de la neuroplascité

DE LA NEUROPLASTICITE
ou le cerveau comme forêt

Un des grands principes vittozien est la neuroplasticité, cette capacité du cerveau à créer de nouveaux circuits, et ainsi de nouvelles habitudes ou, pour employer un vocabulaire aristotélicien, de nouveaux habitus, comme une seconde nature.

La neuroplasticité – ou plasticité neuronale – peut se définir comme la capacité des neurones à se modifier et se remodeler tout au long de la vie. Ces mécanismes contribuent à une adaptation des neurones à un environnement moléculaire, cellulaire et fonctionnel changeant et ainsi à des modifications fonctionnelles. Chaque seconde, notre cerveau se modifie en fonction des expériences affectives, psychiques, cognitives que nous vivons. C’est un processus physiologique d’adaptation du système soumis à l’influence de facteurs environnementaux, génétiques ou épigénétiques.

Ainsi, le cerveau est comme une forêt: si on emprunte plusieurs fois dans le même sentier, un chemin va progressivement se créer. Dans le cerveau de la même manière, les connexions neuronales deviennent de plus en plus efficaces par la répétition et mènent à l’automatisation des processus liés à une certaine tâche et donc à leur exécution plus facile. C’est ainsi que nous apprenons à lire, à conduire, à jouer de la musique etc. Déchiffrage lent, calages intempestifs et gammes interminables deviennent des habitudes intégrées. Selon le même principe, la méthode Vittoz propose  l’expérimentation d’exercices visant à installer de nouvelles habitudes: accueil de l’instant présent, conscience de son état intérieur, ajustement de la volonté aux événements… Véritable rééducation du contrôle cérébral, elle permet, par le biais du corps, de développer une véritable liberté intérieure par le développement de l’attention et de la concentration.

Cependant, si on ne marche pas pendant un certain temps dans les sentiers créés dans la forêt, la végétation reprend sa place. De même, les réseaux de neurones non utilisés finissent par se déconnecter progressivement. C’est pourquoi les neurones doivent être activés à de nombreuses reprises pour se connecter et renforcer leur connexion. La répétition est nécessaire, non seulement au moment de l’apprentissage mais dans la durée. Le cerveau oublie vite les éléments appris s’ils ne sont pas remobilisés régulièrement. Chassez la nature, elle revient au galop, selon l’adage. Les habitudes sont longues à prendre et rapides à perdre…

Mais si les neurones sont activés à plusieurs reprises, ils peuvent consolider leurs inter-relations et favoriser l’acquisition de nouvelles habitudes, jusqu’à générer un habitus, dont le signe selon Aristote, est la plaisir. En Vittoz, le processus est le même: une certaine discipline répétitive – un peu ascétique et qui peut paraître ingrate, est nécessaire dans les premiers temps. Mais la persévérance et la régularité portent rapidement leurs fruits, jusqu’à générer un habitus, dont le signe est… le plaisir. Plaisir de goûter le quotidien, plaisir de vivre ce qui est sans être envahi par la rumination ou la projection, plaisir d’une unité intérieure retrouvée.

Par ailleurs, pour générer de nouveaux circuits neuronaux, il est plus efficace de répartir les temps de pratique sur plusieurs courtes périodes réparties elles-mêmes sur plusieurs jours, plutôt que les concentrer sur une demie-journée voire une journée. Lors des périodes de sommeil, les neurones liés aux expérimentations dans la journée se réactivent, consolidant ainsi les apprentissages. C’est une des raisons pour lesquelles la méthode Vittoz est dite intégrative: plutôt de consacrer 40 minutes par jour à la pratique, il est proposé de l’intégrer à son quotidien: se lever, ouvrir ses volets, se laver les mains, prendre son petit-déjeuner… consciemment. Distillé dans le temps, ces petits actes conscients peuvent transformer une journée et devenir une véritable seconde nature, sans efforts de pratique mais vers lequel le cerveau se porte naturellement pour en avoir reconnu les bienfaits.

Nous voyons qu’ainsi la méthode Vittoz peut se mettre au service d’un certain art de vivre, prévenant le burn out, la dépression, l’insomnie etc. Mais ce n’est pas tout: ce principe s’applique aussi à une dimension thérapeutique. Certains traumatismes anciens génèrent des mécanismes de défenses inconscients, qui enclenchent eux-mêmes des comportements automatiques: c’est plus fort que moi. En rendant ces mécanismes plus conscients par le biais du corps, la méthode Vittoz permet d’activer de nouveaux circuits pour ne plus se défendre contre un passé fantôme et se libérer de ses entraves. Le passé ne sera pas effacé, mais visité, accueilli et mis à sa juste place.

Le processus est bien sûr d’autant plus long que le trauma est ancien, et les circuits ancrés plus profondément. Comme le dit encore Aristote, si la cire du cerveau est molle chez l’enfant et ce qui y est imprimé y laisse une empreinte profonde; celle du cerveau de l’adulte est moins malléable avec le temps. Les nouvelles habitudes intérieures seront donc plus longues à acquérir, mais – sauf en cas de lésions cérébrales irréversibles – la neurogenèse et le dynamisme des connexions sont possibles jusqu’à au moins… 97 ans, selon une étude de mars 2019. Une condition: la motivation.

Le seau: métaphore de la base 2

DE LA JOIE D’ÊTRE UN SEAU
par Anne
de base 2

C est l’ histoire d’ un seau à qui l’on avait dit que la seule importance c’était l’eau.

Alors soucieux que tous ceux qu’il croisait aient de l’eau en abondance, il en distribuait, louches après louches car il en avait à foison.

Il s’indignait même parfois devant de beaux seaux tout brillants qui refusaient parfois de n’en donner ne serait ce qu’une cuillère..

Et plus il en donnait, plus les autres le remerciaient, plus il était heureux.

Et plus il était heureux, plus il débordait.

Il voulait qu’on admire la belle fontaine qu’il était !

Un jour qu’il se sentait plus léger, il se dit: « Je vais pouvoir aller plus vite et plus loin pour donner de l’eau à chacun! »

Mais, en chemin, le seau se trouva tellement léger qu’il s’écroula.

Un mendiant assoiffé lui dit: « Joli seau, qu’as-tu fais de ton eau? »

Ce n’était plus de l’eau qui en jaillissant mais bien des larmes à présent.

Le mendiant l’enlaça, et lui dit: « je vais te réparer, te polir, te rassurer et te remplir. Je n’ai pas de louche comme toi, mais cuillères après cuillères tu te rempliras. »

L’important c’est l’eau, c’est le seau vide et le seau plein, c’est la fontaine, la source et le mendiant.

 

Le coq : métaphore de la base 7

LE COQ

par Léonard
de base 7

Le Chœur: Pourquoi pleures-tu, pauvre Coq? Pourquoi grincer dans l’air du soir?

Le Coq: Personne ne m’écoute, personne ne me guette. Des pires maux l’on m’accable: je suis une girouette.

Le Chœur: Quelle misère on t’a fait! Rien qu’à te voir, notre cœur nous fait mal! Sans plus attendre, ô Coq, déballe!

Le Coq: Du soir au matin, je change d’avis. Et parfois aussi, au cœur même de la nuit! Tantôt à l’ouest, tantôt à l’est. Une fois au sud, et l’autre au nord. Tout m’intéresse! Pourtant, on me dit que je suis fatiguant, et même exaspérant, que le monde a besoin de stabilité, et point de tourbillons. De régularité et pas de feu-follets!

Le Chœur (à part) : D’une injustice bien grande, il a subi l’outrage. Sans plus attendre mes frères allons la réparer!

Le Chœur: Que tu es belle girouette ! Et précieuse qui plus est. C’est pour un usage précis que les dieux t’ont créé. Sans toi, qui saurait d’où vient le vent ?

Les marins te scrutent pour ajuster leurs voiles, les anciens t’observent pour dire le temps qui vient.

Et tu annonces clairement, à qui veut bien l’entendre, ce qui dans l’air du temps, souffle, mais ne se voit pas.

Le Coq : Merci, ô Chœur, pour cette apologie. Et si je change souvent d’avis, c’est par obéissance. Ne mentirais-je pas un peu, si au cyclone je présentais ma queue? Le vent tourne et je n’y suis pour rien.

Épilogue :

Le Coq, tout heureux, remonta au clocher, et tutoie depuis ce jour zéphyrs et alizés.

Communiquer en 5 ?

COMMUNIQUER AVEC UNE PERSONNE DE BASE 5
par Mathilde
de base 5

NB : Les observations suivantes sont faites par rapport à mes attentes. Elles ne seront peut-être pas adaptées à votre interlocuteur qui, d’ailleurs, est le seul à pouvoir indiquer ses besoins.

RAPPEL : Rationnel, la personne de base 5 veut comprendre ce qui l’entoure en analysant et accumulent les connaissances. Il a tendance à s’isoler afin de réduire l’impact du monde extérieur, de se couper d’un excès d’émotions et de sensations pour adopter une position d’observateur. Il s’agit également d’une protection envers ses propres sentiments et désirs. L’objectif est de se protéger de toute intrusion.

COMMUNIQUER

POURQUOI ?

Tous les sujets intéressent la personne de base 5. Évitez simplement de parler de la pluie et du beau temps si vous n’avez d’autre objectif que de meubler la conversation. Elle préférera alors le silence. Elle peut se montrer intarissable pour vous transmettre ses connaissances et vous écouter assidûment parler des vôtres.

Il est également possible d’aborder des sujets beaucoup plus personnels et chargés d’émotions :
– sans aucune difficulté si c’est vous qui vous confiez
– suivant quelques recommandations dans le cas contraire.

NB : Ne le forcez pas à se confier ! C’est inutile ; son silence est redoutable! Vous ne pouvez que lui demander de le faire, l’encourager en précisant les enjeux (mieux le connaître, répondre à ses attentes, comprendre vos différences, chercher la vérité…).

AVEC QUI ?

Une personne de base 5 se laisse difficilement approcher. Elle évitera de prendre des risques: elle ne parlera que s’il peut faire confiance à son interlocuteur.

Quelques qualités à avoir :

– Ne pas être bavard
Ce qu’une personne de base 5 vous a confié à vous, c’est à vous qu’il l’a confié; ne le répétez pas! même si les informations peuvent vous paraître anodines. La Loi du silence est de rigueur; et c’est une loi très exigeante.

Le respect
Ne vous moquez ni de son silence ni de ses confidences. Vous serez parfois surpris par sa réserve (aucun thème n’est vraiment neutre: partager veut forcément dire se livrer, se dévoiler).

La délicatesse
Si une personne de base 5 ne veut rien dire, elle bloquera sa porte et il est inutile de vouloir la forcer: c’est impossible! Une personne de base 5 bloquée est incapable de parler.

MAIS

Son repli n’est pas toujours volontaire, c’est aussi un réflexe. Elle peut donc se retrouver prisonnière de son propre fonctionnement (ne plus savoir comment aller à la rencontre de l’autre). Encouragez-la doucement, rassurez-la! Vous pouvez tout obtenir par la douceur et la délicatesse.

La patience
Une personne de base 5 a besoin de temps pour analyser la situation, trouver les mots justes, s’assurer que vous l’avez bien comprise et gérer ses émotions. Si vous êtes pressé, abstenez-vous et choisissez un moment plus propice ou la conversation est vouée à l’échec. Elle ne vous en voudra pas (au contraire!) si vous lui dites : Ce que tu as à me dire m’intéresse. Je veux pouvoir t’écouter avec attention. Peut-on reprendre cette conversation dans une heure?

QUAND ?

Il n’y a pas tellement d’indication de temps mais il vaut mieux avoir un peu plus de cinq minutes devant vous.

Si c’est vous qui voulez lui parler de quelque chose d’important, évitez de le faire dans un moment de fortes émotions. Une personne de base 5 a des émotions très vives et redoute qu’elles n’explosent. Il a donc besoin de les approcher prudemment, les analyser, les ranger dans son petit cœur, les isoler les unes des autres; il a ainsi l’impression de les maîtriser et les craint moins. S’il y a trop d’informations à traiter en même temps, son cerveau dysfonctionne et c’est la panique!

Ce processus sera plus rapide si vous lui laisser quelques instants de répit sans parler ou en lui disant de petits mots gentils : Ne t’inquiète pas / Tout va bien se passer / Je suis là… Si elle n’y voit pas d’inconvénient, vous pouvez accompagner vos paroles de caresses ou gestes tendres. Le simple fait de lui poser une main sur l’épaule l’aidera à rester ancrer dans le réel, les sensations physiques, ce qui est très bénéfique en cas de tension.

Même si vous avez déjà la réponse à cette question, vous pouvez ensuite lui demander ce qui se passe. Cela lui permettra de formuler ses émotions. Vous pourrez alors transmettre votre propre ressenti. Elle sera sensible à la confiance que vous lui portez et sera rassurée: si vous vous confiez c’est que vous acceptez de vous montrer vulnérable et qu’elle peut faire de même.

L’action juste de la base 9

UNE VIE CACHÉE
Un film de Terrence Malick, 2019

Franz Jägerstätter, un archétype* de base 9?

Les lecteurs de ce blog savent que nous aimons le cinéma de Terrence Malick. Dans un article précédent, nous l’avions vu en 4 survie.

Une Vie cachée, le dernier film de Malick est encore sur nos écrans. Il filme en trois heures qui
passent comme un souffle, la destinée tragique qui va mener Franz Jägerstätter, paysan autrichien, à refuser de prêter serment à Hitler comme tous les soldats enrôlés dans l’armée allemande.  Franz, jusqu’au bout, en dépit des voix unanimes lui conseillant d’abandonner, écoute sa conscience et accepte d’être guillotiné. Je vous renvoie à un autre article pour une lecture cinéphilique et théologique de l’œuvre: http://www.lavie.fr/debats/idees/une-vie-cachee-les-tactiques-du-diable-et-le-primat-de-la-
conscience-04-12-2019-102314_679.php Mais, plus modestement, c’est à la lumière de l’ennéagramme, que nous aimerions ici approcher le moteur psychologique de son action.

Franz vit avec Fanni sa femme et leurs trois petites filles une vie tranquille dans une vallée autrichienne que rien n’aurait perturbée si l’Anschluss, en 1938, n’avait placé l’Autriche sous le joug du régime nazi. Dans un village simple et harmonieux, chacun fait sa part et chacun reçoit la sienne dans une osmose paisible, au rythme de la nature. Calme et rudes travaux paysans laissent la part belle à la gratuité des moments d’intimité partagée: la vie rêvée d’une personne de base 9 pour qui la paix, la joie de chacun fait la sienne. Les scènes de la vie courante sont à elles seules de vrais moments de contemplation.

Et pourtant, c’est lui  va bientôt devenir celui qui crée la disharmonie. Face aux échos de la politique nazie de destruction et de ségrégation, les plus forts opprimant les plus faibles, on sent pour la seule fois du film, dans son entretien avec le prêtre du village, la colère puissante bien qu’intérieure, du paysans autrichien. Sans qu’aune réflexion rationnelle ni émotion manifestée ne rentre en ligne de compte, il décide de dire non. Seul à refuser de donner de l’argent à l’effort de guerre nazi ou faire le salut nazi, il va provoquer l’hostilité de tous les membres de son village, l’incompréhension de ses proches et la violence de l’armée.

Voilà qui est loin du stéréotype trop souvent émis pour les personnes de base 9 de mollesse, de paresse et d’incapacité de se positionner. Nombre de stagiaires nous ont confié ne rien lâcher quand il s’agit de leurs convictions profondes et se sentent bien incompris quand ils sont vu comme n’en ayant pas. En effet, si en temps ordinaire, la personne de base 9 est plus à l’écoute des besoins des autres que des siens, si à son pire elle peut faire preuve d’inertie, l’action juste est sa vertu propre et la spécificité de son tempérament, pourvu qu’elle en prenne les moyens. Franz, béatifié par l’Eglise catholique, pourrait bien en être un archétype exemplaire.

La manière dont le film donne à voir le développement de cette vertu de l’action juste semble significatif: Franz a peur, il doute, il écoute les objections des uns et des autres, ne provoque jamais la rupture mais, s’ajustant aux événements quand ils arrivent, il ne bouge pas. Deux fois nous le verrons résister face à l’attaque sans se laisser mettre à terre: face au maire histrionique et face au soldat qui le violente. Mais il ne rendra jamais le coup. Plus encore, au cœur des contradictions, il manifeste une véritable compréhension de ce qui lui est opposé: les raisons de l’évêque, la douleur de sa femme, la faim d’un compagnon de captivité, jusqu’au positionnement de son juge: « je ne te juge pas, je ne sais pas. »

Il reste seul face à sa conscience, son intime conviction, dont l’image filmée laisse à penser qu’elle pourrait venir de son corps. Un corps fort, puissant, dont émane quelque chose de la résistance passive caractéristique de la base 9. En se laissant guider par cette force intérieure qu’il ne peut expliquer, et sans se laisser submerger par des émotions qui auraient pu le faire flancher (peur de la discorde et de la mort, arrachement de la douleur de sa femme et de sa mère); il tient bon. Selon le principe tomasien de la connexion des vertus, en cultivant l’action juste, il devient plus courageux (vertu de la base 6), plus généreux (vertu de la base 5), plus vrai (vertu de la base 3). En réalisant le geste que personne ne comprend, quand bien même tout le monde lui dit qu’il est inutile, Franz se place à un niveau d’harmonie plus haut que ce qui apparaît et qui constitue sa mission dans le monde: résister en conscience à l’oppression la plus totalitaire. En osant la disharmonie apparente, il oeuvre pour la paix par son corps, au prix de sa vie.

 

 

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son oeuvre. 

Grandir en liberté

GRANDIR EN LIBERTÉ
par Inès

Ce parcours de premier cycle m’a beaucoup intéressée et j’ai été heureuse de le suivre de façon rapprochée , ce qui m’a permis de rentrer plus profondément dans le sujet et d’en percevoir de mieux en mieux les subtilités et les finesses.

J’ai beaucoup apprécié la façon dont vous avez coloré cette formation de votre dimension spirituelle qui évidemment pour moi est essentielle. J’ai apprécié cet accompagnement qui non seulement laisse à chacun sa liberté mais surtout la fait grandir.

A chacun sa vertu

Vertu ou Sibylle Agrippa, 1480-1503

A CHACUN SA VERTU

A la fin du premier module de l’ennéagramme, chaque participant repart avec une vertu propre selon le principe thomasien de la connexion des vertus: de même qu’il y a plusieurs versants pour l’ascension d’une montagne, un seul suffit pour arriver au sommet; de même si nous repérons notre vertu principale, toutes les autres viendront avec elle.  Ainsi, en cultivant l’unique vertu de courage, les personnes de base 6 deviendront plus sereines (vertu de la base 1), humbles (vertu de la base 2), vraies (vertu de la base 3), équanimes (vertu de la base 4), généreuses (vertu de la base 5), sobres (vertu de la base 7), douces (vertu de la base 8) et capables d’action juste (vertu de la base 9).

La tradition orale de l’ennéagramme depuis Ichazo attribue aussi à chaque base une vertu propre, lui faisant correspondre une passion, autrement dit un défaut. Certains auteurs y ajoutent judicieusement une contre-passion, qui est comme la singerie de la vertu par l’anesthésie de la passion. Fidèles à une anthropologie classique, nous lui préférons la tradition de l’Ethique d’Aristote, notamment par le biais du travail de Norbert Mallet, Devenir soi-même avec l’ennéagramme. Ces deux traditions ne sont pas contradictoires mais diffèrent par leurs définitions de la passion et de la vertu, et partant par leur mode d’application.

Pour Aristote et saint Thomas, l’homme est naturellement attiré par le bien. Cependant, créature finie, il ne peut appréhender totalement l’ensemble des facettes du bien. Une des caractéristiques de cette finitude est un tempérament spécifique, qui donna lieu depuis Evagre le Pontique à de nombreuses typologies. En fonction de ce caractère, l’homme est attiré par tel ou tel aspect du bien, qui est sa voie propre vers le bien. Ainsi les personnes de base 5 sont particulièrement attirées par la clarté, celles de base 4 par l’absolu, celles de base 3 par la réalisation etc.

A cette orientation positive correspond une passion, un moteur, une énergie, un appétit, un désir primordial; qui la met en mouvement. C’est la connaissance en 5, l’intensité en 4, l’action en 3. Elle est, pour Aristote, éthiquement neutre.

Dans un monde idéal, chaque voie vers le bien conduirait de la même manière chacun au bien universel. Mais force est de constater que chacun reproduit aussi les mêmes travers, rencontre les mêmes écueils, manifeste les mêmes manques, reproduit les mêmes comportements excessifs qui peuvent blesser et nuire tant à soi-même qu’aux autres. C’est comme si l’endroit de notre attirance vers le bien était aussi celui de notre fragilité: celui qui est fort (base 8) a tendance à abuser de sa force et être brutal; celui qui est attiré par la perfection peut devenir perfectionniste (base 1), celui qui aide les autres peut utiliser son talent pour se rendre indispensable (base 2), celui qui apporte paix et harmonie peut en perdre son opinion propre (base 9) etc…

Il y a donc entrave, dysfonctionnement à l’accomplissement de cette orientation positive. La foi chrétienne en donne une raison: le péché originel, qui détourne l’homme de la réalisation de son bien propre. La psychologie, toutes écoles confondues, en rejoint le constat: l’homme se développe autour d’une blessure, qui engendre une cristallisation de ses comportements pour un plus jamais ça: un mécanisme de défense. En se cristallisant, ce mécanisme de défense devient omniprésent même quand il n’est pas utile, réduit le champ de vision, se transforme en excès de passion. Pour fuir la souffrance, la personne de base 7 multiplie les plaisirs, jusqu’à la gloutonnerie; pour fuir la banalité, la personne de base 4 recherche l’intensité, jusqu’à se mettre en danger, etc.

Parfois, face aux dommages engendrés par ces excès, la personne peut se réfugier dans une posture opposée, de défaut de passion (qui correspond à la contre-passion de la tradition orale): les personnes de base 8 vont anesthésier leur force vitale, celles de base 7 verser dans l’austérité, celles de base 3 vont se mettre excessivement en retrait; jusqu’à risquer de perdre la passion qui les meut.

Pourtant la vertu du type n’est pas négation de ce vers quoi le porte sa nature, mais toujours selon Aristote, médiété entre l’excès et le défaut de la passion. Ainsi face au danger et à la peur qu’il engendre, le courage en base 6 est le juste milieu entre la couardise et la témérité. Elle va nécessiter volonté et répétition pour devenir habitus selon l’expression aristotélicienne; avec deux bonnes nouvelles : le signe d’une vertu acquise pour Aristote est le plaisir et la vertu propre d’une base correspond à sa petite mission dans le monde. Ainsi personne mieux que la base 6, ne peut être activer la vertu de courage, qui ne peut exister sans peur.

Car l’enjeu du développement de la vertu propre n’est rien d’autre que le talent, à mettre au service du monde, et que l’excès et le défaut de passion stérilisent. C’est ainsi que pour rendre le monde plus beau, la personne de base 1 ne devra ni se rigidifier ni tout laisser tomber mais activer sa vertu de sérénité. Pour prendre soin, la personne de base 2 devra passer par l’humilité et la gratuité du don. Pour apporter la joie au monde, la personne de base 7 ne devra ni s’empiffrer ni devenir austère, mais goûter et partager les plaisirs de la vie (c’est d’ailleurs dans cette mesure qu’ils seront vraiment des plaisirs) etc.

Comment tendre vers sa vertu propre? En soi, l’ennéagramme n’est qu’une cartographie qui donne une carte et une boussole pour repérer son talent et reconnaître la vertu afférente. Il ne donne pas les moyens de s’y exercer. C’est là qu’intervient la méthode Vittoz, à double titre: par le biais du corps, prendre conscience d’où se porte mon attention, repérer quand je suis enferré dans mon mécanisme de défense; et mettre en place librement le juste positionnement en fonction des circonstances.

Et si l’unité de la personne était un chemin possible, entre les désirs de son cœur, les raisons de sa tête, les manifestations de son corps et… sa vie spirituelle ? Car si la distinction de ces plans est vitale; ils s’interpénètrent au quotidien, l’homme ne peut les séparer en lui-même. Et selon Jacques Philippe dans Appelés à la vie:  « Le propre de l’Esprit est d’éduquer le désir. […] Il y a de fait une coïncidence entre l’appel de Dieu et le désir le plus profond du cœur de l’homme. Dieu nous invite au don de nous-mêmes par amour, mais cela correspond aussi au désir secret qui nous habite. »

Un verre de vin : métaphore de la base 7

UN VERRE DE VIN
par Michel
de base 7

C’est un verre de vin rouge. À moitié plein. Inimaginable qu’il puisse être à moitié vide.

Il offre bien des choix possibles. Un Bourgogne en souvenir du berceau natal ? Un Bordeaux et ses différents cépages ? Un Beaujolais qui n’aura rien de nouveau ?

Lors de ses phases exubérantes, la main qui le saisit obéit à un coude. Il est alors toujours à moitié plein. Il est vide ? Et hop, la seconde d’après il ne l’est plus, mais rempli d’un autre vin. Et c’est reparti comme pour des gammes.

Il lui arrive de se discipliner. Avec le temps, le coude cède protocolairement la place au nez.

D’abord, l’esthétisme le fait passer d’un vulgaire verre de cantine à un ballon en cristal. Saint-Louis ou Arc, au choix, il en profitera pour se faire une petite expertise sur le sujet le temps de quelques dîners.

L’esthétisme lui suggère ensuite de se comparer au verre de vin qui peut se boire seul comme le Bacchus du Caravage, ou se partage lors du déjeuner des canotiers de Renoir. Il n’a que l’embarras du choix dans la teinte. Brique, grenat, rubis, vermeil, écarlate, cerise, …

Arômes. Bouquets. Discernement des arômes primaires, ceux du raisin. Secondaires, ceux de la vinification. Tertiaire, ceux de l’élevage en fûts de chêne. Quelle joie de découvrir plein de nouveaux amis pour les papilles, phénols, tanins, vanilline et autres whisky-lactones !

Tout cela incite à aller sur Internet de très intéressants articles « Que choisir avec »…

La sobriété incarnée. Cliton, le personnage caricatural du glouton dans le livre Les Caractères de La Bruyère, a bien grandi !

En fin de compte, un verre vin ne se boit (presque) pas, il se hume, pour déceler ce qu’il a de fin, de distingué, de complexe. Quel emballement, quelle excitation de chercher dans le labyrinthe des notes fruitées, florales, boisées, et tant d’autres encore…

L’esprit divague de curiosité vers d’autres images, par exemple les orgues des nez, ou encore les belles apothicaireries, en bois nobles. Association d’idées avec les fûts de chêne ? À creuser…

En tout cas, quel programme enthousiasmant !

L’harmonie, l’apaisement viennent de la lectio divina. « Tout le monde sert le bon vin en premier, et lorsque les gens on bien bu, on apporte le moins bon. Mai toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant. »

 

Enneagram rhapsody

ENNEAGRAM RHAPSODY
par Marie
de base 8

 « Je suis submergé par toutes ces personnalités! » Les Rivers Crossing, dans une reprise de BohemianRapsody de Queen, s’essaient à une autre manière d’aborder la typologie de l’ennéagramme. Outil au service d’une meilleure connaissance de soi et d’une meilleure compréhension des autres, il nous aide à voir plus profondément en nous, au niveau des motivations souvent inconscientes qui nous habitent. Pour prendre de la distance avec nos automatismes et avancer vers plus de liberté intérieure.

« Ouvrez les yeux », demandent-ils. C’est bien le cœur du sujet. Le principe de l’ennégramme est que nous avons une manière de voir le monde qui correspond à un neuvième de la réalité. Elle est tout notre monde, mais elle n’est pas le monde entier. Le chemin auquel il nous invite est d’élargir l’espace de notre tente, voir plus loin et plus large que ce qui nous est familier, sortir de notre zone de confort, ouvrir les yeux.

Le spectacle commence au piano, dans un style lyrique et doux. Il est accompagné du chœur de l’introduction et de légères lumières. Quoi de mieux pour introduire le type 4? La voix pleine d’émotions, il déclare avoir « besoin de plus de sympathie ». Besoin d’attention du 4, peur de ne pas être vu, faible estime de soi. Mes sentiments vont et viennent, au gré du regard de l’autre, tels un yoyo qui le fait se sentir vivant. Puis, une envolée lyrique nous ouvre à l’originalité, la profondeur et le sens de l’absolu des personnes de base 4. Car au même endroit se trouve en lui, comme en chaque base, la faille et la lumière, le travers et le talent.

Avec la base 7 qui lui succède, le ton reste étonnamment mélancolique, au regard de l’image de joyeux drille que cette base peut donner. La souffrance est au cœur de sa problématique, en creux. Les personnes de base 7 passent souvent leur vie à fuir contrainte, enfermement, souffrances, au risque de d’un jour être submergé par elles. Leur voie d’évolution sera la sobriété pour ne pas céder à l’étourdissement et oser avancer en eau profonde. Ce qui ne changera pas leur nature, le couplet s’achevant sur une invitation à partir en soirée, où une place nous sera gardée… par une personne de base 2. Jolie transition.

« Drama ou ouou! », s’exclame le 9, « Pouvons-nous juste tous bien nous entendre? » Cette soif d’harmonie se mêle à une poussée de voix puissante, révélation de la force du 9 qui, quand il s’agit de paix, peut sortir les crocs, « parce que la paix est tout ce qui compte ». S’il se laisse entraîner par sa peur du conflit et de l’affrontement, il ne pourra pas activer sa vertu, l’action juste. Le travail des personnes de base 9 va donc être de contacter cette colère qui les habite et qu’ils se cachent à eux-mêmes par peur des conséquences, pour faire confiance à leur corps et se positionner quand cela est nécessaire.

Après un interlude musical qui annonce très bien le besoin de solitude et de silence des personnes de base 5, le chanteur quitte son piano pour dire: « Au-revoir tout le monde, je dois partir, j’ai encore trop de choses à penser ». Sobre, clair, efficace. Donner de soi, de son temps, de son savoir, est un chemin long et ardu, avec comme fruit un moment de musique bref sans doute, mais tout en délicatesse et profondeur. Car la générosité est bien ce que les personnes de base 5 ont à apporter au monde, de manière privilégiée.

« Mama ou ouou ! » Le 4 revient sur le devant de la scène (parce que c’est sa forme !), se jette à genoux devant le public et reprend son refrain lyrique: « Quelquefois je ne sais même plus qui je suis! » s’effondre-t-il. Batterie au rythme d’un cœur et solo de guitare électrique…

Puis la musique prend un tournant léger et joyeux, un rythme enjoué et presque drôle pour introduire la base 2. Avec un peu d’ironie, le chœur refuse son aide et le ton prend des accents dramatiques, presque agressifs : « Laissez-moi faire quelque chose, que tout le monde m’aime, je vous en prie! » Car la personne de base 2 est taillée pour le service, le care of, mais se rend rarement compte que son moteur, le besoin d’amour et de reconnaissance peut devenir envahissant: explosion de lumières sur scène qui peut figurer la lumière qui jaillit quand par la vertu d’humilité, les personnes de base 2 peuvent apprendre la gratuité du don.

Changement radical d’atmosphère avec la base 6 : le chanteur se cache dernière son piano, inquiet. L’agressivité demeure mais ce n’est plus celle qui veut agir pour l’autre mais qui veut s’en protéger. Les dangers sont multiples face à cette multiplicité de caractères dont on ne peut prévoir à tous les coups les réactions. Il lui en faudra du courage pour affronter sa peur et développer la loyauté et la droiture qui caractérisent les personnes de base 6.

Le 1 « ne lâchera jamais l’affaire, jamais ! – Lâche l’affaire » répète encore et encore le chœur dans un martèlement régulier. Une réponse : « Non, non, non, non, je ne lâcherai pas l’affaire! » Car si je la lâchais, la beauté du monde serait en danger. L’action de chacun est requise et le travail toujours inachevé pour mettre de l’ordre dans le chaos avec rigueur, précision et détermination. Le challenge pour cette base sera pourtant bien de lâcher le contrôle, oser prendre du repos et laisser courir la vie dont l’imperfection peut révéler la beauté.

Sunlights et feux d’artifice sur scène ! C’est l’entrée de la base 3. La lumière obéit à l’injonction de celui pour qui l’image, l’efficacité et la performance sont au cœur. Mais ne nous y trompons pas, ce n’est pas un arriviste, un opportuniste, mais bien plutôt un amoureux de l’amour dont la croyance est que pour être aimé, il est important de réaliser. Et pour que ses talents d’entrepreneur puissent donner leur fruit, son chemin passera par l’accueil de ce cœur dont il n’écoute pas les informations, par peur d’être ralenti.

En apothéose, un long morceau de rock nous fait entrer dans l’univers de la base 8 : force, élan de vie, énergie considérable qui prend tout l’espace, voix roque et puissante. « Si tu me gênes, tu vas mourir » : la vie est une jungle où le plus fort gagne pour protéger le plus faible. « Si tu ne peux pas le faire, tu ferais mieux de t’éloigner de moi ». Justicier, ennemi de la mollesse et de la paresse, il fuit la faiblesse, et la sienne d’abord. Pourtant, l’interlude à la guitare électrique qui se prolonge au piano dans un registre plus doux révèle le défi de la base 8 : la douceur, dont il est le hérault. N’est-elle pas le signe de la vertu de force ?

« Tout le monde compte de manière égale », c’est le mot de fin qui aurait pu être prononcé par une personne de base 9, dans une atmosphère englobante et douce. A l’instar du personne n’est indispensable, il envoie un chacun est précieux. Le monde a besoin d’amélioration constante (1), de care of (2), de réalisation (3), de connexion émotionnelle (4), de science (5), de vigilance (6), d’enthousiasme (7), de force vitale (8) et d’harmonie (9). Ôter une manière de voir le monde, il perd son équilibre. Reconnaître humblement quelle est sa petite mission pour la mettre au service, est un des enjeux de l’ennéagramme.

Petit bémol à cette tentative de mise en forme : cette idée de « faire le test » à la fin de la chanson. On ne peut demander à une machine de nous dire qui nous sommes et chacun est le seul à connaitre ce qui le meut, à son rythme. C’est le cœur de la déontologie de la tradition orale de l’ennéagramme. C’est toute la beauté, la délicatesse et la complexité de cet outil qui engage autonomie et responsabilité. Deux jours en groupe ne sont pas trop pour passer du 2D au 3D et se laisser émerveiller par les richesses des vies intérieures, à commencer par la sienne. Et si vous tentiez l’expérience ?

 

La colère de la base 9

 
 
LA COLÈRE DE LA BASE 9
 

Extrait du film Nos femmes de Richard Berry, 2015

En 9, la colère est le moteur. Curieux au regard de la présence pacifiante de cette base, la plus Peace and Love de l’ennéagramme. Comment comprendre cette ambivalence?

En 9, l’urgence est la paix et tout sera préféré à une possibilité de disharmonie: conciliation, écoute, compréhension de l’autre,  jusqu’à l’oubli de soi.

Face aux multiples frottements relationnels de la vie, une colère sourde, bien souvent inconsciente, est donc accumulée sans être visitée. Colère face aux incompréhensions mutuelles, aux égoïsmes; colère aussi de ne pas être pris en considération alors qu’il fait tout pour disparaître. Elle est anesthésiée, comme endormie, notamment pour ne pas prendre le risque de pulvériser le protagoniste; la puissance corporelle du 9 étant en effet proportionnelle à son flegme apparent. Pour cela, la personne de base 9 a une arme redoutable: la procrastination qui sert d’airbag à ce volcan intérieurSi je passe mes journées à des activités périphériques (préoccupations secondaires, nourriture, tabac, réseaux sociaux…), j’ai toutes les chances de ne pas contacter cette lave en fusion intérieure qui me fait si peur à moi-même.

Mais le corps a ses limites et il arrive au moins une fois dans la vie d’une personne de base 9, qu’à l’occasion d’une broutille, la cocotte minute explose de manière disproportionnée et décalée. Réel soulagement physique, elle est source d’incompréhension pour l’entourage et de culpabilisation d’avoir été l’occasion d’un conflit. Ce qu’elle fuit à tout prix, la personne de base 9 peut le provoquer.

La voie d’évolution sera bien sûr de contacter régulièrement cette colère corporellement pour y puiser la force d’oser se positionner, au risque d’un désaccord, afin de développer ce qu’il a à apporter au monde par sa vertu propre: l’action juste.

Cet extrait du film de Richard Berry, Nos femmes, sorti en 2015, pourrait être une belle illustration de cette colère décalée de la part de Daniel Auteuil. Après 35 ans d’amitié joyeuse, assidue et sans nuage, à l’occasion d’un drame, les digues de la tension intérieure de Paul cèdent sans crier gare face à Max, possiblement de base 5 : jubilatoire !