Connaissance de soi chez les Pères

407014_164276850348220_1072443836_nENNEAGRAMME, PÈRES DE L’EGLISE ET PSYCHOLOGIE MODERNE

Lors des Rencontres Chrétiennes de l’Ennéagramme à Saint-Etienne de novembre 2013, le Père Bruno Martin, recteur de la cathédrale de Saint-Etienne et spécialiste des Pères de l’Eglise, a donné une conférence (en lien ci-dessous) sur les rapports entre la connaissance de soi au temps des Pères du désert et l’ennéagramme.

Le grand mérite de cette conférence du Père Martin est de mettre un peu de rigueur dans un flou artistique concernant les origines de l’ennéagramme. De nombreux livres font volontiers un lien avec Evagre le Pontique, dont l’analyse des huit passions de l’âme est devenue un classique, comme si ce moine ascétique de la seconde moitié du IVe siècle était un précurseur de l’ennéagramme. Avec brio et une certaine dose d’humour, le Père Martin n’a pas de mal à montrer que le discours d’Evagre, tel qu’on le connaît par son livre majeur, Le Traité pratique, ne s’adresse pas à nos contemporains, mais à ceux qui faisaient à l’époque le choix radical de la vie monastique la plus solitaire et la plus ascétique. Si les huit passions mises en exergue par Evagre peuvent se rapprocher des neuf passions de l’ennéagramme, comme notre article Evagre et l’ennéagramme le montre, il ne serait pas juste de présenter l’origine directe de l’ennéagramme chez les Pères du désert.

Sur un autre point, le Père Martin rappelle qu’avant le XVIe siècle, la conscience individuelle était embryonnaire : la connaissance de soi n’était donc pas de cet ordre-là, mais plutôt liée au désir de comprendre la faiblesse de notre nature humaine par rapport à Dieu. Transposer notre propre recherche individuelle d’hommes et de femmes du XXIe siècle sur les réflexions des Pères est évidemment anachronique. Le mérite du Père Martin est de rompre avec une routine un peu paresseuse qui était aussi une manière de légitimer l’outil dans son anthropologie ou dans sa dimension spirituelle. Or, me semble-t-il, l’ennéagramme n’a pas besoin de chercher de légitimité ailleurs qu’en son propre terrain. Veut-on faire remonter la psychanalyse à Plotin ou la méthode Vittoz à saint Bernard ? Soyons sereins : la modernité s’est accompagnée d’immenses progrès dans la connaissance de la psyché et l’individuation des personnes, notamment via la neurobiologie ; on peut lui faire confiance, sur ce point tout au moins…

En revanche, le Père Martin, par souci d’éviter les confusions hâtives, pousse le balancier un peu trop loin dans l’autre sens. Il oublie ce que souligne par ailleurs Norbert Mallet, à savoir que depuis Aristote, l’idée qu’il existe une éthique des caractères a fait son chemin. Que l’humanité n’est pas uniforme et que chacun a sa manière d’atteindre le bien, en fonction de son tempérament. Pour Aristote et saint Thomas, les hommes appartiennent à l’unique espèce humaine, certes, mais on peut distinguer plusieurs groupes de caractères dont les stratégies d’avancement dans la vertu sont différentes, dont les chemins d’atteinte du bien unique sont multiples, comme les différentes voies menant à un même sommet.

C’est de ce point de vue qu’on peut penser que, depuis longtemps, les maîtres spirituels savent que l’homme n’est pas monochrome. Que chaque caractère a son propre chemin de progression, ses défis propres. L’ennéagramme apporte cette lumière à la psychologie moderne en contrepoint de la connaissance que celle-ci a apportée, en se fondant sur le travail thérapeutique, sur l’histoire et les blessures de chacun. En deçà, à la racine de l’être, il apporte un éclairage sur les différents caractères qui colorent et rendent belle et diverse l’humanité.

Le dernier mot, j’ai envie de le laisser à Wilfrid Stinissen, Carme déchaux, familier de la grande Thérèse et ancré dans notre temps, notamment dans son ouvrage La nuit comme le jour illumine publié aux Editions du Carmel en 2005. Pour lui, la psychologie est un précieux secours pour conduire l’âme en son centre où réside le Roi, mais elle ne suffit pas: « Tout ce qui nous fait progresser dans la connaissance de nous-même nous rapproche de la vérité. Mais tant qu’on a pas compris que l’homme est plus que lui-même, qu’il a aussi un centre qui est une porte ouverte sur l’infini, tant qu’on n’ose pas faire le saut dans cet infini, on ne doit pas parler d’intégration totale. » p.107

Une idée : ne pas faire de la connaissance de soi un absolu, mais une partie du chemin, comme les premiers pas chancelants de l’homme vers son centre où réside le Roi… N’oublions pas que Thérèse d’Avila décrit sept demeures en l’âme et que celles de la connaissance de soi ne sont que les deux premières.

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