans l’intensité des émotions, et
notamment dans une connaturalité avec la tristesse.
Ces émotions sont ce qui est le plus important dans son existence : « Je n’ai qu’un guide fidèle sur lequel je puisse
compter; c’est la chaîne des sentiments qui ont marqué la succession de mon être. »

Cette émotion est d’ailleurs communicative, et doit être partagée. Alors qu’une de
ses pièces vient d’être jouée, Rousseau note : « Le plaisir de donner de l’émotion à
tant d’aimables personnes m’a ému moi-même jusqu’aux larmes. »
Mais, derrière
les émotions heureuses, se loge toujours une mélancolie, tapie en embuscade:
« Près de maman [Mme de Warens, sa protectrice, qu’il appelle ainsi], mon plaisir
était toujours troublé par un sentiment de tristesse, par un secret serrement de cœur
que je ne surmontais pas sans peine.
 » Cette mélancolie peut laisser place à une
tristesse débordante, parfois complaisante
, comme en ce moment où Rousseau se
sent profondément seul : « Insensiblement je me sentis isolé et seul dans cette
même maison dont auparavant j’étais l’âme et
[…] pour m’épargner de continuels
déchirements je m’enfermais avec mes livres, ou bien j’allais soupirer et pleurer à
mon aise au milieu des bois. »
Cette situation réactive-t-elle la blessure d’abandon
de l’enfant qui a perdu sa mère à la naissance? Sans doute, mais quelles que soient les circonstances de sa vie, une personne de base 4 ressent souvent l’abandon, que celui-ci soit bien réel, ou plus ou moins imaginaire.

Cette capacité de ressentir des émotions profondes et intenses a son revers: la
tentation de l’égocentrisme
. On sait que Rousseau a abandonné ses propres enfants
(là encore, on ne peut pas ne pas faite le lien avec cette blessure initiale). Mais, alors
que sa conduite a suscité de l’indignation, il est significatif de voir comment il se
défend : « Jamais un seul instant de sa vie Jean-Jacques n’a pu être un homme sans sentiment, sans entrailles, un père dénaturé. J’ai pu me tromper, mais non m’endurcir. » Faire erreur oui, ne pas ressentir, jamais.

Cette quête d’émotion est telle que la personne de base 4 ressent de manière
particulièrement aiguë ce qui manque, plutôt que ce qu’elle a
. On le lit dans cet
aveu, devant la perte d’un amour: « Si je n’avais pas senti tout mon amour en la
possédant je le sentis bien cruellement on la perdant. »
La perte est toujours plus
intense que la possession.

Cela rejoint un autre trait de personnalité de la base 4, qui est lié à cette quête
d’intensité: le dégoût de la banalité et le fait de cultiver l’originalité en méprisant ce que les autres recherchent ou cherchant ceux que les autres redoutent. Rousseau avoue son inconfort devant les considérations triviales du quotidien: « Quand je me passionne, je sais trouver quelquefois ce que j’ai à dire; mais dans les entretiens
ordinaires je ne trouve rien, rien du tout; ils me sont insupportables par cela seul
que je suis obligé de parler. »
La routine est insupportable, mieux vaut l’instabilité
de l’aventure, et le coup de tête vaut mieux que le calcul et la prévoyance
: « Je
quittais volontairement mon emploi sans sujet, sans raison, sans prétexte, avec
autant et plus de joie que je n’en avais eu à le prendre il n’y avait pas deux ans. »

Cette originalité est inconcevable pour le commun des mortels. On l’a renvoyée à
Rousseau qui répond tranquillement : « On m’a imputé de vouloir être original et
faire autrement que les autres. En vérité je ne songeais guère à faire ni comme les
autres ni autrement qu’eux. Je désirais sincèrement de faire ce qui était bien. »
Être
soi, d’abord.

Cette revendication d’originalité, cette conscience d’avoir plus de conscience
émotionnelle que les autres, se conjugue à une quête d’authenticité, qui fait de la personne de base 4 un être à part. Citons ici le sublime début des Confessions, où le portrait de la base semble se développer, jusqu’à une conscience de son unicité, portée à son paroxysme : « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple, et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme
dans toute la vérité de la nature; et cet homme ce sera moi. Moi seul. Je sens mon
cœur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus;
j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent.
Si je ne vaux pas mieux,
au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel
elle m’a jeté, c’est ce dont on ne peut juger qu’après m’avoir lu. »


L’authenticité des Confessions est un des secrets de ce texte admirable. Rousseau
peut fasciner, irriter: personne ne peut ignorer qu’il prend le risque de
l’authenticité, sans réserve ni transaction : « Dans l’entreprise que j’ai faite de me
montrer tout entier au public, il faut que rien de moi ne lui reste obscur ou caché; il
faut que je me tienne incessamment sous ses yeux, qu’il me suive dans tous les
égarements de mon cœur, dans tous les recoins de ma vie; qu’il ne me perde pas de
vue un seul instant, de peur que, trouvant dans mon récit la moindre lacune, le
moindre vide, et se demandant, qu’a-t-il fait durant ce temps-là, il ne m’accuse de
n’avoir pas voulu tout dire. »
Tout dire, ne rien cacher, notamment de ses
émotions: c’est ce que les personnes de base 4 se voient reprocher parfois. Souvent par ceux qui n’arrivent pas à se dire eux-mêmes.


Ce souci d’être soi, va jusqu’à la vie spirituelle qui ne peut être une routine, mais ne
peut consister qu’en un cœur à cœur avec Dieu: « Là tout en me promenant je
faisais la prière, qui ne consistait pas en un vain balbutiement de lèvres, mais dans
une sincère élévation de cœur à l’auteur de cet aimable nature dont les beautés
étaient sous mes yeux point je n’ai jamais aimé à prier dans la chambre: il me
semble que les murs et tous ces petits ouvrages des hommes s’interposent entre
Dieu et moi. J’aime à le contempler dans ses œuvres tandis que mon cœur s’élève à
lui. Mes prières étaient pures, je puis le dire, et dignes par-là d’être exaucées. »


Cette passion de l’absolu de la personne de base 4 peut la conduire à l’excès de
l’envie.
Cette envie de celui qui vit intensément ce que je voudrais vivre, et plus
encore, Rousseau en est conscient. Face à un rival, il note scrupuleusement les
sentiments qui naissent en lui, en tâchant de ne point les suivre : « Le premier fruit
de cette disposition si désintéressée fut d’écarter de mon cœur tout sentiment de
haine et d’envie contre celui qui m’avait supplanté. »
Si l’envie est le mot de l’excès
de passion de la base 4, la haine (compétition-haine) est celui spécifique au 4 en
sous-type tête-à-tête. Comme l’intrépidité (dans le fait de quitter un emploi sous
une impulsion soudaine et incontrôlable est celui du sous-type survie). Mais il semble que Rousseau soit en social. Il n’eut de cesse de vouloir entrer dans le
monde tout en le méprisant, et de comparer l’accueil réservé à ses œuvres avec celui des autres philosophes des Lumières.

Le mot du 4 en social est honte, et Rousseau en parle admirablement lorsqu’il relate l’affaire du ruban qu’il a volé en faisant injustement accuser une jeune cuisinière. « Quand je la vis paraître ensuite mon cœur fut déchiré, mais la présence de tant de monde fut plus forte que mon repentir. Je craignais peu la punition, je ne craignais que la honte; mais je la craignais plus que la mort, plus que le crime, plus que tout au monde. J’aurais voulu m’enfoncer, m’étouffer dans le centre de la terre: l’invincible honte l’emporta sur
tout, la honte seul fit mon impudence, et plus je devenais criminel, plus l’effroi dans
convenir me rendait intrépide. »

Vraisemblablement Rousseau avait le sous-type survie en second (goût prononcé pour la nature, tendance à une certaine intrépidité) et un tête-à-tête quasi inexistant, qui explique aussi l’impression d’indifférence envers les autres et cette incapacité à avoir des relations amoureuses réciproques. Il s’en plaint d’ailleurs amèrement : « Comment se pouvait-il qu’avec une âme naturellement expansive, pour qui vivre c’était aimer, je n’eusse pas trouvé jusqu’alors un ami tout à moi, un véritable ami, moi qui me sentais si bien fait pour l’être? Comment se pouvait-il qu’avec des sens si combustibles, avec un cœur tout pétri d’amour je ne sais pas du moins une fois brûlée de sa flamme pour un objet déterminé? Dévoré du besoin d’aimer sans jamais l’avoir pu bien satisfaire, je me
voyais atteindre aux portes de la vieillesse, et mourir sans avoir vécu
. »

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son œuvre. 

Glenn Gould, l’excentrique

GLENN GOULD, L’EXCENTRIQUE
Un archétype de base 5 en survie à aile 4*

L’excentrique, c’est ainsi que Bruno Monsaingeon qui écrivit plusieurs livres et réalisa plusieurs films avec lui, nommait Glenn Gould. Le pianiste canadien, mort à 50 ans en 1982, fut une légende de son vivant. Pas seulement parce qu’il fut un des plus grands pianistes de tous les temps, mais parce que son aura, près de quarante ans après sa mort n’a point pâli.

Glenn Gould est un enfant prodige. A trois ans, on sait qu’il a l’oreille absolue. Il apprend le piano avec sa mère, est organiste d’église à onze ans, donne son premier concert de piano à quinze ans et compose très vite dans un style à mi-chemin entre romantisme et musique dodécaphonique.

En 1955, il grave sa première version des variations Goldberg de Bach qui révolutionne l’interprétation du Kantor. Jamais le contrepoint de Bach n’avait été aussi lisible. Entre 1955 et 1964, il se produit dans le monde entier et, à la surprise générale, il met fin à sa carrière publique à 32 ans. Désormais, il se consacrera à l’enregistrement de disques. Il meurt d’un AVC à cinquante ans, après avoir enregistré une seconde version des variations Goldberg, marmoréenne et crépusculaire.

Même si l’on a évoqué, de manière controversée, un autisme Asperger ou une névrose, la base 5 de Glenn Gould semble être une hypothèse sérieuse. Son retranchement dans la solitude pour s’adonner à une quête obsessionnelle de la perfection musicale, la manière qu’il avait de fuir le monde et de mettre à distance ses interlocuteurs est légendaire. Il préférait d’ailleurs la compagnie des animaux à celle des humains! La sobriété de son train de vie est également typique de la base 5: il se nourrissait chaque jour du même repas composé de pain grillé, d’œufs brouillés et de salade. Et, bien sûr, Gould est le prototype du musicien cérébral. Sa manière de faire comprendre l’architecture de la musique qu’il jouait est unique dans l’histoire du piano. Qui n’a écouté Gould en ayant le sentiment de comprendre la musique?

Mais Gould semble avoir aussi une belle aile 4. Il chantonnait en jouant, et ses enregistrements sont célèbres pour cela, et les images nous le montrent dans une transe très expressive, où l’émotion est omniprésente. Avec une expressivité des émotions très 4, mais, à l’abri, derrière la caméra! La vidéo de Gould jouant le dernier contrepoint de L’Art de la fugue, inachevé du fait de la mort de Bach, est bouleversante: à la dernière note, Gould se fige dans un geste très théâtral comme s’il mourrait avec Bach.

Contrairement à une légende tenace, Gould n’a pas un jeu insensible! Loin de là: il suffit d’écouter par exemple le prélude en si bémol mineur du premier livre du Clavier bien tempéré de Bach:

ou ses ballades de Brahms:

Gould était sans doute de sous-type en survie, ce qui renforce le retrait du 5, dans son château-fort. Il était toujours, été comme hiver recouvert d’une série de couches de vêtements pour ne pas avoir froid et trempait longuement ses mains dans l’eau chaude avant de jouer…

Riso et Hudson appellent le 5 à aile 5 l’iconoclaste. Les propos de Gould sur Mozart et Chopin dont il n’aimait pas la musique, ou sa fameuse chaise aux pieds sciés pour être en contrebas du clavier en sont des exemples. Mais surtout, c’est ce mélange de puissance cérébrale et de retrait d’un côté, de passion et d’émotion de l’autre qui peut en faire un archétype. Comme beaucoup d’artistes, notamment des cinéastes (David Lynch, Tim Burton) qui expriment des émotions intenses sur la base d’une grande intelligence mentale et à l’abri, derrière une caméra qui, selon les cas, observe ou protège.

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son œuvre. 

Le vagabond des mers du Sud

LE VAGABOND DES MERS DU SUD
Bernard Moitessier
Un archétype de la base 5 en survie*

Né en Indochine en 1925, Bernard Moitessier a appris le goût de la nature lors des grandes vacances dans le golfe du Siam au contact des pêcheurs locaux qui l’initient à la navigation. Sa vocation vient de là pour celui qui se surnommait lui-même le vagabond des mers du sud. Sillonnant l’Atlantique et le Pacifique, il passe trois fois le cap de Bonne- Espérance et deux fois le cap Horn. Militant pour la
dénucléarisation du Pacifique, écologiste avant l’heure, il échoue en plein Océan
Indien et passe trois ans à l’île Maurice où il vit dans une maison de corail sur une
plage en donnant des conférences ou en pêchant, et est à deux doigts de perdre un
pied à la suite d’une morsure de requin. En 1958, il fait naufrage en s’endormant en
pleine nuit après 72 heures sans sommeil.

Il participe en 1968 à la première course autour du monde en solitaire. Et, coup de
théâtre, alors qu’il s’apprête à franchir la ligne d’arrivée en vainqueur, devant les
flonflons, la fanfare, les petits fours et la perspective d’un quai noir de monde et de
mondanités superficielles, il renonce à la victoire et poursuit sa course jusqu’à
Tahiti, faisant un tour du monde et demi en solitaire durant dix mois de navigation.
Avec un lance-pierre, il a laissé un message à un cargo en disant : « Je continue car
je suis heureux en mer et peut-être aussi pour sauver mon âme. »

Cet événement emblématique, le goût de la solitude, même quand il sera marié et père d’un enfant, de l’écriture (La longue route est un journal de bord qui eut un vrai succès) née de l’observation, de la nature, poussent à imaginer une base 5 en sous-type survie.

« Je pensais que j’étais un solitaire parce que je ne pensais pas que vous pourriez naviguer autrement que seul. Je me rends compte maintenant comment la solitude en mer a des couleurs intenses et violentes parfois, mais toujours chaudes. Elle n’a rien en commun avec ce genre de grisaille, de vide total qui touche une personne sans compagnons. Plongé dans une foule indifférente qui va toujours pressée. »

La personne de base 5 évite le vide, et la solitude lui permet de le remplir par la
réflexion, l’art ou la contemplation.

« Il y a différentes philosophies pour naviguer. La mienne s’attache à faire au plus simple, pour être paré à prendre la mer dans les plus brefs délais et à moindre frais. »

C’est là que la tentation de la base 5 apparaît, l’avarice, qui peut être matérielle,
par désir de ne pas dépendre de quelque chose de lourd et difficile à lâcher, d’éviter de s’encombrer de besoins superflus, d’attaches lourdes à dénouer: le bateau est là, prêt à prendre la mer. Avarice de soi aussi, car, en mer, personne ne vient demander de s’investir dans une relation qui pourrait troubler son monde intérieur.

Cet excès de passion peut être néanmoins canalisé par la vertu propre de la base 5, la générosité pour développer son talent de faire voir, clarifier, transmettre, avec sobriété. Les pages qu’il nous laisse en atteste, qui nous ouvrent à un monde riche, lumineux, profond, comme une métaphore de la vie intérieure, libre de toute attache et disponible à ce qui est.

« Un bateau, c’est la liberté, pas seulement le moyen de rejoindre une destination,
comme je le pensais il n’y a pas si longtemps. Petite maison spartiate que j’emmène
avec moi et qui me transporte où je veux dans le monde, Marie-Thérèse [le nom
d’un de ses bateaux], représente aujourd’hui la riche solitude des grands espaces.
Où passé et futur fusionnent pour devenir le moment présent dans le chant de la
mer. »

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son œuvre. 

 

Aristote et la base 9

ARISTOTE
Un archétype de la base 9 en social*

Aristote est né en 384 avant Jésus-Christ dans la ville de Stagire, dans la péninsule Chalcidique au nord de la Grèce, d’où son surnom de Stagirite. Il est un des fondateurs de l’éthique et de la philosophie politique après son maître Platon. Il nous est notamment précieux car il a écrit avec l’Éthique à Eudème, un traité d’éthique des caractères qui montre notamment que selon son tempérament, nous n’avons pas les mêmes actes à poser ni donc les mêmes vertus à développer, ce que nous transmettons avec l’ennéagramme.

Il est aussi précieux pour sa conception de la vertu que l’on peut lire dans l’Ethique à Nicomaque. La vertu pour Aristote est le juste milieu entre deux contraires, un excès de passion et un défaut de passion. Le courage est ainsi une médiété entre l’excès et porte le nom de témérité et le défaut qui porte le nom de lâcheté. Cette vision du juste milieu, d’un ni trop ni pas assez, fait de la vertu non pas une compétition (comme pourrait le penser une personne de base 3), mais un ajustement à une situation donnée. On pourrait dire que pour lui, toute vertu porte en elle, une action juste… la vertu de la base 9!

De base 9, Aristote? On n’a guère que son œuvre restante pour essayer de le monter. Mais quand on songe à sa vision politique, on est frappé par le fait que le mot clef est l’amitié. Pour Aristote l’amitié, ou philia, assure la cohésion de la cité dont le but est avant tout la concorde et la paix. « L’amitié semble aussi constituer le lien des cités, et les législateurs paraissent y attacher un plus grand prix qu’à la justice même: en effet, la concorde, qui paraît bien être un sentiment voisin de l’amitié, est ce que recherchent avant tout les législateurs, alors que l’esprit de faction, qui est son ennemie, est ce qu’ils pourchassent avec le plus d’énergie. Et quand les hommes sont amis, ils n’ont pas besoin de justice, mais lorsqu’ils sont justes, ils ont en outre besoin d’amitié, et la plus haute expression de la justice est, dans l’opinion générale, de la nature de l’amitié. » (Ethique à Nicomaque, VIII, 1, 1155a 22-28). L’amitié est fondamentale en ce qu’elle diminue l’attachement des hommes à leurs intérêts privés et donc elle limite les risques de conflit. Dans notre langage contemporain on pourrait dire que l’amitié crée du commun et de l’harmonie.

On sait qu’Aristote a osé cette définition de l’homme comme un animal politique, c’est-à-dire un homme qui ne vit pas sans les autres. Pas par altruisme comme une personne de base 2, mais par un sens de ce qui unit. Contrairement à la pensée moderne où l’homme crée la société pour se protéger (motivation de la base 6) ou pour maximiser ses intérêts (motivation de la base 7) ou par souci d’efficacité (motivation de la base 3); pour Aristote, les hommes essaient de vivre ensemble même lorsqu’ils n’ont aucun besoin d’aide mutuelle (Politique III, 6, 13278b 19). Il est dans leur nature d’être rassemblés, dans le couple (tête-à-tête), le village (survie) ou la cité (social). Mais c’est dans le cadre de la cité que l’homme réalise son être, ce qui fait penser à un 9 en sous-type social.

On trouve aussi quelque chose de très 9 dans sa théorie des régimes politiques.

Petit préambule de philosophie politique pour comprendre ce qui va suivre. Pour Aristote, les régimes politiques sont classés de la sorte au chapitre VII de la Politique selon le nombre des gouvernants: soit une personne, soit un petit nombre, soit un grand nombre. Et il y a deux buts possibles: un but louable, le bien commun de la cité; un but perverti, où le ou les gouvernants recherchent leur avantage particulier. Cela fait donc six régimes possibles. Trois sont des formes correctes de gouvernement: royauté, aristocratie et politeia ou république. Trois sont des formes perverses ou dégradées: la tyrannie, l’oligarchie et la démocratie.

Mais quel est le meilleur régime, question que les Grecs aiment tant? Et bien depuis des siècles on a des lectures très différentes d’Aristote. Certains l’ont vu favorable à la monarchie, d’autres à la république ou même à la démocratie. C’est compréhensible, car Aristote peut laisser penser les deux, comme s’il ne voulait pas trancher définitivement. Mais on peut dire en suivant Pierre Aubenque, un de ses commentateurs récents les plus autorisés, qu’en théorie le meilleur régime est la monarchie, mais qu’en pratique, ce monarque gouvernant pour le bien commun est introuvable (Politique, III, 15)! Voilà une manière pacifique de contredire son maître Platon sans en avoir l’air, comme par résistance passive… Et plus loin (Politique, IV, 2) Aristote dit que la démocratie est la déviation du meilleur gouvernement qui est la moins distante de son correspondant correct, parce que le peuple est moins corruptible que quelques-uns ou un seul, parce que les intérêts contradictoires s’équilibrent en se neutralisant, et donc la démocratie devient alors le plus modéré des mauvais gouvernements, et que sa forme non corrompue, la république, est la plus souhaitable dans les faits. Comme l’a montré Aubenque, Aristote est au fond pour ces régimes médians que sont la politeia et la démocratie, au détriment de ceux qui vont plus loin, jusqu’à l’extrême, dans le bon ou le mauvais, dans une logique qui rejoint celle de la vertu comme juste milieu. On peut aussi dire que la préférence, pas toujours affirmée frontalement par Aristote, pour la politeia et la démocratie est cohérente avec cette amitié politique qui semble se conformer facilement gouvernement du plus grand nombre du fait de l’implication d’un plus grand nombre de citoyens et donc d’une plus grande harmonie.

Un autre indice important est que Aristote définit au départ la politeia comme un mélange d’oligarchie et de démocratie. Au fond la politeia est le juste milieu entre deux corruptions, une médiété entre deux extrêmes. Elle met fin au conflit entre les riches et les pauvres.  Il y a chez Aristote une forme de modération. La grandeur et le sublime sont évacués au profit de l’harmonie et du moindre risque, de la prudence et la pacification (on a ici des mots qui résonnent en base 9 et… en base 6, flèche de la base 9).

Dernier indice, après la mort d’Alexandre et la révolte des cités grecques contre l’hégémonie macédonienne, Aristote doit quitter Athènes et meurt peu après. Il semble qu’il n’ait pas voulu créer un conflit aussi majeur que celui qui a provoqué le jugement de Socrate et a préféré se retirer…

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son œuvre. 

 

 

Albert Camus et la base 4

ALBERT CAMUS
Un archétype de la base 4 en survie*
par Pascal

Celui que d’aucun appelait le philosophe pour classes terminales, Albert Camus, est né le 7 novembre 1913 à Mondovi (Algérie) d’une famille de petits blancs. Français par son père et majorquin par sa mère, il va perdre son père à la guerre de 1914 et ne le connaîtra jamais, ce qui chez cette personne vraisemblablement de base 4 va se marquer par un manque cruel. Il le retrouvera bien des années plus tard dans un cimetière de Saint-Brieuc.

Elevé sans père, sa grand-mère a la main lourde et règne sur sa mère, son frère aîné Lucien et lui. Sa mère, Catherine Sintes, est très douce, résignée, presque sourde, illettrée… Camus lui vouera une affection sans borne et lui dédicacera sa dernière œuvre en grande partie autobiographique, Le Premier homme. Enfant pauvre, mais chahuteur, ombrageux, excessif et sensible, très doué, son intelligence est précoce et brillante. Son instituteur, Louis Germain, le fera entrer au lycée; c’est à lui que Camus, un des plus jeunes lauréats, dédicacera son prix Nobel de littérature en 1957: « Après ma mère, ma première pensée a été pour vous. Sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement et votre exemple, rien ne serait arrivé. » Chez Camus, l’intelligence du cœur est saillante.

C’est un homme sympathique, lui-même se décrivant comme un mélange d’Humphrey Bogart et de Fernandel. Son charme, son pouvoir de séduction était doublés d’un sens de l’humour dépourvu du moindre snobisme: quelque chose comme de l’authenticité… Il fut d’autant plus amoureux de la vie que sa survie fut très tôt menacée… Il souffrira toute sa vie, et durement, de tuberculose décelée à l’âge de 17 ans; ce qui ne l’empêchait pas de fumer, de boire et de ne pas dormir. Il y a chez lui une alliance d’urgence et de profondeur. L’homme est complexe, tourmenté, passionné, pétri de contradictions: il aurait pu dire de lui-même qu’il était une sorte de Don Juan et de Saint Augustin – qu’il admirait: fureur de vivre et intériorité créative. La tuberculose lui barrera l’accès à l’Agrégation, au football en équipe et l’empêchera de s’engager contre Hitler; il sera néanmoins résistant à Combat et failli être arrêté. Il décroche son DES de Philosophie sur le néoplatonisme et la pensée chrétienne, avec au centre Plotin et Saint Augustin. Ne pouvant être professeur, ni gagner sa vie comme écrivain ou par le théâtre, il sera journaliste. A 27 ans, il a terminé L’Etranger, avant 28 ans Le Mythe de Sisyphe, La Peste sera rédigée pendant la guerre en Haute Loire.

On peut admirer Sartre, on aime Camus. Ses écrits aident à vivre, parce qu’ils nous rejoignent: loin d’être hors sol, ils s’enracinent dans notre condition mortelle, souffrante et pourtant… belle: c’est le nihilisme positif qu’il partage avec l’existentialiste chrétien d’origine danoise Soren Kierkegaard. Si la condition humaine est absurde, c’est parce qu’il est confronté à la mort. Partant, dans Le Mythe de Sisyphe, et plus tard L’Homme révolté, il n’y a qu’une philosophie sérieuse, c’est le suicide. Face à l’absurde et face à la mort reste la révolte et cet absurde, il faut le vivre. Ne s’étant jamais considéré comme un intellectuel ou un philosophe (il n’y a pas d’école camusienne, de philosophie camusienne), il se voit plutôt comme un penseur, un moraliste. Mélancolique de nature et flegmatique, il fut souvent en proie au doute, au désespoir: au début des années 50 , il pensa même au suicide, comme sa femme Francine. Il faut imaginer Sisyphe heureux mais peut-on imaginer Camus heureux? La tragédie de l’existence est le moteur de la base 4.

Lancé dans le grand bain du journalisme, les textes qu’il a rédigés et la déontologie qu’il a énoncée sont enseignés dans les écoles de journalisme. Absence de neutralité et souci de probité, il les résume dans une formule qui se trouve aujourd’hui sur le site de Marianne: « Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti ». Avec Jean Daniel, son ami, il préconise: « Une idée, deux exemples, trois feuillets ». Ecrivain, journaliste, penseur, homme de théâtre, voyageur, il n’aime pas les tâches routinières, les travaux ou les horaires de bureau, il travaille la nuit. Il a horreur de la monotonie, des diners en ville; cela l’ennuie. Il a la volonté d’introduire le langage de la morale dans la politique. Animé par une quête de sens, sans mensonge aucun, il est allergique à tous les mots d’ordre, aux idéologies; il est exclu du parti communiste au bout de trois ans en 1937 car il en dénonçait les atrocités, comme d’ailleurs celles des fascistes, et n’adhérera jamais à aucune faction. Camus ne courtise pas les milieux politiques: en ce qui concerne De Gaulle, il l’estime mais s’en méfie. Dans ses carnets, Camus qualifiait les politiques d’hommes sans idéal et sans grandeur qui profèrent les mêmes mensonges. Il savait manier l’ironie et même la férocité, n’hésitant pas à qualifier certains politiques « d’inutiles voire de nuisibles ».

Pacifiste comme Niehbur et Mendela, il n’acceptera jamais le terrorisme: « La violence est à la fois inévitable et injustifiable ». Comme Hugo, il était contre la peine de mort. Le drame algérien le mina jusqu’à la fin de sa vie: il aimait ses concitoyens algériens des deux camps, tendant à les aider. Douée d’une grande compréhension du cœur, vertu de la base 4, il vibrait d’une intense émotion aux malheurs d’autrui.

Camus a eu plusieurs maitresses, essentiellement sa guide à New York Patricia Blake, Mi (Mette Ivers), mannequin danoise qu’il ira jusqu’à s’installer chez lui à Lourmarin, l’actrice Catherine Sellers; mais surtout en 1944 Maria Casarès, l’unique, la magnifique tragédienne avec qui il vit un grand amour.

L’athéisme de Camus se vit aux couleurs de la base 4: différent des autres, il le revendiquera toujours! « Je lis que je suis athée, j’entends parler d’athéisme; or, ces mots ne me disent rien, car ils n’ont pas de sens pour moi. Je ne crois pas en Dieu mais je ne suis pas athée » (Cahiers, 1er novembre 1954). Non seulement Camus l’incroyant ne méprise pas les gens de foi mais il les admire, les vénère parfois et dans une certaine mesure les envie, notamment Pascal ou Simone Weil. Mais tout cela ne peut rentrer dans un moule quelconque. En 1957 à Stockholm, où il est mal à l’aise car il n’aime pas les honneurs et se sent trop jeune avec une œuvre pas assez consistante, Camus déclare dans une conférence de presse ; « je n’ai que vénération et respect pour la personne du Christ et son histoire. Mais je ne crois pas à la résurrection ». C’est le matin de Pâques qui le sépare des chrétiens: « Je ne partirai pas du principe que la vérité chrétienne est illusoire, mais je ne peux y entrer. »

Passionné, bouillant, conquérant, aimant la femme, les femmes; on pourrait croire à un sous-type en tête-à-tête. Ce serait sans compter la confusion courante et subtile entre sous-type tête-à-tête et base 4. Car Camus est un être profondément relié à ses sens comme le sont les personnes en survie: le soleil, les plages d’Algérie où il se baigne, les monuments d’Italie, les sites de la Grèce. C’est un esthète qui aime le beau, mais qui possède une vitalité sensorielle très charnelle. Son écriture attentive à la nature, à la lumière, à la chaleur sur la peau, traduit ce rapport au corps qui caractérise les personnes en survie, même de centre tête ou cœur.

Il y a chez lui de l’intrépidité, une manière de se brûler les ailes de façon audacieuse, de se mettre en danger; typique de l’alliance du type 4 et du sous-type survie, qui est souvent anti-survie: pendant la guerre, assigné à une vie monastique en haute Loire, ce qui ne lui déplaît pas – intériorité d’une possible aile 5 et déploiement de créativité avec la Peste; il ne fume plus , ne boit plus et parle de chasteté. Il écrira: « la vie sexuelle a été donné à l’homme pour être son opium », et fera dire à Clamance dans Les Justes que la femme est tout ce qui reste du paradis terrestre: hommage où se retrouvent l’intensité du manque et du désir, la sublimation du tragique, la soif éperdue d’absolu…

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son œuvre. 

François Mitterrand et la base 5

FRANCOIS MITTERAND
Un archétype de la base 5 en social*

Secrète, distante, calme, cérébrale: ainsi voit-on la personne de base 5. François Mitterrand en serait-il un archétype?

Plusieurs pistes vont en ce sens, dont celle d’un centre d’intelligence mental: rapidité de l’intelligence, précision du verbe, recours au calcul rationnel.

Plus caractéristique peut-être, cette retenue, cette réserve que certains pouvaient juger hautaine ou froide. La personne de base 5 place ses interlocuteurs à distance, notamment pour ne pas être envahie émotionnellement et garder le recul nécessaire pour comprendre et contrôler son environnement: le regard de sphinx de François Mitterrand, son économie de paroles, ne sont pas sans y faire penser.

Et puis, il y a ce dont ses proches témoignent à la fin de l’excellent film documentaire de Jean Lacouture et Patrick Rotman: la capacité à cloisonner. Personne n’était en mesure de connaître l’intégralité de la vie de François Mitterrand. Il séparait rigoureusement sa vie privée de sa vie publique, et au sein de sa vie politique ou amicale ne mélangeait par les différents cercles. Jusqu’à la fin de sa vie, il continua à déjeuner une fois par an avec son vieil ami l’écrivain Jacques Laurent, homme de droite, qu’il avait connu avant-guerre dans les milieux étudiants royalistes de l’Action française, sans jamais la recouper avec ses amitiés politiques plus récentes.

Tout comme personne ne pouvait imaginer la profondeur de la relation amoureuse qu’il avait avec Anne Pingeot, la mère de Mazarine. Plusieurs lettres par jour, écrites passionnément dans le secret de sa chambre: l’émotion n’est pas étrangère à la personne de base 5, loin s’en faut; mais s’y abandonner pourrait brouiller la rationalité, c’est pourquoi elle se vit souvent dans la solitude, après coup, à l’abri des regards.

De même, les interrogations profondes de Mitterrand sur la mort et sur Dieu, furent-elles toujours partagées avec un petit nombre, sans doute les rares qu’il jugeait au niveau nécessaire pour avoir avec lui ce genre de conversation: conjugaison caractéristique de la base 5 de la recherche du sens et d’un certain élitisme.

Sans doute la carrière exceptionnelle de François Mitterrand tient-elle, non pas à cette passion de la réussite qui anime par exemple les personnes de base 3, mais à cette avarice de soi qui est l’excès de passion de la base 5. Mitterrand a eu cet art incroyable de donner peu autour de lui, sauf des positions d’honneur une fois qu’il sera élu, et de beaucoup prendre. Sans aucun doute y est-il arrivé car la supériorité de son intelligence, alliée au culte du secret et de la dissimulation, a-t-elle exercé dans son entourage une fascination rendant possibles tous les dévouements, même les plus irrationnels.

À ce stade, on ne peut pas omettre de signaler l’importance du sous-type social qui donne à ces personnes de base 5 une capacité à comprendre les fonctionnements collectifs, à parler en public, et aussi, pour le pire, à manipuler avec des accents déconcertants de sincérité.

L’efficacité dès lors devient redoutable, d’autant qu’en activant sa flèche 8, il est en mesure de déployer une puissance insoupçonnable habituellement. La fameuse campagne d’affiche de 1981, avec la chapelle en second plan, est d’ailleurs une illustration:  en mélangeant l’étiquette progressiste due au socialisme et la référence terrienne et ancestrale figurée par la chapelle romane, l’image donnait au candidat une stabilité que venaient renforcer le slogan, particulièrement réussi de sa campagne: la force tranquille.

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son œuvre. 

Ponce Pilate et la base 6

PONCE PILATE 
Un achétype de la base 6 en social*
par Jacques-Olivier
de base 6

Lorsque Ponce Pilate fait apposer l’écriteau INRI sur la croix où meurt le Christ, il agit en fin de compte par provocation envers les grands-prêtres du Sanhédrin. Il n’a pas digéré ce procès politique, au cours duquel il s’est trouvé en confrontation agressive avec eux. Avec une certaine ironie, il cherche à montrer la vacuité de leur revendication. « Jésus-Christ est le Roi des Juifs », tel est ce que Pilate décide de faire proclamer. Tout l’inverse de ce que les accusateurs voulaient. Loyal. Sceptique. Et même loyal-sceptique.

Au nom de ce gouverneur romain sont attachés beaucoup de termes de la base 6. Représentant de Rome et de l’ordre imposé en Palestine, il apparaît comme légaliste, gardien, loyaliste : « Tu refuses de me parler! Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher et que j’ai pouvoir de te crucifier? ».

Soucieux d’envoyer sans tarder le condamné à Hérode, il démontre ainsi qu’il ne supporte pas que les autres dérogent aux règlements et au bon ordre de la justice. Soucieux de passer pour obéissant, il se rappelle – dès le début du dialogue avec les Juifs – qu’il est soumis à une loi extérieure, celle de César. Qu’il ne peut se permettre une négligence. Son absence de prise en compte des remarques de sa femme Claudia Procula ne laisse pas entendre qu’il est habité par une loi intérieure, ce qui lèverait tout doute sur une hypothétique de base 1 pour cet homme en fin de compte assez précis et carré.

Il doute. Menant son enquête, il cherche à nourrir ses réponses en interrogeant tout le monde. Il interroge:
– les grand-prêtres du Sanhédrin (« Quelle accusation portez-vous contre cet homme? »),
– Hérode (ils en deviendront même amis, d’ennemis qu’ils étaient auparavant, nous rapporte un des évangélistes),
– Jésus-Christ lui-même (« Es-tu le Roi des Juifs? »),
– la foule (pour savoir s’il doit relâcher le Roi des Juifs, au lieu de Barabbas).

Il remplit une sorte de rôle d’avocat du diable : « Suis-je juif, moi? Ta nation et les grands-prêtres t’ont livré à moi; qu’as-tu fait? ». Son doute va crescendo jusqu’à l’Ecco Homo : « Voilà, je vous l’amène dehors, pour que vous sachiez que je ne trouve aucun motif de le condamner ». Il insiste. Contrastant avec la gravité et la dignité du silence de plus en plus marqué de Jésus, Pilate parle beaucoup, un autre symptôme des bases 6.

Le récit évangélique le laisse imaginer avec une très forte acuité d’attention (« Pilate, à ces mots, demanda si l’homme était galiléen »). Rien d’autre ne semble le déconcentrer de cette cabale qui tourne au fanatisme, de ce procès, et du mystère que lui inspire en fin de compte Jésus. Il observe. Plusieurs fois est utilisée l’expression « entendant ces paroles ». Une aile 5 ?

En fait, il a peur: de la foule, des grands-prêtres, de l’image qu’il peut donner ici et à Rome, peut-être aussi des réponses qu’il peut entendre du Christ, chez qui il ressent sans aucun doute quelque chose qui est au-delà de l’ordre de l’humain? L’évangéliste est sans ambages: « Quand Pilate entendit cette parole [nous avons une Loi, et selon la Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu], il eut encore plus peur. » Il a non seulement peur, il redouble de peur. Sa volonté reste en dessous de sa conscience, de son devoir: faible, indécis, tétanisé, Pilate semble même à l’extrême esclave de viles passions, voire lâche.

Comment évaluer son courage, vertu de la base 6? Sa décision se cristallise dans ce fameux lavement des mains, et la tradition chrétienne a sans doute beaucoup trop associé Ponce Pilate à cette ultime scène du procès. Alors que l’échange des précédents versets est d’une densité incroyable de dialogue, requérant du courage et non des mondanités: « Qu’est-ce que la vérité? », ou encore « de qui procède le pouvoir? » Il sait aussi qu’il a pouvoir de vie et de mort, et donc que l’autorité qui lui a été conférée lui reconnaît une dose de courage pour envoyer l’un ou l’autre de vie à trépas. Ici, en livrant Jésus, contre sa conscience, contre l’avis de sa femme. Lorsque Jésus est amené à son prétoire, au tout début de ce procès politique, Pilate sort « pour aller au-devant d’eux ».

Bref, une sorte d’équilibre phobique/contre-phobique. La colère n’éclate pas chez cet homme qui nous apparaît bien cérébral, mais en filigrane on le perçoit continuellement agacé, crispé, presqu’excédé. Assez peu de traits de la base 6 sont moins flagrants, je relève surtout une difficulté de me prononcer sur son imagination? Quoique. Comment son cerveau mouline-t-il quand il demande au Christ: « Tu es donc roi? »

Enfin, et c’est presque le plus intéressant à remarquer, l’hypothèse de sa base 6 semble se confirmer dans le jeu des flèches 3 et 9. Le début du procès commence très sereinement. Pilate ne s’attend pas du tout à une crise, et propose derechef que les Juifs s’occupent eux-mêmes de cette affaire qui semble presque du droit commun : « Prenez-le vous-mêmes; et jugez-le selon votre Loi ». Cette zone de confort semble s’apparente à une flèche de sécurité venant de la base 9.

La fin du procès se termine par cette décision de livrer Jésus aux Juifs pour qu’ils le mettent à mort. Intérieurement tétanisé par la peur de mécontenter César, Pilate se concentre sur ce qu’il doit faire (1er indice: « Pilate, entendant ces paroles, amena Jésus dehors et s’assit au tribunal »; 2ème indice: l’inscription placardée « INRI » en est emblématique). Sa flèche de stress et de risque le fait basculer vers la base 3. Qui ira jusqu’à la dernière scène évoquant Pilate, quand Joseph d’Arimathie vient demander le corps, et que Pilate « ordonna de le lui remettre ». Un peu de 9 (être conciliant), un peu de 3 (être dans la complétude de l’efficacité de la mesure décidée), au service de la base 6…

En résumé, et en écho de cette loyauté à une loi extérieure, voici ce qu’écrivait Benoît XVI dans Jésus de Nazareth: « Il semble pourtant que Pilate ait éprouvé une certaine crainte superstitieuse devant cet étrange personnage. Pilate était certes un sceptique. Mais en tant qu’homme de l’Antiquité, il ne pouvait toutefois pas exclure que des dieux, ou à tout le moins des êtres semblables à des dieux, puissent apparaître sous l’aspect d’êtres humains. […] Je crois que nous devons tenir compte de cette peur chez Pilate: peut-être y avait-il quelque chose de divin dans cet homme. En le condamnant, peut-être se mettait-il contre une puissance divine. Sans doute devait-il s’attendre à la colère de telles puissances. »

Toutes sortes d’hypothèses ont fleuri sur ce qu’il advint de ce gouverneur romain. Peut-être même fût-il vainqueur de sa peur et mourut-il martyr de la foi, à l’instar d’un autre archétype de base 6, saint Pierre? Peut-être est-il enterré sur le Mont Pilate en Suisse? Ce sera aussi une occasion de relire les Mémoires de Ponce Pilate, d’Anne Bernet.

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son oeuvre. 

Martin Luther King et la base 8

MARTIN LUTHER KING
Un archétype de base 8 en social*
par Pascal

Né le 15 janvier 1929, Mickaël (rebaptisé Martin Luther par son père à la suite d’un voyage en Allemagne) est fils et petit-fils de pasteurs. Etudiant doué et brillant (il sautera deux classes de lycée), il obtient d’abord une licence de sociologie avant d’obtenir un doctorat de théologie en 1954. Passionné de philosophie, ses maîtres furent Platon, Aristote, Saint-Augustin, Saint Thomas et surtout Hegel. Il sera aussi influencé par Marx, Gandhi et Reinhold Niebuhr pour le christianisme social. Il aurait voulu être enseignant (il sera finalement pasteur cinq ans à l’Église Baptiste de Montgomery en Alabama): il avait de rares capacités d’analyse et de synthèse, de logique, de rhétorique et de dialectique que l’on retrouve dans ses écrits et ses discours (autobiographie par Clayborne Carson ou dans La Force d’Aimer): bel investissement de sa flèche 5.

S’il n’a pas fait vœu de pauvreté, il n’a pas un goût immodéré pour le luxe, en revanche il est un tantinet coquet, toujours tiré à quatre épingles. Il ne renonce pas aux plaisirs naturels, à aucun plaisir. Il aime séduire les femmes, il n’est pas un ascète: grande sensorialité caractéristique de la base 8. Il n’a pas la rigueur voire la rigidité morale d’un Gandhi (sans doute de base 1) auquel il emprunte la philosophie de la non-violence, il est un américain de la middle-class noire.

En 1955 à Montgomery, sa ville, une femme noire Rosa Parks, est arrêtée pour avoir refusé sa place de bus à un blanc. C’est le début du combat de Martin Luther King. Tout au long de sa lutte pendant 13 ans, de Montgomery à Albanie (Géorgie), de Sainte Augustine à Selma (1965), de Chicago à Washington, il organise des boycotts, des sit-in avec occupation des locaux, des marches pacifiques contre la ségrégation raciale: c’est un homme de combat. La jeunesse des campus se rallie à sa cause, la Cour Suprême aussi, et dans son fameux discours I have a dream du 28 août 1963 rassemblant 250 000 personnes à Washington, il prône l’intégration raciale pour ses enfants et pour tous les noirs. En juin 1964, le nouveau Président Lyndon Johnson, certes homme du sud, mais de caractère intègre, prononce le Civil Rights. Martin Luther King se retrouve parmi les grands guides de son siècle: il fait partie des personnes qui, par leur charisme, enthousiasment leur entourage et motivent les individus à s’engager à leur suite.  Les gens le suivent parce qu’ils voient qu’il accomplit ce qu’il dit. King est l’exemple d’une personne de base 8 qui a su transcender sa colère par la non-violence. Il n’a pas besoin d’employer la force physique pour se protéger et il peut se mettre au service des vraies causes: son sens de l’action et son leadership font merveille. Il est assertif et sincère, sensible à l’altérité. Auprès de lui ses amis se sentent en sécurité, par l’investissement de sa flèche 2.

Il fut donc un leader incontestable: ainsi en 1957 il joua un rôle capital dans la fondation de la SCLC (Southern Leadership Conference), Conférence des Chrétiens du Sud, dont il fût le président jusqu’à sa mort. En 1955 à 26 ans, à l’unanimité, il devient président de la MIA (Montgomery Improvement Association). Il dira : « Je veux que nous sachions que nous sommes un peuple chrétien, nous croyons à la religion chrétienne, aux enseignements de Jésus. La seule arme que nous ayons dans les mains, c’est l’arme de la protestation. Ce n’est pas suffisant de parler l’amour, l’amour est un pivot de la foi chrétienne, il y en a un autre qui s’appelle justice« . Héraut de la non-violence, de la justice, Martin Luther King est un homme de grande foi et de prière qui a néanmoins connu des doutes, des angoisses et des luttes intérieures. Un jour, sa conscience prenant la voix de Dieu s’adresse ainsi à Martin : « Lève-toi, Martin, lève-toi pour les droits, lève-toi pour la justice, lève-toi pour la vérité, je serai avec toi jusqu’à la fin du monde ».

La personne de base 8 déteste l’injustice et pour le sous-type social, le bien du groupe est primordial. On reconnait volontiers Martin Luther King dans cette articulation type/sous-type: protecteur par excellence, sorte de patriarche malgré sa jeunesse; il sait s’entourer pour que son action ait un rayonnement large: Rosa Parks, Rufus Lewis, et surtout Ralph Albernaty (l’ami de toujours au visage rayonnant) sans oublier Jesse Jackson qu’il aime comme un fils, son digne successeur, doué, vif, intelligent. Les stars sont présentes d’Henri Bellafonte à Sidney Poitier, en passant par John Baez et Bob Dylan, sans oublier Mahalia Jackson, James Baldwyn ou encore Paul Newman.  Il fut proche des Présidents Nixon, JFK, Lyndon Johnson et aussi de Robert Kennedy: il a voyagé en Afrique (Nigeria), en Inde, en Europe (France), il a donc une dimension internationale toujours accompagné de son épouse. Il est un compagnon agréable habituellement serein, prompt à sourire, accessible à l’humour, en un mot, un bon camarade (aile 7). C’était aussi un homme de paix: il reçut d’ailleurs le Prix Nobel de la Paix à Oslo le 10 décembre 1964. Il en fût le plus jeune Lauréat. Le chanteur Ben Harper qu’il l’a bien connu écrira: « Nous avons une grande admiration pour lui » et il dit à son sujet : « le plus étonnant chez Martin Luther King, c’est qu’il respirait la paix, elle émanait de lui, de tout son être, du moindre regard au moindre geste. C’est le grand homme, un des êtres le plus pacifique que le monde ait connu, tout était prière pour lui et c’est exactement la voie à suivre. » (aile 9 vraisemblablement dominante).

En 1963 dans sa célèbre lettre de la prison de Birmingham, qui a peut-être une importance aussi capitale que son discours de Washington, il écrira : « Il existe deux catégories de lois: celles qui sont justes et celles qui sont injustes; je suis le premier à prêcher l’obéissance à des lois justes. L’obéissance aux lois justes n’est pas seulement un devoir juridique, c’est aussi un devoir moral. Inversement, chacun est moralement tenu de désobéir aux lois injustes. J’abonderai dans le sens de Saint-Augustin pour qui une loi injuste n’est pas une loi« . Et plus loin il continue : « Jésus n’était-il pas un extrémiste de l’amour : aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous persécutent, priez pour ceux qui vous maltraitent . Amos n’était-il pas un extrémiste de la justice: Que le droit jaillisse comme des eaux et la justice comme un torrent intarissable. Et enfin Abraham Lincoln n’était-il pas un extrémiste de la liberté? Une nation ne peut vire mi libre, mi esclave« . Martin Luther King est entier.

En 1964 à Chicago il s’en prend à la guerre du Vietnam et à la pauvreté : « Une nation qui continue à dépenser davantage pour ses moyens militaires que pour ses programmes de promotion sociale s’approche de la mort spirituelle« . Il incite les jeunes américains à être objecteurs de conscience en incluant les amérindiens, les mexicains et les blancs pauvres. Mettre sa force au service du petit, du faible, du pauvre: la priorité de la personne de base 8.

Il fut suspecté de communisme comme Dorothy Day, Oscar Romero et tant d’autres chrétiens qui avaient une lecture politique de l’Evangile. A sa gauche on le trouvait trop mou, trop faible: Malcom X, figure montante des Blacks Panthers séduisait de plus en plus de gens et mettait en cause sa philosophie de la non-violence. Martin Luther King, sans les approuver, les comprenait et d’ailleurs il rendit hommage à Malcom X lorsqu’il fût abattu à Harlem le 21 février 1965. A sa droite, des hommes comme Connaly, Wallace et surtout Hoover le haïssaient: ils étaient ses ennemis eux qui avaient fait abattre John Fitzgerald Kennedy. Lui, savait qu’il ne verrait pas ses 40 ans. Cela ne l’a pas arrêté, c’est un jusque boutiste qui se soucie peu des fatigues et des oppositions, qui y trouve même son énergie.

Le plus dur, Hoover (sans doute 6 contre-phobique), patron du FBI, essaya de le discréditer en mettant en cause sa fidélité conjugale, mais ce n’était que des rumeurs infondées: même si King aimait séduire, il aimait profondément sa femme Coretta et leurs quatre enfants qu’il ne vit pas beaucoup, eux qui poursuivirent son œuvre à leur façon. Il sourit des années plus tard à la manière dont il s’y était pris pour demander Coretta en mariage : « Bonjour Coretta, je suis Martin Luther King, étudiant en théologie, tu sais tout. Napoléon a eu son Waterloo, j’ai mon Waterloo aujourd’hui et je suis à tes genoux ».  C’était en janvier 1953, il avait 23 ans, elle en avait deux de plus, elle étudiait la musique et le chant.

Le 3 avril 1968, à Memphis (Tennessee), il est venu soutenir les éboueurs noirs en grève. Dans son dernier discours, il dira « I have been to the moutain-shop  [j’ai été au sommet de la montagne]. La longévité est importante, j’aimerais avoir une longue vie, mais je ne suis pas concerné par cela, je veux juste accomplir la volonté de Dieu. » Il est assassiné le lendemain, le 4 avril à 18h01, au balcon du Lorraine Motel par James Earl Grey, ségrégationniste blanc: on a parlé d’une conspiration mafia-FBI. D’après le biographe Taylor Branch, l’autopsie de Martin Luther King révéla que bien qu’il n’ait que 39 ans, son cœur paraissait celui d’un homme de 60 ans montrant physiquement l’effet du stress, de la fatigue, de nuits sans sommeil ou en prison.

Entre 1957 et 1968 Martin Luther King avait voyagé plus de 9,6 millions de km tout autour du monde, a parlé plus de  2500 fois en public, a été arrêté par la police plus de 20 fois avec des dizaines de jours passés en prison et agressé physiquement au moins quatre fois. Johnson déclara un jour de deuil national le premier pour un afro-américain; 300 000 personnes assistèrent à ses funérailles. Mahalia Jackson chanta son hymne favori: Takemy hard precious Lord. Martin Luther King a été élu personne de l’année par le magazine Time en 1963. Il a reçu le prix Pacem in terris basé sur l’encyclique de Jean XXIII. Le 2 novembre 1983, Ronald Reagan signa une loi créant un jour en février l’honorant: le Martin Luther King Day. King est considéré comme l’auteur des plus grands discours historiques des USA aux côtés d’Abraham Lincoln et John Fitzgerald Kennedy. Neuf cent villes ont une rue Martin Luther King en 2018 et vingt universités l’ont fait Docteur Honoris Causa. En base 8, rien ne se fait dans la demi-mesure.

Jesse Jackson, compagnon de toujours, déclare qu’il aurait aimé qu’il soit le témoin de la victoire de Barak Obama, premier Président noir des USA. Ce dernier a rempli sa campagne de références à Martin Luther King lui rendant hommage, a placé son buste dans le bureau ovale de la Maison Blanche et le 16 octobre 2011, inaugurera le mémorial Martin Luther King à quelques mètres du Lincoln memorial où il prononça son fameux I have a dream. Sans être un surhomme ni un saint, Martin Luther King fut un homme de grande foi, un leader charismatique, un combattant infatigable de l’amour et de la justice par la non-violence: un bel archétype de base 8 qui a su mettre son talent de force vitale au service du monde, en se gardant de son excès de passion – la luxure, par la vertu de douceur.

 

Jean Calvin et la base 1

Jean Calvin par Holbein

JEAN CALVIN 
Un archétype de base 1 en social*
par Pascal

Jean Calvin (de son vrai nom Jean Cauvin), né à Noyon en Picardie le 10 juillet 1509, évoque le type même du réformateur intègre, droit et rigoureux, autrement dit la base 1. Il est avec Martin Luther (vraisemblablement de base 1 aussi), un des pères de la Réforme en Europe. Destiné à la prêtrise, il sera juriste (comme Tertullien, père de l’Eglise), humaniste très doué (il a appris le latin, le grec auprès d’André Alciat et l’hébreu). Il fut un temps condisciple d’Ignace de Loyola (archétype de base 3 du catholicisme et fondateur de la Compagnie de Jésus) au Lycée Montaigu à Paris. Après donc avoir étudié le droit à Orléans et à Bourges, il revient à Paris, fréquente les milieux humanistes (Marguerite de Navarre), lit intensément la Bible dans de nouvelles éditions (Saint Augustin, Erasme et Lefebvre d’Etaples). A Paris, il éprouva une conversion subite : « Dieu dompta mon cœur à docilité qu’en l’égard à l’âge était trop endurci en de telles choses ».

Rappelons que la personne de base 1 éprouve la peur d’être mauvais, corrompu et imparfait. La colère est sous-jacente, toujours là mais jamais exprimée (cela ne se fait pas). C’est un discipliné, un amoureux de l’ordre, de l’obéissance à la loi. Pour Calvin comme pour Luther, le monde est imparfait, il faut donc l’améliorer, le réformer, le changer. Le père de l’Institution Chrétienne, son œuvre majeure, est celle d’un idéaliste recherchant la perfection, le meilleur en tout, le plus juste et le plus vertueux.

Son image est celle d’un homme sévère jusqu’à l’austérité (flèche 7 peu actionnée), froid jusqu’à la rudesse, sec jusqu’à la tristesse (flèche en 4). S’il est vrai qu’il n’a pas le profil ni la silhouette d’un Martin Luther, presque Rabelaisien (sans doute un type 1 de sous-type tête-à-tête, vu ses propos sur le mariage et la sexualité; ses Propos de table, écrits à la fin de sa vie, où il confine parfois à l’outrance contre les juifs ou les paysans révoltés), Jean Calvin est pourtant un homme qui a suscité de nombreuses amitiés fidèles, galvanisé des foules et séduit nombre d’intellectuels de son siècle: c’était un passionné, un passionné à sang froid mais un passionné tout de même.

Les personnes de base 1 et de sous-type social sont épris de justice, de moralité et de vérité. Ce sont souvent des animateurs et des enseignants talentueux qui ont à cœur de donner l’exemple et qui acceptent difficilement les imperfections chez eux comme chez les autres (on ne plaisante pas). Poursuivi en France parce que favorable aux thèses luthériennes et suite à l’Affaire des Placards, Calvin se réfugie en Suisse puis à Strasbourg avant de revenir à Genève en 1541. Il entreprend alors d’en faire une ville exemplaire (la Rome protestante), un modèle de la nouvelle manière de croire et de vivre. Il impose une sévère discipline morale aux habitants et rend obligatoire la fréquentation du culte. Lui, le théologien laïc, détermine jusque dans les moindres détails la vie religieuse, civile et morale de la cité. Les citoyens sont surveillés dans leur vie publique comme dans leur vie privée. Cela n’est pas sans faire penser aux travers de la base 1: rigidité, manque parfois de tolérance: pourquoi tolérerais-je un tel comportement alors que moi-même je fais tout pour l’éviter (son code de valeur et de morale sont inflexibles).

Deux exemples illustrent cela : l’affaire Michel Servet, du nom d’un médecin espagnol qui avait échappé à un procès d’inquisition à Vienne qui fût arrêté à Genève et accusé par Calvin d’hérésie (il niait la Trinité de Dieu) et fût brûlé vif. Par ailleurs, Calvin s’opposa farouchement à l’attitude de Sébastien Castellion qui plaidait pour la tolérance envers les hérétiques et pour les libertins prônant en cela une vie libre (concubinage). Toute sa vie, Jean Calvin a beaucoup travaillé, étudié, a brûlé sa vie non dans le plaisir (comme pourrait le faire une personne de base 7) mais dans le travail acharné les nuits passées en labeur. A Genève, de 1541 à 1564, il fut un véritable réformateur: il réalisa plus de 2000 sermons, prêchant deux fois le dimanche et trois fois durant la semaine, sermons qui duraient plus d’une heure et donnés sans notes. La personne de base 1 en mode social est un discipliné, non seulement il adhère aux règles et aux coutumes sociales, mais il les épouse et les respecte avec vigueur, les imposant aussi aux autres: c’est l’image du croisé (Calvin a d’ailleurs beaucoup de points communs avec Saint Louis).

Calvin était favorable au mariage: en 1540 ses amis lui présentèrent Idelette de Bure, veuve d’un anabaptiste converti. En 1542 elle donna naissance à un garçon Jacques, qui mourut rapidement. En 1549 ce fut à son tour de mourir: Calvin fut effondré.  Il écrira à son ami Pierre Viret : « J’ai été privé de la meilleure amie de ma vie et de mon ministère » (flèche 4 activée qui explique aussi son amour pour la musique).

Calvin le puritain a su s’entourer de part son sous-type social. Au début de sa carrière: Marguerite de Navarre, puis à Bâle et à Genève de Guillaume Farel, de Martin Bucer à Strasbourg et enfin Théodore de Bèze à la fin de sa vie. Il fut un propagateur actif, un logicien, un systématicien absolu en même temps qu’un organisateur né. Dans son œuvre principale L’Institution Chrétienne, il cherche à faire un résumé de ses vues sur la théologie chrétienne en parallèle à ses commentaires. En 1536, la première édition comportait 6 chapitres, la dernière en 1559, 80. Il rédigea par ailleurs des commentaires de tous les livres de la Bible, une nouvelle liturgie, un catéchisme pour les enfants et des ordonnances ecclésiastiques, favorisa la création d’un consistoire et d’un tribunal ecclésiastique. Il accueillit les protestants anglais et écossais comme John Knox. Calvin est sincèrement soucieux d’améliorer le sort de l’humanité, prêt à aller dans les tranchées pour obtenir le changement qu’il demande. Il est persuasif et prêt à se mettre en quatre pour que les autres rejoignent les causes et les croyances qu’il défend (aile 2).

En 1555, il fonda l’Académie (établissement supérieur qui devint l’université de Genève avec Théodore de Bèze qui en fut le recteur): on y forma des ministres du culte, notamment ceux qui furent envoyés en France au risque de leur vie suite à l’Edit d’Henri II. Il insiste comme Luther sur la Bible, la parole de Dieu: pour parvenir à Dieu le créateur, il faut que les écritures saintes soient guides et maîtresses. Il se distingue de Luther, qu’il ne rencontra d’ailleurs jamais, en insistant sur la corruption absolue de l’homme et sa prédestination. Il supprime par ailleurs les autels, les anges et les bougies dans l’église. A l’automne 1558, Calvin est atteint de fièvre, il a gravement souffert de l’estomac et des intestins plus des migraines: ce n’était pas un sous-type survie, sa santé et son confort matériel passaient après sa mission, son ministère. Son dernier sermon a lieu à la cathédrale Saint-Pierre le 6 février 1564. Il mourut le 27 mai de la même année à 54 ans. Il s’est infligé beaucoup de privations (sommeil, nourriture), a énormément travaillé, étudié pendant de longues heures le jour et la nuit. Il voulut que sa tombe soit anonyme pour que personne ne vienne s’y recueillir.

Farel fut son héritier. Le calvinisme se développa en Allemagne, aux Pays-Bas, en Ecosse, en Angleterre et en France. Lors de la Révolution Anglaise, les puritains rédigèrent la confession de foi de Westminster. Le mouvement s’étendit en Amérique du Nord, en Afrique du Sud et en Corée. Max Weber, en 1904-1905, le sociologue a montré par ailleurs le rôle du calvinisme dans la formation et l’esprit capitaliste moderne (renoncement au monde, sens de l’effort, frugalité, sobriété et esprit d’économie). S’il ne fut pas une personne facile, Jean Calvin a été un grand systématicien, un excellent organisateur et un grand propagateur de la foi. Il est l’un des réformateurs majeur du XVIè siècle avec l’allemand Martin Luther et le suisse Ulrich Zwingli. Goethe, autre archétype de base 1 célèbre, n’a-t-il pas dit : « à celui qui s’efforce sans relâche, on peut accorder le salut ».

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son oeuvre.