Benoît XVI

BENOIT XVI
Un archétype de base 5 en social
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Les familiers du Vatican aiment à le raconter: avant qu’il n’accédât à la fonction suprême dans l’Eglise, le cardinal Joseph Ratzinger traversait la place Saint-Pierre, le nez dans ses chaussures, pour éviter de croiser le regard de quelqu’un qui aurait pu le distraire de son monde intérieur. En retrait, porté sur l’étude, Benoît XVI pourrait avoir été un pape de base 5.

Pourtant, déminons les assimilations hâtives. Ce n’est pas parce que Joseph Ratzinger a été un des plus grands théologiens de son époque qu’il serait de base 5. Il y a des intellectuels dans tous les types, même si les 5/6/7 sont naturellement portés à cela par leur préférence pour le centre mental. A rebours, les mentaux ne sont pas forcément des intellectuels: chaque base, par le biais de sa motivation profonde (souci de rigueur en 1, soif de sens en 4, adaptation à l’environnement en 3, participation à une œuvre commune en 9 etc) peut l’être. En base 5, la motivation essentielle est la connaissance, la clarification, la transmission…

Le retrait: ce mouvement de mise à distance a un sens, une raison d’être. Il permet d’observer et de comprendre le plus largement, le plus clairement et le plus objectivement possible. Et cela semble avoir été la marque de fabrique de Benoît XVI. Combien, à rebours, les bains de foule, les manifestations tactiles semblaient lui être pénibles… Son sourire délicat cachait parfois difficilement l’effort face aux démonstrations d’affectivité.

Car le retrait, c’est aussi la mise à distance des émotions qui pourraient brouiller le raisonnement. Non pas qu’il n’y ait pas d’émotion. Beaucoup de témoignages de personnes de base 5 expriment une très grande sensibilité, souvent vécue a posteriori, en solitude, et peu démonstrative. Car le risque de l’émotion est de perturber l’analyse ou le sang-froid. Même dans l’écriture, Joseph Ratzinger est logique, analytique et synthétique. Dans son Jésus de Nazareth, il convoque les tenants de la méthode historico-critique, les théologiens protestants, avec calme et sérénité. Tout est bon pour une réflexion approfondie. D’où le sentiment que peuvent avoir certains d’une forme de froideur ou de sécheresse. Mais c’est la condition d’une réflexion qui ne fasse pas l’impasse sur des points importants, qui sache aller en profondeur sans être déroutée par la colère, la peur ou la tristesse. Outre une quête d’objectivité, cette mise à distance lui permet de discuter avec n’importe qui, sans interférence émotionnelle, d’où la relation toujours maintenue avec le théologien controversé Hans Küng.

De fait, Benoît XVI entrait en contact et parlait facilement lorsqu’il s’agissait de la chose intellectuelle, ce qui pourraient laisser perplexe face à la vision château-fort que l’on peut en avoir de la personne de base 5, économe de ses paroles comme de sa présence. L’explication se trouve peut-être dans un sous-type en social. Herr Professor Ratzinger n’était pas indifférent aux places occupées dans l’Université. Non par recherche vaniteuse des honneurs, mais par ce goût de la discussion entre pairs sur des sujets intellectuels essentiels. Tous les témoignages concordent: Joseph Ratzinger était très à l’aise dans les colloques, séminaires et dans les différents cours qu’il donnait avec grand plaisir. La personne de base 5 en social peut aimer le groupe, dans la mesure où l’on y partage des connaissances et où l’on évite les discussions superficielles. Cette capacité le fit nommer au poste d’archevêque de Munich, ce qu’il n’aima pas, parce qu’il n’était pas un homme d’action. A Rome, il fut un remarquable préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, dont la mission est essentiellement théologique. Mais en tant que pape, cette sociabilité avec les théologiens et les intellectuels semble lui avoir manqué. Elle a été remplacée par des mondanités épuisantes et vaines, avec des combats pour lesquels il ne se sentait pas de taille.

La charge pontificale aurait demandé, dans le terrible contexte de l’Eglise (qu’il avait perçu avant tout le monde et explicité dans son homélie du chemin de Croix de 2005 au Colisée, quelques jours avant son élection), une activation d’une flèche 8 dont il n’avait peut-être ni la force ni le goût. Ce qui a conduit, huit ans plus tard, à sa renonciation, au choix définitif d’une posture de retrait, dans l’humble reconnaissance de ses limites.

Réfléchir d’abord. L’émotion est pour après, mais elle est bien présente: c’est Joseph Ratzinger, fin mélomane, à son piano. C’est l’homme qui aimait les chats, peut-être en raison de leur autonomie. C’est la personne délicate, attentionnée, douce par le regard et par le geste. C’est aussi l’homme de prière, dont nous ne pouvons rien dire, mais dont nous pouvons penser que par elle, le cœur avait pris le pas sur le raisonnement. Benoît XVI a toujours défendu, contre bien des théologiens de son époque, que la Révélation n’est pas d’abord son contenu, mais la rencontre avec Celui qui se révèle. Pape, il ne dira rien de plus important. « À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une décision éthique ou une grande idée, mais la rencontre avec un événement, avec une Personne, qui donne à la vie un nouvel horizon et par là son orientation décisive » (Benoît XVI, Lettre encyclique Dieu est amour, § 1).

Pour ceux qui l’ont lu, les textes de Ratzinger procurent bien sûr une intense jubilation intellectuelle, mais, souvent, et c’est le cœur de l’œuvre, touchent au cœur et tirent les larmes, d’autant que ce qui est écrit l’est sans aucun effet de plume. Parce qu’au-delà de sa nature, qui le poussait à développer ses talents rationnels à la place qui était la sienne, la vraie vie de Benoît XVI fut sans doute dans l’intimité du cœur à cœur avec son Dieu.

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son œuvre. 

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