Dans la grotte bleue

DANS LA GROTTE BLEUE
Par Avril
de base 5 en tête-à-tête

Au cours des M3 et M2, Valérie m’a posé cette question : pourquoi cloisonnes-tu les zones de ta vie? Quel serait le risque de ne pas le faire? Quelques exemples: je suis mal à l’aise quand mes amis se rencontrent: je ne parle jamais des uns aux autres, j’ai de grandes amitiés en tête-à-tête, mais chaque amitié est un univers, un monde à part. Je ne divulguerais pas un secret. Chaque amitié est un secret. Je n’aime pas parler de mon travail. J’ai l’impression que ma bulle créative est mon jardin secret, mon lieu de ressourcement personnel, je n’ai pas envie que d’autres y pénètrent. Mon travail est un secret. Les cloisons sont aussi assez imperméables autour de mes activités extra-professionnelles, de ma vie affective.

Pourquoi ces cloisons? Pour ne pas être lisible, certainement (j’aime brouiller les pistes, surprendre quant à ma personnalité; je réponds de manière évasive lorsqu’on me demande comment je vais); pour me cacher, avoir au moins une zone de repli.

Si je laisse la question me toucher encore, je dois admettre des sentiments de honte: lorsque j’entrouvre la fenêtre d’une cloison, j’ai peur d’être jugée, et j’ai honte. Si je vais au bout, je sens que cette honte est celle d’exister, une honte de la vie en général…

Est-ce que cette honte est commune aux personnes de base 5? Je me le demande. Je sais que nous avons cette peur du vide intérieur, qui nous cause cette boulimie de connaissance. Parfois, je lis un livre compliqué en le parcourant le plus vite possible, pour emmagasiner de la connaissance. Pas tant pour pouvoir la restituer, ni même l’éclaircir en moi, que pour l’acte de me remplir. En prévision.

Hiroshima, Yves Klein

Pourtant, à l’intérieur, c’est le chaos, la grande interrogation. Je ne veux pas tellement aller voir, je suis souvent paralysée et abrutie si l’on me demande ce qu’il s’y passe.

Une exception: un des moyens d’accès à cette intériorité qui me semble chaotique est l’écriture de poèmes. Dans le noir, avec le moins possible de sollicitations extérieures et à l’heure ou l’inconscient affleure, je parviens à me concentrer sur mes ressentis, et les images viennent pour me montrer qui je suis, avec intensité. Quel repos et quel soulagement de fixer quelque part, grâce aux mots justes, qui je suis. Pour me connaître. Ensuite, pourquoi pas, pour le partager, car je sais que ces poèmes sont justes. Ils me garantissent le contraire du vide: la brûlure, la douleur, la joie, la richesse, les sensations ardentes – la vie pleine. Et « ceci du moins est à moi » (c’est ce qu’a besoin de répéter Mesa dans Partage de midi).

En me couchant, j’ai eu la vision d’une grotte, en moi. J’y étais singulièrement bien. Rien dans cette grotte. Elle est devenue bleue, du bleu profond et chatoyant de l’heure bleue, une lumière riche qui se pose sur toute chose, une des couleurs les plus profondes. C’était un bleu chaud. Puis je me suis vue nager dans cette grotte, comme un plongeur qui se meut avec aisance. D’habitude je n’aime pas l’eau, froide et envahissante, et la sensation d’étouffement me vient dès que je m’imagine plonger. Mais rien de cela ce soir-là. Je me suis endormie comme un bébé.

Est-ce que cette grotte était vide? Certainement pas, j’y avais plutôt un sentiment de plénitude, j’y étais sensiblement présente. J’ai touché le fait que je ne suis pas vide. Pourtant, rien, sinon une lumière, de l’eau, de la chaleur. J’ai rêvé ensuite d’une oreille, symbole de la vie fœtale.

J’ai eu le sentiment d’exister, pour guérir de la honte de n’être personne.

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