IRRÉDUCTIBLE
Témoignage de confinement / 14
par Eléonor, de base 8 en tête-à-tête
A l’annonce des premières mesures, je me souviens avoir éructé contre ce monde imbécile qui s’y prend mal, ne comprend rien et saccage tout. J’ai vociféré contre ma liberté attaquée comme si quelqu’un me malmenait personnellement et malmenait personnellement chacun des êtres vivants de cette planète.
J’ai pleuré d’impuissance de ne pouvoir être sur le front – retranchée dans un appartement doré malgré mes envies de barricades – uniquement, Ô injustice, car mon métier – la danse – ne correspondait pas aux besoins (du coup, j’ai envisagé de changer de métier!). J’ai regretté d’être chargée de famille et de ne pouvoir me consacrer aux autres (flèche 2) car trop accaparée par les miens.
J’ai réalisé combien mon besoin de dépenser mon énergie était ordonné à un combat, fut-il intérieur, car dépenser et recharger mon corps physique sans sens ni but ne suffit pas, et n’a jamais suffit. La dépense vient avec une cause, une colère – et la kyrielle d’émotions qui l’accompagnent, un horizon, sans quoi je me retrouve tel un lion en cage, qui tourne et tourne encore, des ronds trop petits dans une cage trop petite et je ne dors plus. Trop d’énergie sans combat. Il y a un plus grand que moi au dedans de moi qui veut tout embrasser, toujours. Je me sens géante et ogre emprisonnée (ironie de la chose pour un petit gabarit d’un mètre 60 😉
Rien de nouveau sous le soleil. Ces ressentis, habituels hier et aujourd’hui, cohabitent par fulgurances ou l’un s’installe plus longuement, selon. C’est l’objet de leur manifestation qui a changé, leur densité. Cette fois, l’ennemi a du poids (un peu) et la lutte offre des perspectives (ou pas), enfin!
Mon ennemi n’est pas le Covid 19 en tant que tel. Je n’en ai pas peur. Cette peur ne s’est jamais présentée. Par déni peut-être (mécanisme de défense du 8) mais plus profondément, je le sens, car dans cette adversité (celle de la mort qui rôde de manière plus avouée qu’à l’accoutumée dans les esprits) il y a quelque chose qui me met en vie, quelque chose qui est la vie en vrai.
Mes ennemis sont tous ceux qui à la suite du Covid 19, par leurs regards, leurs dires, leurs actions, petits et grands, gouvernements et voisins confinés, entravent mes rêves de refonte de nos modes de vie. Et me revoici à éructer contre ce monde imbécile… Privée d’agir immédiat, l’après aspire mon attention. Lire, questionner, étudier, échanger deviennent mes ressources (flèche 5). Je continue d’impacter le monde et d’être impactée par lui par la réflexion et les idées.
Lorsque je me sens démunie, je me laisse guider par les paroles du Pape François prononcées durant la dernière cérémonie Urbi et Orbi: « La prière est notre service silencieux, elle est notre arme victorieuse ». Le Pape aurait-il lu mon cœur? La prière depuis, seule et en famille, prend pour moi un goût de résistance! Lorsque la frustration me monte au nez – et me descend dans les poings par la même occasion, je m’octroie de désobéir, tout simplement, et quelle jouisssance. J’envoie tout valser. Je ris, je crie, je cours, je m’insurge pour rien si ce n’est par plaisir, je joue, je me bagarre – physiquement – ou me lance dans une joute verbale avec qui passe par là, je bois, je marche sans fin sous la pluie, je chante, je danse, bref. Je froisse un peu le trop lisse, trop édulcoré, trop sécurisé; je souffle du mouvement dans l’apathique.
Avec ce rythme au long cours qui s’engage, le confinement apporte de la douceur. Moins de sollicitations engendre moins de réactivité et dans mon quotidien dénudé de ses trop (j’arrive encore à en créer), l’ego de mon type s’apaise et un essentiel affleure, comme une lame de fond. Je me sens branchée sur l’irréductible de la vie, cette puissance inviolable et humble, toujours présente, infime et infinie. Dans ces moments-là je suis invincible la garde baissée, sereine, sans hier ni demain, géante et ogre à la fois et légère (jusqu’à ma prochaine grogne 😉 Je chéris la douceur. Et je n’oublie pas les armes, au contraire. Je les choisis.
UN CADEAU
DIRE NON !
LA PEUR EN VACANCES
UN TEMPS DE MOINE
Le piège est de m’habituer au confinement et le calme. Je crains le retour à la bruit dans les rues, la vie sociale avec du bénévolat et des activités. J’ai appris à me contenter de peu – je fais les courses une fois tous les quinze jours, je n’achète plus de vêtements et j’ai dû soigner mes plantes de l’année dernière – pas possible d’en acheter d’autres! Je me suis adaptée assez facilement à ce temps et j’ai pu tisser des relations harmonieuses avec mes voisines qui peuvent être une force. Pour mes faiblesses je me rends compte que je deviens égoïste. Si je ne fais pas attention je deviens submergée par toutes les informations alarmantes venant des deux pays de la Manche (je suis britannique!) et tout ce qui circule en Social Media. Je n’arrive pas à choisir entre stations de radio ou faire le tri entre toute la nourriture spirituelle offerte par l’église catholique et l’église anglicane.
OVER THE BLUES
Ces semaines confinées, je me suis mise à écrire et chanter devant mon ordinateur, osant poster mes créations douces, émouvantes ou fofolles, sans hésitation: oui, je partage cette suave folie. Plus elle sort, moins ça bout: libre, ça fait mouche et libère. Elle vient d’un cœur – volcan plein d’amour caché. Par ailleurs, je me suis mise à coudre pour les soignants avec le jeune mouvement bénévole, Over The Blues: coudre point à point des blouses avec cœur, pour des cœurs de soignants au bord du blues, penchés sur les cœurs souffrants… Pour une dame de cœur, piquer dans la matière est une aubaine: je place, je couds, je serre, je réalise. Chaque point, manche, repli, couleur et blanc sont des traces énergiques dans la matière, d’un cœur qui donne vers un autre qui se donne. Nous sommes une armée de couturiers, cuisiniers, dessinateurs, enchantés de l’expérience solidaire à l’hôpital.








OSER LA VULNÉRABILITÉ
MÊME PAS MAL ?
LA CONJUGAISON DU PRÉSENT