Serge Gainsbourg et la base 5

1SERGE GAINSBOURG
Un archétype* de base 5

Provocateur et tendre, honni ou porté aux nues, Gainsbourg n’a jamais laissé indifférent. L’entretien ci-dessous, réalisé en 1968, alors qu’il a à peine plus de trente ans, est touchant. Il se livre comme jamais. On sent une grande sensibilité, mais jamais dans une expression débridée de l’émotion. Derrière le sourire narquois, on repère vite celui qui évite d’être dépendant des choses matérielles : il abandonne la peinture pour ne pas l’être. Très vite, on pense au centre tête, mais beaucoup trop complexe et tourmenté, pas assez enthousiaste pour être de base 7. Cela se joue entre 6 et 5. Un esprit logique et en même temps elliptique semble faire pencher la balance vers le 5. Gainsbourg parle peu, et surtout, il parle en se gardant bien de lâcher des éléments trop personnels qui permettraient de le percer à jour. Son interlocuteur doit sans cesse aller le chercher (et il le fait avec tact et bienveillance, ce qui nous permet finalement d’avoir pas mal d’éléments) alors que Gainsbourg est en permanence dans une stratégie de rétention de soi. Là où une personne de base 6 expliquerait, lui lâche des bribes et esquive. Le non-verbal est éloquent : il laisse entrevoir une délicatesse extrêmement sensible, typique de la base 5.

Gainsbourg parle une fois de façon très claire et complète : quand il évoque la question du prix des tubes de couleur utilisés dans la peinture. On remarque que sur un point qui n’engage pas son intimité, une personne de base 5 peut être loquace. Et l’on constate que l’argent est un point d’attention (la fameuse avarice du 5). En revanche, quand on l’interroge sur la qualité de ses chansons, sur son statut d’artiste, il fait un pas en arrière. On n’en tire rien, sauf quelques réflexions désabusées sur la place très mineure de la chanson dans l’art. Juste un aveu : entre auteur, compositeur, personnage, « c’est très faux-jeton, je louvoie sans me mouiller ». Aveu d’une stratégie de dissimulation et de protection pour éviter d’être cerné.

La part de l’ironie est fondamentale dans ses chansons. Ironie souvent cruelle que Gainsbourg attribue à un scepticisme dû lui-même à une lucidité. Il faut que le journaliste le pousse dans ses retranchements pour avoir l’essentiel. Cette lucidité est elle-même permise par une froideur. C’est effectivement son style comme le formule remarquablement son interviewer : « Systématiquement vous donnez un coup de ciseau à l’émotion quand elle va apparaître ». La réponse de Gainsbourg est très claire. Il s’agit d’une croyance qui vient de l’enfance et cite cette phrase de Schopenhauer qui l’avait fasciné adolescent : « seules les bêtes à sang-froid ont du venin ». « Je serais plutôt réfrigérant, réfrigéré que passionné et généreux, continue Gainsbourg. Je ne suis pas généreux. Je suis une éponge qui prend mais qui ne rejette pas son eau. » L’hypothèse de la base 6 s’envole et l’on assiste à un magnifique déploiement de la base 5 qui met à distance les émotions pour absorber toutes les informations dont il a besoin pour comprendre le monde. Observateur, le 5 regarde plus qu’il ne participe. Gainsbourg confesse être volontiers voyeur…

Le danger en 5 est d’être envahi. La peur fondamentale est celle de l’intrusion. D’où, parfois, le fait de se cacher derrière des attitudes de froideur ou des masques. « J’ai mis un masque de cynique que je n’arrive plus à retirer. » Cette peur de l’intrusion va de pair avec une pudeur qui va jusqu’à trouver excessive la taille des mini-jupes des filles, alors qu’on est en pleine période de libération sexuelle et qu’il déshabillera volontiers les femmes en scène plus tard… Nul doute que la rigueur qu’il regrette de ne plus voir chez les femmes n’est pas du puritanisme, mais un réflexe de protection. Que ce soit en creux ou en plein, la question du « voir » est centrale chez lui.

Fascinant, se livrant car il est en confiance avec une personne, il se pourrait bien que Gainsbourg fût du sous-type tête-à-tête. L’hypothèse d’une aile 6 vient d’elle-même : l’émotion est mise à distance et la peur est très présente, y compris celle relative à une certaine sécurité ; une personne de base 5 à aile 4 aurait eu moins peur de la bohème. Et une aile 6 expliquerait volontiers la capacité de provocation dont Gainsbourg a tant de fois fait preuve.

Une des caractéristiques des personnes de centre mental est l’humour, qui met la peur à distance. C’est leur arme préférée et le réflexe premier quand ils se sentent en danger : la gaudriole en 7, la même « ironie grinçante » en 5 et en 6, avec des fonctions différentes. Cette ironie sert à tester le protagoniste et à clarifier ses intentions en 6, elle est un bouclier qui le met à distance pour préserver son intimité en 5. Avis à ceux qui les aiment et les entourent : en 5, 6 et 7, quand je commence à rire et à faire rire, c’est que j’ai peur et que je me défends…

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son oeuvre. 

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