Reconnaître le nécessaire

RECONNAÎTRE LE NÉCESSAIRE
Témoignage de confinement /21
par Giovanna, de base 6 en social

Comme une base 6 prévoyante et clairvoyante, j’écoute avec attention les informations qui m’arrivent de ma famille en Italie. Je pense que ce maudit virus ne va pas s’arrêter aux frontières et que bientôt il arrivera chez nous. Je n’avais pas tort. Je commence à pratiquer les gestes barrière bien avant que ceux-ci soient imposés en France. Dès la fin février je nettoie, je stérilise, je ne touche plus rien au travail, je désinfecte mon bureau, les tables des cours, j’impose la distanciation sociale… Je me fais prendre pour une stressée car ici, tout va bien, la France va gérer, elle est prête. Je me méfie et j’en fais qu’à ma tête jusqu’au jour ou tout s’accélère et le confinement tombe comme un véritable coup de massue. Pour les autres, pas pour moi. Je m ‘y attendais et probablement mon deuil de la vie d’avant avait déjà commencé. Je n’ai pas cédé à aucune forme de panique collective: pas de folles courses pour remplir ma maison de conserves et papier toilettes, pas de plein de gas-oil, ni de boîtes de Doliprane. J’ai gardé un étrange sang froid et je me suis dit que je pouvais sûrement compter sur mon mari, que je pense être de base 1 en survie.

Rester confinée, enfermée chez moi… cela me faisait davantage peur. Cette idée m’a toujours rebutée. Je suis une 6, sociale et j’ai besoin d’être en contact avec les autres. Mon oxygène est de vivre avec et à travers les autres, au delà des confines étroits des quatre murs de ma maison. Comment y songer? Comment y arriver? Surprise: je me suis adaptée très vite avec un certain fatalisme que je ne me connaissais pas. Rester chez moi, avec mes hommes, ce n’est pas mal. Un mari que je ne voie pas souvent car toute la journée à Paris pour le travail, des grands garçons à l’école… et là nous sommes tous réunis, tous ensemble. Une nouvelle organisation se met en place, presque naturellement. Chacun crée son petit espace de travail pour étudier et télétravailler, le tout intercalé par des moments forts de partage. Les repas, les pauses détente, le sport, la musique, le film, une de mes grandes passions, ou la série adorée de mes enfants, le tout rigoureusement en famille avec de longs moments de réflexion et de discussion.

Ces occasions d’échanges et de partage se multiplient, les tensions s’assouplissent, nous allons revenir à l’essentiel et aux valeurs profondes de la vie. J’ai comme l’impression que ce confinement est en train de nous faire un grand bien. Je retrouve ma famille. C’est un sentiment fort accompagné de belles émotions. Je compense le manque de vie sociale en appelant souvent mes proches en Italie, mes amis et mes étudiants avec qui j’ai gardé le contact. Je me suis découverte capable de gérer l’informatique et je donne mes cours via Skype et d’autre logiciels de communication. J’enregistre des vidéos et des exercices vocaux. Tout est nouveau mais aussi excitant. Je ne cours plus, je me pose, je réfléchis, je savoure, je prends le temps et surtout, je ne me projette pas. Je vis le jour le jour et je goûte aux petits plaisirs que le quotidien m’offre. Avec gratitude et espoir.

Vittoz nous aide beaucoup dans tout cela. Chaque jour est vécu en acte conscient. Chaque jour a sa beauté et sa grâce et je remercie d’avoir la chance de vivre à Fontainebleau, au calme et entourée par cette belle nature. Une nature qui nous réconforte, nous apaise et nous montre avec délicatesse et justesse combien la vie est belle. Dans ma nouvelle havre de paix je ne me sens pas prisonnière mais libre, étrangement libre. Quelqu’un a écrit « La liberté, c’est savoir reconnaître ce qui est nécessaire », et bien je trouve qu’en cette période de confinement, nous avons le temps de réfléchir profondément à ce qui nous est vraiment nécessaire. Cette expérience ne nous laissera pas indemnes; je sens qu’au moment venu, nous allons quitter notre confinement, notre refuge, pour reprendre une vie qui ne sera plus la même et dans laquelle nous allons nous découvrir changés, plus forts et meilleurs.

La solitude, cauchemar ou salut ?

LA SOLITUDE FORCÉE, CAUCHEMAR OU SALUT ?
Témoignage de confinement /20
par Raphaëlle, de base 2

Aux premiers échos d’un confinement possible, quelle angoisse s’empare de moi… Plus personne à voir, plus personne à qui donner, plus personne de qui recevoir.

J’ai expérimenté pourtant, depuis quatre mois que j’ai quitté ma région d’attache pour arriver dans une nouvelle vie, combien je résistais mal aux semaines de solitude, seule avec mon bébé de 18 mois. Pas facile de quitter d’un coup la région parisienne, un groupe d’amis constitué depuis 15 ans, un métier passionnant et à responsabilités importantes, une vie trépidante, active, hyperactive même… La perspective un instant envisagée d’une période de retrouvailles en couple disparaît à l’annonce du maintien du travail de mon homme: en somme rien ne change, et tout change.

Rien ne change: il part aux mêmes heures, revient peut-être un peu plus tôt, la petite est toujours là, centre de nos journées, merveille à qui donner sans aucun retour, dans l’expression même de la gratuité maternelle, la maison, les travaux, le linge, les repas, et la petite vie qui grandit en même temps dans mon ventre qui s’arrondit. Et tout change: impossible de se ressourcer auprès des amies, des nouvelles connaissances qu’on voudrait approfondir, cette hantise de faire son trou dans une nouvelle région: qui va m’aimer, qui va m’accueillir? Je m’accroche à cette attente des preuves d’amitié, scotchée à mon téléphone comme à une planche de salut, guettant les messages d’amour comme autant de petites bouées de
sauvetage. Et ce confinement qui arrive au moment même où j’avais pris en main cette nouvelle vie, organisant journée après journée des rencontres, des retrouvailles, des découvertes… et me sentant tellement plus complète et épanouie.

Et puis soudain ce silence. Comme un repos, comme un soulagement, comme un grand souffle. C’est là que je découvre une nouvelle approche de l’autre. Oh ce n’est pas si facile. Ça passe par des jours de cafard, des coups de blues, des colères et des impatiences. Mais c’est réel. D’abord une mise à disposition: c’est si facile d’aider par téléphone un neveu qui galère sur son exercice de grammaire; de se mettre à l’écoute d’une amie vivant un confinement forcé en famille et qui est l’arbitre des conflits, de réfléchir à qui on peut envoyer un petit message de soutien. Ensuite une ouverture du cœur: mon autre n’est plus celui que j’avais choisi: la bonne copine bien sous tous rapports, de la même paroisse, de la même sensibilité, maman comme moi, avec qui je peux discuter; l’autre c’est le voisin bougon qu’on découvre délicieux, la voisine au drôle de look qui est enceinte pour un mois après moi, la petite vieille revêche qui craque devant ma fille et me parle de ses huit enfants.

Ensuite la prise de conscience de l’exigence d’un cadre: à la 2 dispersée, extérieure, avide d’expériences que je suis, apparaît comme un refuge cette maison en travaux que chaque jour embellit, ce coin de nature où la vraie vie continue, avec les herbes qui poussent, la terre qu’on retourne, les massifs qu’on crée et le soleil qu’on boit, cette montagne en arrière-plan, immobile et changeante, si sûre dans sa présence solide.

Un cadre et un rythme aussi, tellement plus facile à mettre en place dans ces journées sans engagement extérieur: grâce du rendez-vous de l’oraison quotidienne, où chaque lecture est comme une preuve de son unicité aux yeux de l’Autre.

Enfin la perception de sa faiblesse: à la 2 qui n’hésitait jamais à aller vers l’autre, qui était prête aux kilomètres, il faut de l’humilité pour reconnaître qu’on n’a pas tant besoin d’elle, ou qu’elle rechigne aussi aux services virtuels, tellement moins gratifiants…

Alors maintenant? Maintenant, la vie va reprendre, doucement. Et mon cœur s’élargit, se réchauffe et bouillonne à l’idée qu’il arrive, ce temps où l’on va tous les revoir. Creusé dans la solitude, le désir de l’autre est féroce, intense, et en même temps presque timide: on va s’aimer…

Mais le calme profond qui demeure en définitive est dû aussi à une certitude: l’amour profond, exigeant, inconditionnel que me porte celui dont je partage la vie, et dont l’expression pendant ce confinement vient de m’ouvrir des horizons insoupçonnés pour la 2 que je suis… Mais ça, c’est une autre histoire… à suivre…

Barbie fait sa thèse

BARBIE FAIT SA THÈSE
Témoignage de confinement /19
par Erika, de base 5 en tête-à-tête

Le confinement, c’était presque une promesse de bonheur. Cloîtrée chez moi, je me voyais déjà avancer mes travaux de recherche, lire tout mon soûl, mener une vie monacale, simple et authentique, débarrassée des atours que la société nous impose, gérant la pénurie avec
ingéniosité (je ne suis jamais autant inspirée que quand je n’ai presque rien), obéissant à une routine saine et salvatrice. Tel le Philosophe de Rembrandt, reclus près du foyer, je
m’adonnais déjà, par la pensée, à cette période béate (j’ai un peu honte de le dire).

Mais c’était sans compter l’immixtion brutale, dans mon univers austère, de Barbie et de son acolyte déchaînée, chair de ma chair, amour de ma vie mais petit poison ambulant, exigeant et bruyant: ma fille. Ce tête-à-tête ne m’a au départ pas fait trop peur: il est mon sous-type. Ma fille travaillerait pendant que je travaillerais, elle jouerait pendant que je travaillerais, elle dormirait douze heures pendant que je travaillerais. Nous vivrions en bonne intelligence, partageant régulièrement des moments de convivialité, de complicité. Où était le problème?

En réalité, rien ne s’est passé comme prévu et me voilà aspirant à un confinement plus strict
encore: une personne dans chaque pièce et pas de contact entre elles durant la journée. Parce que les mesures barrières, ma fille ne les connait pas. Confinée dans le mètre carré que
j’occupe et non contente de jouer les arapèdes, adhérant à leur rocher, elle n’est pas seule:
Barbie et sa troupe sont comme collées à elle, parlant fort, se souciant peu de mes sujets de recherche, montant à cheval (qui a le mauvais de goût de hennir et pire, de danser !!), en proie à des crises conjugales avec Ken et gérant avec peine (un comble!) les attentes et exigences de ses propres enfants.

Adieu discipline! Adieu solitude créative! Bonjour crise de nerfs! Me voilà contrainte de
com-poser. Aussi ai-je rapidement abandonné toute velléité d’écriture et de lecture pour passer
en mode Barbie. Nous étions en guerre! Avec l’entrain que j’aurais pu mettre dans mes
recherches, j’ai créé d’abord toutes sortes d’objets, d’éléments de mobilier: de la bibliothèque
design au canapé convertible de type Poltrone sofa en passant par l’aspirateur, le piano à
queue et le poêle à bois, j’ai fait feu de tout bois et ai recyclé frénétiquement tout ce qui me
passait sous la main, thésaurisant les boites en carton, les fonds de bouteille en plastique,
m’extasiant devant un bouchon ou une nouvelle conserve vide, déplorant rapidement la
pénurie de colle…

Au début, ma fille tâchait de faire des choses avec moi; mais très vite elle s’est aperçu qu’elle
n’avait pas le niveau d’exigence qui était le mien et c’est bientôt seule que j’ai continué de créer un univers fait de tout ce que je déteste: des marques, du luxe, du superflu. J’ai feuilleté et déchiré les pages de dizaines de magazine de déco hors de prix que mon conjoint entasse comme Harpagon entasse son or dans sa cassette. Chaque objet est unique, fait sans modèle, bidouillé avec trois bouts de ficelle. Mais les objets se juxtaposèrent bientôt sans trouver leur place. Alors j’ai eu l’idée de construire une maison: cinq chambres, dont une avec mezzanine, piscine à débordement, terrasse arborée, patio… J’ai personnalisé les sols de chaque pièce, conçu la décoration intérieure avec des lés de papier peint, des effets d’optique, des jeux de perspective: j’étais le nouveau Nouvel, le Léonard d’Arras, le Le Corbusier du carton recyclé. Je m’étais transformée en une savante folle passant des heures sur sa création (mais était-ce vraiment une transformation ?)… finalement seule: ma fille a déserté les lieux de mon invention, trop absorbée à jouer avec la future propriétaire des lieux ou pire à regarder des vidéo de bricolage… pour accessoires de Barbie.

Ce que je n’ai pas pu faire avec l’écriture, je l’ai donc fait avec les mains. J’ai transformé, sans
y prendre garde, une activité solitaire intellectuelle en une activité non moins solitaire
manuelle, si tant est qu’une telle dichotomie ait un sens: c’est tout l’objet de ma thèse de montrer le contraire… ma thèse de doctorat, elle, justement, n’avance guère. Du moins pas au
sens académique. Je projette donc, par la force des choses, de revoir mon sujet et de proposer à ma directrice de réfléchir aux conditions de vie de cette pauvre Barbie. Seule échappatoire
pour avoir quelque chose à dire quand le confinement sera enfin terminé et qu’on me demandera des comptes sur l’état d’avancement de ma recherche…

Barbiesquement vôtre,
Erika

A la recherche du temps perdu

A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU
Témoignage de confinement /18
par Marie-Liesse, de base 5

L’annonce du confinement a d’abord résonné en moi comme une promesse. Je l’ai envisagé avec régal en me frottant les mains d’avance de tout ce temps disponible, libre, sans contraintes, sans dérangements. Du temps pour moi, du temps pour mon couple, pour notre famille…

C’est inespéré de pouvoir envisager les semaines à venir sans sorties, sans sollicitations, sans pressions. Je vais pouvoir prendre le temps de me consacrer enfin à toutes ces choses qui m’attirent (lectures-couture-peinture…), sans culpabilité et sans devoir me justifier. Là où confinement rime pour beaucoup avec emprisonnement, moi je pense: Liberté! Lectures, couture, peinture, mes projets et aspirations m’apparaissent comme autant de possibles, pouvant enfin aboutir.

Je m’éparpille un peu (flèche 7?) et réalise rapidement que le temps qui nous est rendu reste malgré tout limité. Je vais devoir prioriser, et me consacrer de toute urgence aux révisions de mes cours et rédaction de mémoires. Je réalise tout-à-coup, qu’en bonne type 5, je n’ai fait que deux années de pause – non consécutives – dans les études, depuis l’obtention de mon bac il y a 15 ans. Je multiplie les formations complémentaires, ne me trouvant jamais assez informée, jamais assez rassasiée…

Et puis, l’engouement du début passé, je me retrouve confronté à la réalité du quotidien
confiné, qui m’apparaît terriblement chronophage. Plus encore qu’en temps normal, les
tâches ménagères me sont particulièrement lourdes et leur aspect répétitif m’assourdit. Ce
sont là de véritable petites croix, et je demande la grâce de savoir donner joyeusement,
largement, fidèlement. Les journées passent et j’attends toujours cet oasis du temps-perdu-enfin-retrouvé! La crèche fermée, ma petite fille demande une attention de chaque instant… je savoure bien sûr nos moments partagés, mais je me surprends à attendre sans cesse ce moment où, enfin, je serai SEULE. Je repense alors à cette avarice, démon de mon âme, et m’applique à renoncer sans aigreur, puisque l’Eternel bénit celui qui donne de tout son cœur.

Le piège du confinement? M’avoir fait croire que j’allais pouvoir me garder tout à moi,
m’avoir fait miroiter monts et merveilles de lectures, couture, peinture. Avoir signé un
chèque en blanc à ma soif de solitude, un chèque falsifié. Concrètement, je n’ai plus d’espace à moi. Aux alentours de Pâques, j’étouffe. J’ai besoin de me retrouver, seule. J’ai besoin d’être seule pour penser, pour savoir où j’en suis et refaire mes forces. Et puis je n’en peux plus de notre quartier bétonné. La montagne se fait si belle avec le retour du printemps, nous l’apercevons à chaque fenêtre de notre appartement! J’ai aussi besoin de nature, d’horizons. Et cette attestation qui me donne des boutons! Je ne supporte pas de devoir rendre des comptes, je sens gronder en moi la révolte (flèche 8?).

Je revis lorsque des amis voisins partis se confiner au vert, nous prêtent leur appartement
dans lequel je peux m’isoler pour travailler de temps en temps. Je ne suis jamais aussi
efficace que seule. Un jour, bien encouragée par mon mari, je décide de me remettre au sport et d’aller courir. Quel bienfait! J’essaie de garder le rythme depuis, et de faire de temps en temps quelques respirations Vittoz, en pleine conscience de mon corps. Voilà mon petit chemin d’incarnation. Disons que le confinement en aura fait une urgence.

La date du 11 mai agit comme une piqûre de rappel, un compte à rebours… J’appréhende le
flux des dîners et autres sorties autant que je les espère… Oui, j’ai hâte de retrouver ceux
que j’aime, d’échanger et de partager, mais c’est plus fort que moi, je me prépare déjà à l’assaut…

Tout avait bien commencé !

TOUT AVAIT BIEN COMMENCÉ !
Témoignage de confinement /17
par Dominique, base 4 en social

Tout avait bien commencé !

Le tragique était au rendez-vous charriant sa dose d’émotions assurée. Des infos non-stop, la concorde nationale. Des appels réguliers tendres et protecteurs. Les enfants, les amis, tous confinés, tous immanquablement joignables enfin. Joie!

L’éternel et inconfortable tiraillement entre mon type 4 aile 5 (individualiste et volontiers solitaire) et mon sous-type social (soucieux de ne faire défaut à personne) n’avait plus lieu d’être, puisque je n’avais plus le choix. J’étais confinée, j’étais comme tout le monde, et donc à ma place assurément.

La beauté était là tout autour de moi, le printemps nullement décevant. Les pierres de tuffeau, ces écrins de lumière, dormaient dans le calme des rivières de l’Anjou. Les promenades solitaires auguraient d’une vie intérieure augmentée, densifiée. Je ne ressentais aucune nostalgie de la ville, de ses restaurants et de ses spectacles puisque, mes amis n’y étant plus, je ne manquais donc pas au monde et le monde ne me manquait pas.

Il ne s’agissait plus que de respirer, de contempler et de remercier…

Comble du luxe, hébergeant un ami prêtre confiné chez nous, nous avions la possibilité d’assister à la messe tous les jours quand tant d’autres en étaient privés, même le dimanche. J’allais grandir assurément…

Oh je n’étais pas tout à fait dupe de moi-même: mon portable était toujours à portée de main et dès 18 heures, quand les débats se faisaient vifs, que la castagne reprenait ses droits, la télé à fond m’assurait l’intensité émotionnelle dont j’avais besoin pour compenser la monotonie de la préparation des repas. Et malgré le sinistre visiteur du soir et son chapelet de mauvaises nouvelles, pour être honnête, j’y trouvais mon compte. Et puis la bonne conscience était de mise puisque travaillant pour un mensuel d’informations il fallait bien que je m’informe…

Mais les nuits! Quelle épouvante que ces nuits. Plus de répit, plus de bonne conscience et encore moins de paix. Un boucan incessant. Mozart et Montherlant se donnent rendez-vous à mon chevet; mille statues du commandeur semblent me siffler : « En prison ! En prison pour médiocrité! » Peloton d’exécution, guillotine, je suis coupable de désertion, jugée pour haute trahison. Sentiment de culpabilité… Où est ma faute? Où ai-je failli? Quand ai-je manqué au monde?

Allez, allez, réveille-toi ma grande et debout! Il est trop tard pour t’improviser infirmière ou boulangère, trop tard pour rejoindre les rangs des braves, des vaillants, de ceux qui ne manquent jamais au monde. Debout, reprends ta place de confinée.

Respire, contemple, et souviens-toi de remercier!

des ailes et des flèches

DES AILES ET DES FLÈCHES

Points techniques à l’occasion de l’enquête Ennéagramme & confinement, J 50*
Deuxième volet

« Il faut aimer les gens comme ils sont, ou bien il faut renoncer à l’expérience même de l’amour. » Raymond-Léopold Bruckberger

Deuxième série de  huit témoignages pour mieux comprendre les enjeux de l’Ennéagramme.
En guise de rappel pour les anciens, de découverte pour les nouveaux.
Dix femmes et 6 hommes qui font un arrêt sur image en période de confinement.
Neuf profils qui nous dévoilent un peu de leurs ressorts intérieurs, leurs combats, leurs ressources, leurs talents et leur liberté de les mettre au service.

LE PRINCIPE DE L’ENNEAGRAMME:

Il est expérimental. La démarche est inductive, et non pas déductive, elle part de l’expérience: c’est par les témoignages et l’observation que certaines grandes lignes se dégagent et se confirment.

Selon Aristote, sur l’anthropologie duquel nous nous appuyons, l’homme cherche le bonheur. Chacun naît avec une orientation positive spécifique vers le bien et une passion (neutre) qui la meut vers ce bien. Pour Katie et Yannick c’est la paix, pour Mathilde et Benoît c’est l’inquiétude au sens aristotélicien: se soucier de.

– En raison d’une blessure, elle développe un mécanisme de défense propre pour s’en protéger et une vision mentale (fixation) de soi, des autres et du monde, partielle. Pour se tenir prêt à toute éventualité, Benoît projette les possibles; pour trouver la paix, Katie cherche l’harmonie. Ce mécanisme est bon en soi, il nous permet de puiser dans nos ressources et il est le lieu de notre expertise; mais il peut présenter un rétrécissement lorsqu’il devient absolutisé, excessif et fermé aux autres aspects de la réalité. L’ultra-responsabilité de Benoît peut lui faire ignorer ses limites et l’écoute de toutes les sollicitations peut empêcher Katie de faire des choix personnels.

– La conscience de ce moteur permet d’élargir mon champ de vision, et une vertu propre de développer un talent et le mettre au service. C’est en prenant conscience de sa confusion faire/être, que Nathan peut développer sa vertu de vérité et ordonner son travail à sa vie de famille et non pas l’inverse.

Ainsi, nous voyons que les voies d’évolution ne sont pas les mêmes pour tous et que ce qui est bon pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre, et peut même être inversé. Se mettre au service via Over the blues permet à Magali de rendre fécond son talent de compréhension du cœur, en se gardant de la complaisance émotionnelle. A l’inverse, Sophie dont le talent propre est le service, au risque de se penser indispensable, trouve dans l’humilité de la reconnaissance de ses limites, une manière de mieux aimer. 

Plusieurs stagiaires ont évoqué des points de dynamique d’évolution (flèches, ailes, sous-types) qui sont autant de termes techniques qui peuvent sembler difficiles à comprendre. Encore une fois, c’est l’expérience qui peut permettre d’en concevoir l’intérêt. Voici quelques balises:

POINTS TECHNIQUES :

  • LES FLÈCHES

Deux flèches relient chaque base de l’ennéagramme à deux autres. Sur ce diagramme, les deux flèches de la base 1 sont la base 7 et la base 4. Ce sont des ressources additionnelles pour les personnes de base 1. Elles l’activent naturellement lorsque les ressources de leur base ne suffit plus pour s’ajuster aux événements. Pour rendre plus léger le fardeau du bien-faire, pour soi et pour les autres, Constance a recours à la beauté de son jardin (flèche en 4) ou au jeu (flèche en 7). Cela se fait tout seul, sans que la volonté n’intervienne.

Il y a un sens à ces flèches, comme le diagramme le montre. Celle qui part de la base vers une autre base (rouge sur le diagramme), est activée en situation d’action (ou de stress). Celle qui arrive à la base (verte sur le diagramme), est activée en situation de repos (ou de sécurité). Ce phénomène est reconnu par nombre de stagiaires. Cependant, pour d’autres, le sens des flèches importe peu et quelque soit la situation, une des deux flèches est plus facilement accessible.

Le véritable intérêt est de réaliser que cela ne change pas mon camp de base, mais que je peux avoir recours à d’autres comportements par ce biais plus facilement, Pour « élargir l’espace de ma tente » (Isaïe, 54.2)

  • LES AILES

Chaque base est entourée par deux autres, la base 6 par les bases 5 et 7 par exemple: ce sont les ailes. Une des deux est privilégiée, et l’autre souvent délaissée. L’aile préférée colore la base: chez Magali, une aile 3 donne à sa base 4 un côté flamboyant et efficace; chez Benoît, une aile 7 en fait un joyeux drille plus extraverti que s’il privilégiait une aile 5.

Outre les nuances que peuvent offrir les ailes à chaque profil, l’aile est aussi un axe de travail important. En effet, l’aile délaissée est difficile d’accès et peut même provoquer un certain rejet. C’est pourtant en l’explorant, qu’un nouvel équilibre peut être trouvé et que les excès de la base peuvent être atténués. En cultivant une aile 8 délaissée, Katie pourra se positionner plus facilement et apprendre à dire non à trop de sollicitations.

                                 

Chaque profil développe son talent dans un domaine spécifique: celui de la maisonnée, de la relation en tête-à-tête ou du groupe. C’est le lieu concret des embûches et de l’évolution.

Nous pouvons constater qu’en fonction de ce sous-type, le confinement n’est pas vécu de la même manière, quelque soit la base. En survie, le cercle restreint est un lieu sécurisant et la nature un recours, avec le risque de s’y engluer: Katie craint l’égoïsme. En tête-à-tête, l’environnement relationnel est plus important que les conditions de vie: Nathan souffre de la distanciation. En social, le mode d’attention embrasse le groupe: François voit dans la situation un terrain de réflexion. Pour chacun, l’occasion est donnée de développer son expertise: Magali allume le feux chez ses amies pour confectionner des blouses aux soignants. Mais aussi de sortir de sa zone de confort pour aller visiter d’autres modes de communication: Katie développe ses relations de voisinage, Nathan se ressource auprès de la nature, François papote avec les commerçants.

Autre constat: certaines personnes se ressemblent davantage par leurs sous-types que par leurs types. Des 16 témoignages se dégagent différentes atmosphères: plutôt douce et paisible en survie comme Maguelonne, plus punchy en tête-à-tête comme Eléonor, plus distanciée en social, comme François.

CONFUSIONS

Comme nous le voyons, l’Ennéagramme présente de nombreuses nuances, quand les choses peuvent paraître simples, voire simplistes au départ. Ce qui peut être source de confusions entre les bases, sans accompagnement:

  • Nous évoquions dans notre premier retour l’impact de l’histoire familiale et socio-culturelle, qui doit être pris en compte par chacun (Modules 1&2)
  • Nous avons vu que des personnes de même sous-types peuvent se ressembler davantage que des personnes du même type (Module 3&5)
  • La conjonction type/sous-type est subtile et engendre l’exacerbation de certaines problématiques et la modulation de certaines autres. (Module 5)
  • Ils engendrent un rapport au temps et génèrent des émotions principales différentes (Module 4).
  • A cela s’ajoute les confusions possibles dues aux ressemblances extérieures: Sophie et Benoît n’ont pas été chacun loin du burn out, car ils ne prenaient pas en compte leurs propres besoins; et on pourrait penser de ce fait qu’ils sont de la même base. Pourtant, les raisons de leurs comportement ne sont pas les mêmes (recevoir de l’amour pour l’une, ultra-responsabilité pour l’autre), et leurs voies d’évolution diffèrent donc (prendre soin de soi pour l’une, lâcher le contrôle pour l’autre). (Modules 1&2)

D’où l’importance d’une vraie pause de deux jours pour prendre le temps de discerner, que ne pourront jamais remplacer une lecture, et a fortiori un test en ligne: comme si une machine pouvait savoir mieux que nous qui nous sommes… Topos techniques, foire aux questions, travail en sous-groupe et à la vidéo, accompagnement personnalisé, permettent de découvrir, à son rythme, quel est son ressort intérieur principal, les écueils qu’il peut générer, sa vertu et son talent propres. Pour être capitaine sur son bateau!

Dans de prochains articles, nous évoquerons:

– La relation qu’il peut y avoir entre CONNAISSANCE DE SOI & VIE DE FOI
– La place du corps et le choix de la MÉTHODE VITTOZ comme moyen d’évolution.


  • L’Ennéagramme est une méthode de connaissance de soi et de compréhension des autres qui se transmet en groupe, par tradition orale. Il ne peut se réduire à une étude mentale qui en figerait les manifestations et  sa fécondité se trouve dans le mouvement, l’expérience, les échanges. C’est par eux que quelque chose de moi peut se révéler, qu’une prise de conscience peut jaillir.
    En ce sens, le confinement est une frustration – les échanges humains qui sont au cœur de la méthode ne sont plus possible pour le moment. Mais il peut aussi se révéler une opportunité car la situation particulière peut-être un révélateur: ma réaction première et son développement dans le temps peuvent me surprendre moi-même. En tous cas, ils parlent de moi, de mon intérieur, de mes ressorts, de mes motivations profondes, parfois inconscientes.
    C’est pourquoi l’idée d’un panel virtuel a germé et nos stagiaires y ont trouvé l’occasion de témoigner de leurs découvertes, un grand merci à eux! Le panel est la spécificité de la tradition orale et consiste à témoigner concrètement de ce qui se passe au-dedans et qui ne correspond pas toujours à ce que l’on voit au-dehors. Repérer ses points de blocage, ses ressources inutilisées en temps normal, ses voies de progression, ses talents. 
    Sans doute ces témoignages peuvent présenter certaines parts d’incompréhensions pour qui n’a pas entrepris la démarche, qui ne saurait se faire sans le groupe hic et nunc. Cependant, la diversité des témoignages peut faire émerger quelque chose de cette démarche et c’est l’objectif de cette enquête.

Enfin libre !

ENFIN LIBRE !
Témoignage de confinement/ 16
par Benoît, de base 6 en tête-à-tête

J’ai demandé à Dieu de souffler et il m’a envoyé une pandémie mondiale!

Lessivé professionnellement, incapable de travailler convenablement, maltraité par mon manager, je me demandais comment stopper cette spirale infernale dans laquelle je semblais me perdre…  Mon meilleur ami était le lapin blanc d’Alice au Pays des merveilles, toujours en retard, à courir après le temps dans une frénésie épuisante. Il fallait que tout cela s’arrête, je ne trouvais pas le bouton pause de ma vie, j’avais besoin de tout stopper pour faire le point… J’envisageais même une rupture conventionnelle à la veille de la mise en panne du pays!

Quelques jours avant le confinement j’apprends que mon équipe sera au chômage technique pour 3 à  6 mois. Stupeur voire abattement pour mes collègues… tandis que moi je ne ressentais que calme et apaisement, plein de reconnaissance pour ce qui m’arrivait… Il y a bien eu une petite inquiétude quant s’est posé la question des revenus de la famille, mais une fois ce sujet traité, cet apaisement s’est confirmé et j’ai pu le vivre dans la durée.

« Tu tombes, on tombe… », « Vous tiendrez jusqu’à ce que l’on vous relève… » Combien ces répliques de film ont pu m’enfermer, dans une fidélité absolue, à laquelle on ne peut se soustraire (parce que cela ne se fait pas). Le confinement fait sauter ces digues que je ressentais comme oppressantes mais dont je ne pouvais me défaire. Je peux enfin, sans mauvaise conscience, faire ce qui me tient à cœur, ce qui me plait: ces dernières semaines j’ai découvert une forme de liberté de choix. Je peux faire ce que je pense être bon pour moi, et ce n’est pas mal…

Ainsi ai-je laissé mon épouse, très douée dans ce genre de circonstances, gérer tous les préparatifs du confinement. Elle a assuré, et cela m’a fait le plus grand bien: le monde peut tourner sans moi, quel soulagement! Sur un autre registre, mes amis me manquent c’est vrai, mais je le vis bien car je peux consacrer du temps à cette autre partie de moi qu’est ma famille. Le fidèle parmi les fidèles  n’est plus tiraillé entre ses amis et sa famille: pas besoin de choisir, le confinement l’a décidé pour nous…

Joyeuses Pâques. Nous avons pu, grâce au confinement, desserrer le carcan familial: place aux grains de folie, aux fous rires permanents, aux exceptions qui deviennent la règle! Un temps béni et bienvenu pour tous. Cela a été l’occasion pour moi de passer de beaux moments, en tête-à-tête, avec tous les enfants… Mais séparément, sans avoir l’impression de frustrer qui que ce soit, puisque nous avions le temps pour nous! La Semaine Sainte, qui est venu clore ce carême a été la plus belle de ma vie: nous avons été merveilleusement accompagné par le prêtre de notre paroisse, qui nous envoyait chaque jour des méditations que nous écoutions réunis autour de la table familiale. Quel beau moment de communion… Nous avons aussi retrouvé une forme de simplicité, de dépouillement à laquelle j’aspire au plus profond de moi.

Une incapacité à agir pleinement assumée… mais en gardant la main sur quelques leviers bien concrets. Je vis aujourd’hui très paisiblement cette période, je la reçois même avec une grande joie. Et pourtant combien l’avenir parait incertain: ce chômage durera-t-il vraiment six mois, mon entreprise ne va-t-elle pas licencier en masse dans quelques temps? Je travaille dans le secteur du transport… Aujourd’hui je n’ai aucune possibilité d’agir sur ma reprise d’emploi, ni sur mon futur proche, et c’est justement cette incapacité qui me fait du bien. Tout prévoir, assurer en cas de coup dur, faire face m’épuise. Là je sens bien que je n’ai plus la maîtrise, et je me laisse porter.

Je me suis recentré sur des actions de plus court terme, plus concrètes: fini les extrapolations à cinq ans, place aux travaux du jardin, au bricolage, aux réparations en souffrance, aux travaux scolaires des trois grands, au choix du film pour la séance de cinéma en famille. Bref des actions dont les résultats sont visibles!

 

La vie c’est maintenant

LA VIE C’EST MAINTENANT
Témoignage de confinement / 15
par Constance, de base 1 en social

Que dire sur la base 1 qui s’exprime peu, assez pudique dans la révélation des sentiments: Cela ne se fait pas!

Bien avant le confinement, mon instinct m’a dirigé vers le sous-type survie afin de régler au mieux l’intendance de la maison (ou alors l’organisation bien réglée des 1, au choix: courses non périssables en tout genre ont été faîtes par ordre de priorité nourriture, hygiène, entretien; puis les produits frais et congélateur remplis. Au moins ça c’est fait, ce qui est fait n’est plus à faire, sans compter mon mari en base 6 on peut tenir un siège!

Le confinement est arrivé, j’avais du temps donc pour mettre à profit rangements et nettoyage (de tout: placards, vêtements, argenterie). Le temps étant propice au jardinage, allons-y: le jardin devenait une forêt vierge, ni beau ni harmonieux (flèche en 4). J’ai continué à lire, source d’évasion. Le tête-à-tête, peu exploité, m’a donné l’occasion de faire beaucoup de parties de Scrabble avec le seul enfant avec nous à la maison, et même si j’ai perdu à chaque fois, nous avons bien ri et passé de bons moments (il m’a également aidé à jardiner, à deux c’est mieux!).
J’en ai profité pour faire des siestes, regarder le jardin, fermer les yeux au soleil, revoir certains films, la détente fait du bien. L’aile 2 est peu mise en exercice, mes propositions d’aide ne portant pas toujours leurs fruits, je ne veux forcer personne. Mon aile en 9 m’a permis de remettre à plus tard les choses moins fondamentales, même si j’avais mauvaise conscience. Pour toutes ses raisons, j’étais satisfaite tout était amélioré dans la pratique, en tout cas à la maison et donc je suis très sereine sur ce point.

Venons au plus compliqué. Aïe ! Les choses étant faites, ma flèche 7 et mon sous-type social sont à l’arrêt total et en berne, ouille… Que faire ? Prendre son mal en patience, vertu que j’exploite à fond, tant je ne dois pas me mettre en colère. Il y a un virus terrible (pas plus que la grippe, les guerres), tout est à l’arrêt. Période de Pâques oblige, je pense à la Sainte Croix, puis la famille et les amis, pas vus depuis longtemps, mais avec un lien jamais rompu. Les coups de téléphone se succèdent, une demi-heure, trois-quart d’heure, une heure…. On parle famille, religion, politique, nous refaisons le monde dans un esprit de bonne humeur. Pas tous les jours, il faut garder quelques appels pour plus tard, sinon je vais m’ennuyer… Petit apéro le soir en pensant aux enfants non présents, à la plancha repoussée (ce n’est pas grave, parties remises!)

La messe, en VRAI, commence à me manquer. On ne voit personne, la colère, telle la moutarde, commence à monter, face à cette fermeture, alors que d’autres commerces sont ouverts, Snif… Je pense peu à hier, même si on peut le garder dans un coin de la mémoire (à quoi bon c’est fait), le futur est un peu en tête (on verra bien, une chose à la fois, on aura le temps d’y penser au bon moment, chaque chose en son temps, mais on regarde devant soi pour ne pas trébucher), et le présent c’est maintenant.

Une certaine impuissance me gagne parfois, il faut que les choses bougent, rien ne va, mais j’essaie de positiver. La tristesse m’a gagné lorsque que le papa d’une très bonne amie est parti. J’ai bravé les interdictions (une fois n’est pas coutume pour une base 1) pour l’accompagner et dire le chapelet chez lui avec la famille; c’est complètement dingue de penser tout le temps à l’économie et ne pas se soucier des dévotions. Une grande frustration et colère m’habitaient parce que je ne pouvais me rendre à l’église pour la messe de funérailles, j’aurais voulu me mettre dans un petit coin.

Je n’ai pas peur, je suis vigilante, je ne veux pas me mette la rate au court bouillon, faisons
confiance à la Providence. Cet instinct, me parlant et me guidant si souvent et régulièrement me dit que finalement c’est bien de m’être un peu dévoilée, un certain plaisir m’envahit d’avoir essayé de bien rédiger cette prose.

Comme disait Sainte Thérèse :

« Il n’y a pas de plus grande joie que de faire bien les choses du quotidien. »

« Je suis chargée de vous le dire, pas de vous le faire croire. »

EN TOUT CAS EN AVANT, LA VIE C’EST MAINTENANT !!

Irréductible

IRRÉDUCTIBLE
Témoignage de confinement / 14
par Eléonor, de base 8 en tête-à-tête

A l’annonce des premières mesures, je me souviens avoir éructé contre ce monde imbécile qui s’y prend mal, ne comprend rien et saccage tout. J’ai vociféré contre ma liberté attaquée comme si quelqu’un me malmenait personnellement et malmenait personnellement chacun des êtres vivants de cette planète.

J’ai pleuré d’impuissance de ne pouvoir être sur le front – retranchée dans un appartement doré malgré mes envies de barricades – uniquement, Ô injustice, car mon métier – la danse – ne correspondait pas aux besoins (du coup, j’ai envisagé de changer de métier!). J’ai regretté d’être chargée de famille et de ne pouvoir me consacrer aux autres (flèche 2) car trop accaparée par les miens.

J’ai réalisé combien mon besoin de dépenser mon énergie était ordonné à un combat, fut-il intérieur, car dépenser et recharger mon corps physique sans sens ni but ne suffit pas, et n’a jamais suffit. La dépense vient avec une cause, une colère – et la kyrielle d’émotions qui l’accompagnent, un horizon, sans quoi je me retrouve tel un lion en cage, qui tourne et tourne encore, des ronds trop petits dans une cage trop petite et je ne dors plus. Trop d’énergie sans combat. Il y a un plus grand que moi au dedans de moi qui veut tout embrasser, toujours. Je me sens géante et ogre emprisonnée (ironie de la chose pour un petit gabarit d’un mètre 60 😉

Rien de nouveau sous le soleil. Ces ressentis, habituels hier et aujourd’hui, cohabitent par fulgurances ou l’un s’installe plus longuement, selon. C’est l’objet de leur manifestation qui a changé, leur densité. Cette fois, l’ennemi a du poids (un peu) et la lutte offre des perspectives (ou pas), enfin!

Mon ennemi n’est pas le Covid 19 en tant que tel. Je n’en ai pas peur. Cette peur ne s’est jamais présentée. Par déni peut-être (mécanisme de défense du 8) mais plus profondément, je le sens, car dans cette adversité (celle de la mort qui rôde de manière plus avouée qu’à l’accoutumée dans les esprits) il y a quelque chose qui me met en vie, quelque chose qui est la vie en vrai.

Mes ennemis sont tous ceux qui à la suite du Covid 19, par leurs regards, leurs dires, leurs actions, petits et grands, gouvernements et voisins confinés, entravent mes rêves de refonte de nos modes de vie. Et me revoici à éructer contre ce monde imbécile… Privée d’agir immédiat, l’après aspire mon attention. Lire, questionner, étudier, échanger deviennent mes ressources (flèche 5). Je continue d’impacter le monde et d’être impactée par lui par la réflexion et les idées.

Lorsque je me sens démunie, je me laisse guider par les paroles du Pape François prononcées durant la dernière cérémonie Urbi et Orbi: « La prière est notre service silencieux, elle est notre arme victorieuse ». Le Pape aurait-il lu mon cœur? La prière depuis, seule et en famille, prend pour moi un goût de résistance! Lorsque la frustration me monte au nez – et me descend dans les poings par la même occasion, je m’octroie de désobéir, tout simplement, et quelle jouisssance. J’envoie tout valser. Je ris, je crie, je cours, je m’insurge pour rien si ce n’est par plaisir, je joue, je me bagarre – physiquement – ou me lance dans une joute verbale avec qui passe par là, je bois, je marche sans fin sous la pluie, je chante, je danse, bref. Je froisse un peu le trop lisse, trop édulcoré, trop sécurisé; je souffle du mouvement dans l’apathique.

Avec ce rythme au long cours qui s’engage, le confinement apporte de la douceur. Moins de sollicitations engendre moins de réactivité et dans mon quotidien dénudé de ses trop (j’arrive encore à en créer), l’ego de mon type s’apaise et un essentiel affleure, comme une lame de fond. Je me sens branchée sur l’irréductible de la vie, cette puissance inviolable et humble, toujours présente, infime et infinie. Dans ces moments-là je suis invincible la garde baissée, sereine, sans hier ni demain, géante et ogre à la fois et légère (jusqu’à ma prochaine grogne 😉 Je chéris la douceur. Et je n’oublie pas les armes, au contraire. Je les choisis.