Ponce Pilate et la base 6

PONCE PILATE 
Un achétype de la base 6 en social*
par Jacques-Olivier
de base 6

Lorsque Ponce Pilate fait apposer l’écriteau INRI sur la croix où meurt le Christ, il agit en fin de compte par provocation envers les grands-prêtres du Sanhédrin. Il n’a pas digéré ce procès politique, au cours duquel il s’est trouvé en confrontation agressive avec eux. Avec une certaine ironie, il cherche à montrer la vacuité de leur revendication. « Jésus-Christ est le Roi des Juifs », tel est ce que Pilate décide de faire proclamer. Tout l’inverse de ce que les accusateurs voulaient. Loyal. Sceptique. Et même loyal-sceptique.

Au nom de ce gouverneur romain sont attachés beaucoup de termes de la base 6. Représentant de Rome et de l’ordre imposé en Palestine, il apparaît comme légaliste, gardien, loyaliste : « Tu refuses de me parler! Ne sais-tu pas que j’ai pouvoir de te relâcher et que j’ai pouvoir de te crucifier? ».

Soucieux d’envoyer sans tarder le condamné à Hérode, il démontre ainsi qu’il ne supporte pas que les autres dérogent aux règlements et au bon ordre de la justice. Soucieux de passer pour obéissant, il se rappelle – dès le début du dialogue avec les Juifs – qu’il est soumis à une loi extérieure, celle de César. Qu’il ne peut se permettre une négligence. Son absence de prise en compte des remarques de sa femme Claudia Procula ne laisse pas entendre qu’il est habité par une loi intérieure, ce qui lèverait tout doute sur une hypothétique de base 1 pour cet homme en fin de compte assez précis et carré.

Il doute. Menant son enquête, il cherche à nourrir ses réponses en interrogeant tout le monde. Il interroge:
– les grand-prêtres du Sanhédrin (« Quelle accusation portez-vous contre cet homme? »),
– Hérode (ils en deviendront même amis, d’ennemis qu’ils étaient auparavant, nous rapporte un des évangélistes),
– Jésus-Christ lui-même (« Es-tu le Roi des Juifs? »),
– la foule (pour savoir s’il doit relâcher le Roi des Juifs, au lieu de Barabbas).

Il remplit une sorte de rôle d’avocat du diable : « Suis-je juif, moi? Ta nation et les grands-prêtres t’ont livré à moi; qu’as-tu fait? ». Son doute va crescendo jusqu’à l’Ecco Homo : « Voilà, je vous l’amène dehors, pour que vous sachiez que je ne trouve aucun motif de le condamner ». Il insiste. Contrastant avec la gravité et la dignité du silence de plus en plus marqué de Jésus, Pilate parle beaucoup, un autre symptôme des bases 6.

Le récit évangélique le laisse imaginer avec une très forte acuité d’attention (« Pilate, à ces mots, demanda si l’homme était galiléen »). Rien d’autre ne semble le déconcentrer de cette cabale qui tourne au fanatisme, de ce procès, et du mystère que lui inspire en fin de compte Jésus. Il observe. Plusieurs fois est utilisée l’expression « entendant ces paroles ». Une aile 5 ?

En fait, il a peur: de la foule, des grands-prêtres, de l’image qu’il peut donner ici et à Rome, peut-être aussi des réponses qu’il peut entendre du Christ, chez qui il ressent sans aucun doute quelque chose qui est au-delà de l’ordre de l’humain? L’évangéliste est sans ambages: « Quand Pilate entendit cette parole [nous avons une Loi, et selon la Loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu], il eut encore plus peur. » Il a non seulement peur, il redouble de peur. Sa volonté reste en dessous de sa conscience, de son devoir: faible, indécis, tétanisé, Pilate semble même à l’extrême esclave de viles passions, voire lâche.

Comment évaluer son courage, vertu de la base 6? Sa décision se cristallise dans ce fameux lavement des mains, et la tradition chrétienne a sans doute beaucoup trop associé Ponce Pilate à cette ultime scène du procès. Alors que l’échange des précédents versets est d’une densité incroyable de dialogue, requérant du courage et non des mondanités: « Qu’est-ce que la vérité? », ou encore « de qui procède le pouvoir? » Il sait aussi qu’il a pouvoir de vie et de mort, et donc que l’autorité qui lui a été conférée lui reconnaît une dose de courage pour envoyer l’un ou l’autre de vie à trépas. Ici, en livrant Jésus, contre sa conscience, contre l’avis de sa femme. Lorsque Jésus est amené à son prétoire, au tout début de ce procès politique, Pilate sort « pour aller au-devant d’eux ».

Bref, une sorte d’équilibre phobique/contre-phobique. La colère n’éclate pas chez cet homme qui nous apparaît bien cérébral, mais en filigrane on le perçoit continuellement agacé, crispé, presqu’excédé. Assez peu de traits de la base 6 sont moins flagrants, je relève surtout une difficulté de me prononcer sur son imagination? Quoique. Comment son cerveau mouline-t-il quand il demande au Christ: « Tu es donc roi? »

Enfin, et c’est presque le plus intéressant à remarquer, l’hypothèse de sa base 6 semble se confirmer dans le jeu des flèches 3 et 9. Le début du procès commence très sereinement. Pilate ne s’attend pas du tout à une crise, et propose derechef que les Juifs s’occupent eux-mêmes de cette affaire qui semble presque du droit commun : « Prenez-le vous-mêmes; et jugez-le selon votre Loi ». Cette zone de confort semble s’apparente à une flèche de sécurité venant de la base 9.

La fin du procès se termine par cette décision de livrer Jésus aux Juifs pour qu’ils le mettent à mort. Intérieurement tétanisé par la peur de mécontenter César, Pilate se concentre sur ce qu’il doit faire (1er indice: « Pilate, entendant ces paroles, amena Jésus dehors et s’assit au tribunal »; 2ème indice: l’inscription placardée « INRI » en est emblématique). Sa flèche de stress et de risque le fait basculer vers la base 3. Qui ira jusqu’à la dernière scène évoquant Pilate, quand Joseph d’Arimathie vient demander le corps, et que Pilate « ordonna de le lui remettre ». Un peu de 9 (être conciliant), un peu de 3 (être dans la complétude de l’efficacité de la mesure décidée), au service de la base 6…

En résumé, et en écho de cette loyauté à une loi extérieure, voici ce qu’écrivait Benoît XVI dans Jésus de Nazareth: « Il semble pourtant que Pilate ait éprouvé une certaine crainte superstitieuse devant cet étrange personnage. Pilate était certes un sceptique. Mais en tant qu’homme de l’Antiquité, il ne pouvait toutefois pas exclure que des dieux, ou à tout le moins des êtres semblables à des dieux, puissent apparaître sous l’aspect d’êtres humains. […] Je crois que nous devons tenir compte de cette peur chez Pilate: peut-être y avait-il quelque chose de divin dans cet homme. En le condamnant, peut-être se mettait-il contre une puissance divine. Sans doute devait-il s’attendre à la colère de telles puissances. »

Toutes sortes d’hypothèses ont fleuri sur ce qu’il advint de ce gouverneur romain. Peut-être même fût-il vainqueur de sa peur et mourut-il martyr de la foi, à l’instar d’un autre archétype de base 6, saint Pierre? Peut-être est-il enterré sur le Mont Pilate en Suisse? Ce sera aussi une occasion de relire les Mémoires de Ponce Pilate, d’Anne Bernet.

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son oeuvre. 

Une réflexion sur « Ponce Pilate et la base 6 »

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