Du rire et des larmes

le-prenom-affiche-4f67102b326b6LE PRÉNOM
Un film de Matthieu Delaporte et Alexandre de la Patellière, 2012

Le succès du film Le Prénom est sans doute dû à la remarquable étude de caractères qui en fait la force. On ne jaugera pas ici des qualités cinématographiques de ce qui relève du genre du théâtre filmé si cher au cinéma français, avec toutes les limites que cela comporte, sauf à relever tout de même la très belle performance du quatuor d’acteurs principaux. Ce qui me paraît avéré est la stupéfiante cohérence des personnages, beaucoup moins caricaturaux qu’une lecture superficielle pourrait le laisser entendre. Cohérence qui peut s’analyser de façon convaincante avec l’ennéagramme.

3327124-7Commençons avec le personnage de  Vincent, superbement campé par Patrick Bruel, qui donne l’impulsion de l’histoire en annonçant à un dîner où il est invité par sa sœur et son beau-frère qu’il va appeler son fils Adolphe. Nous pourrions être en face d’un archétype de base 3, agent immobilier fier de montrer sa réussite, qui roule en grosse berline allemande et apporte une bouteille de Cheval-Blanc 1985. Bien trop occupé pour penser à autre chose qu’à son travail et à l’image qu’il donne, il ne sait à peu près rien de celui de sa compagne. Mais il y a plus que ces traits parfois un peu trop caricaturaux du 3. Il y a cette capacité à s’engager à corps perdu dans une joute verbale avec son beau-frère, joute où la question de la vérité n’a aucune importance, mais dont il faut être vainqueur. Et c’est là où Vincent bascule, empêtré dans un mensonge dont il ne sait plus sortir car cela l’amènerait à reconnaître une défaite, un échec. Pour gagner un challenge dérisoire, il met de côté toute émotion, peut paraître cynique ; mais quand il croit être trompé par sa femme – ce qui constitue l’échec du lien par excellence si redouté en base 3 – il ne sait pas prendre le recul nécessaire et se laisse submerger par sa propre émotion. Comme l’apprend l’ennéagramme, le 3 est un émotionnel qui s’ignore, et le personnage incarné par Bruel le montre à merveille.

3327124-9Prenons les autres personnages dans l’ordre de rentrée en lice dans ce jeu de massacre comique et tragique. Pierre, le beau-frère, joué à la perfection par Charles Berling est le prototype du bobo intello de gauche, très certain de son appareil mental. On n’a pas de mal à reconnaître une base 5, par ce côté intello en retrait, comme détaché de la vraie vie, aimant à parler avec des références plus qu’à se mettre lui-même en danger. Le défaut que lui renvoie son entourage, et dont il est parfaitement dupe, est celui de l’avarice qui n’est pas seulement une difficulté à dépenser son argent, mais surtout à donner de lui-même, à dépenser une énergie assez faible : on voit Charles Berling, épuisé par la joute, quasiment disparaître en deuxième partie de film. Vraisemblablement, l’impact émotionnel (dont il n’a pas conscience) de la question politique, l’importance de son rôle de professeur d’université, une manière d’avoir soin à sa manière sobre et signifiante de son image, évoqueraient un sous-type social.

3327124-11Claude, l’ami d’enfance de Vincent et de sa sœur, joué par Guillaume de Tonquédec, pourrait être un bel archétype de base 9. C’est ce que lui renvoient avec cruauté ses comparses : difficulté à se positionner, incapacité à entrer en conflit, un côté qui peut aller jusqu’à une certaine transparence. Même lorsque ses amis l’étiquettent à tort, et avec une consternante légèreté comme homosexuel, il ne se met pas en colère.  Mais ces facettes sombres sont l’envers d’une étonnante qualité d’empathie et d’écoute, d’une propension à la paix et à l’harmonie étonnante. Or cet homme qui par souci d’éviter un conflit a caché un lourd secret à ses amis durant des années, va du coup être à l’origine de l’explosion finale, faute d’avoir à temps affronté le problème. On en dira pas plus, mais il paraît probable que cet homme aimanté par une femme de façon tout à fait singulière, soit en sous-type tête-à-tête.

3327124-3Elisabeth, sœur de Vincent et femme de Pierre, est un personnage dont il n’est pas si facile de chercher la base car son rôle de mère de famille débordée et peu reconnue pour ce qu’elle fait vient parasiter l’analyse. On pourrait la voir en 2 à certains aspects, mais elle n’en n’a ni le côté  structurellement envahissant, ni la part conjoncturellement agressive. Il se pourrait qu’elle soit de base 4 dans une version assez sobre, comme le sont une bonne partie des personnes de base 4, contrairement à ce que disent les livres. Valérie Benguigui incarne une femme de cœur, dont le ressort profond est émotionnel (comme on le voit pour son travail de professeur de français), qui se sent profondément incomprise et qui peut parfois manquer de logique. C’est surtout dans la seconde partie du film, et notamment à la fin, que se dévoile une femme qui souffre de manque de lien avec un mari en retrait et un frère autocentré, et surtout qui vit très mal le manque d’authenticité de celui qui avait le statut de son meilleur ami, confident de cœur. Se révèle alors le rejet du 4 de tout ce qui est superficiel, notamment des rapports avec sa belle-sœur, mais aussi une présence émotionnelle qui désarçonne les protagonistes. Lorsqu’elle s’adresse à chacun apparaît aussi un sous-type tête-à-tête  pour lequel la rivalité (avec son frère ou sa belle-sœur) est très présente, avec à sa manière une indéniable séduction.

3327124-8Finissons avec Anna, femme de Vincent qui arrive un peu tard dans la soirée et dont le rôle est moins important, incarné par Judith El Zein. Celle que son mari appelle « la bombe » pourrait bien être de base 6, avec une violence verbale très ajustée, mais très destructrice au fur et à mesure que l’action se tend. Loyale avec la famille de son mari dans le choix du prénom de l’enfant, elle se sent trahie dans sa fidélité lors du quiproquo et se défend en attaquant. Le personnage gagne de l’épaisseur quand est dévoilé le lien qui la lie à Claude et à Françoise, la mère de Vincent et Elisabeth. Une problématique complexe apparaît autour de la confiance et de la trahison, avec un mélange d’humour et d’agressivité, de volonté d’apaisement et de saillies imprévisibles. Un sous-type tête-à-tête en 6 dit force et beauté est assez plausible.

Reste Françoise, que l’on ne fait qu’entendre ou plutôt deviner au téléphone et voir dans un flash-back éloquent. Intrusive, ultra-présente, on pourrait évoquer du 8 ou du 2, mais les éléments d’analyse sont trop minces pour se risquer aux hypothèses. En revanche un sous-type tête-à-tête n’est pas improbable pour cette étonnante séductrice !

Au cinéma comme dans la vie, le rire peut être un joli mécanisme de défense mais aussi un moyen de mise à distance qui permet l’approfondissement : ainsi la comédie peut révéler le fond de l’être parfois mieux qu’une tragédie. Voir ou revoir ce film à la lumière des caractères de l’ennéagramme donne de nouvelles raisons de rire mais surtout nous fait aimer davantage les personnages parce que l’on s’approche un peu plus ainsi de leurs ressorts profonds.

3 réflexions sur « Du rire et des larmes »

  1. Braun

    Génial! Comme s’habitude vous êtes trop forts!! C’est excellent…de la part de JB si la prune est vraiment 9 il tient à refaire Énéagramme depuis le début!!!!

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