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Malick et la base 4 en survie

4ddce54a63c72-terrencemalicknegotiatingtostartshootinginm260x307jpegTERRENCE MALICK
Un archétype de base 4 en survie*
par François

Je ne connais pas personnellement Terrence Malick, mais son cinéma oui ! Depuis longtemps, pour moi, une hypothèse 4 en survie se dégage de ses films. La très belle analyse en images de Frédéric Bas pour Blow-up sur l’histoire du cinéaste (https://www.youtube.com/watch?v=wjLKG8tNtOw), me renforce dans cette hypothèse.

De tous les cinéastes majeurs de notre temps, Malick est peut-être le moins cérébral, le moins rationnel, celui qui défit toutes les logiques, mais aussi un de ceux qui procurent les émotions les plus fortes. Sans doute est-ce un de ceux dont l’œuvre est la plus symbolique, où chaque plan est gorgé de sens, où le montage, par ses ellipses ou ses fulgurants rapprochements, dit ce que la parole ne saurait exprimer et ce que le plan lui-même ne saurait épuiser. Les personnes de base 4 aiment le symbole, sans doute parce qu’il leur permet d’exprimer une profondeur d’émotion que le langage rationnel ne saurait atteindre sans la dégrader.

Autre caractéristique du cinéma de Malick : la beauté formelle. Celui qui ne réalisa que trois films en 25 ans, cinq en 38 ans avant d’accélérer le rythme en 2011, attache plus que tout autre une importance essentielle à la beauté de chaque plan, à celle de la photo, sans parler du rythme du montage et de la musique. Tordons le cou définitivement à une idée reçue : tous les artistes ne sont pas 4 ! Il y a tant de 5 ou de 6 notamment qui sont de formidables écrivains, musiciens ou cinéastes ! Mais, en 4, le sens du beau et de son harmonie ont une place vitale parce qu’il s’agit de sublimer une réalité qui serait autrement invivable. Là où le 5 ira l’expliquer – y compris par l’art, et le 6 la provoquer. Ce sens de la beauté n’a évidemment rien à voir avec la joliesse ou toute sorte de mièvrerie esthétique (même si, pour des raisons éducatives et culturelles, un 4 peut aussi y succomber). Au contraire, il s’agit le plus souvent d’un rapport radical à la beauté du monde, par exemple, ainsi que le montre l’auteur de cette belle analyse, dans l’emploi d’un raccord radical qui fait naître d’un choc extrême, une beauté insoupçonnée, comme dans Tree of life (il y a ici quelque chose qui se passe entre le 4 et le 5, et qu’on retrouve chez Kubrick, vraisemblable représentant de la base 5).

On retrouve chez Malick un rapport très particulier à l’histoire. Non pas d’interrogation entre admiration et soupçon, fidélité et rupture comme en 6, mais dans ce que l’auteur de cette analyse appelle un « rapport mélodique à l’histoire » où « le passé est une matière sensible ». Il y a chez Malick une problématique du temps retrouvé (comme chez Proust), une notion du paradis perdu, une quête d’un retour aux origines qui est consubstantiel à la base 4. Il s’agit de retrouver un idéal impossible à atteindre, dont la quête est le seul moteur qui permet d’avancer, mais dont la certitude de ne jamais l’atteindre crée un manque, une envie. C’est le soldat qui regarde les autochtones dans leur vie simple et joyeuse avec envie au début de La Ligne rouge. Chez Malick, le paradis est la condition première de l’homme, mais il en est expulsé : d’où ce manque existentiel qui n’est ni la peur du 6, ni le vide du 5, mais un manque à la fois destructeur et constructeur, essentiel à la création artistique et pourtant douloureux et tragique. Face à ce manque, il n’y a plus comme possibilité que la catastrophe : la violence, la révolte des éléments, la guerre, le crime, et quand la catastrophe a eu lieu, il reste la mélancolie, basse continue et fixation du centre mental des personnes de base 4.

Les films de Malick nous donnent aussi à voir une problématique en survie. La nature est omniprésente chez lui. Le fleuve est un lieu source dont tout découle ; la forêt est pleine de mystères, menace ou refuge ; l’arbre, qu’il soit planté par le père en symbole de vie, ou qu’il se projette vers le ciel en contre-plongée, est le symbole de la respiration du monde entre le créateur et sa créature. Il semblerait bien que nous soyons ici en sous-type survie, au cœur d’une problématique 4. Les GI’s dans La Ligne rouge font une vraie rencontre avec la jungle. Partout, chez Malick, l’amour prend ses racines dans la nature bienveillante où les corps peuvent être libres dans la nature jusqu’à ce que la civilisation y mette fin.

Le sous-type survie donne au 4 un ancrage et un sens du concret que l’on ne retrouve pas dans les deux autres sous-types. Le mot que l’ennéagramme lui rattache est celui d’intrépidité. Il suffit de connaître un peu l’histoire de Malick pour y rattacher cette manière de filmer des heures de pellicules sans savoir ce qui restera dans le film, de tout réinventer au montage, de recruter des stars qui auront la mauvaise surprise de se retrouver trois petites minutes dans le film abouti… Le sous-type survie donne aussi au 4 émotionnel une qualité corporelle, une incarnation assez rare. Parfois, les images de Malick, sans paroles, donnent à voir le pur langage du corps, mais immédiatement, par le plan, la photo, la musique, le montage, sublimé en émotions.

Qui est l’homme Terrence Malick si discret et caché qu’une aile 5 en cas d’hypothèse 4 serait assez probable ? On ne saurait évidemment le conjecturer. Mais son cinéma mérite d’être archétypal de ce que les 4 en survie apportent au monde, dans un registre émotionnel d’une profondeur qui leur est propre, conjugué à un ancrage très survie dans la nature et dans les corps: une alchimie douce-amère, explosive et unique, qui fait tout son génie et tout son charme…

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son oeuvre. 

Jacques Brel et la base 4

imgresJACQUES BREL
Un archétype* de base 4

Dans le regard fiévreux, on lit une passion extrême, un feu ardent mais aussi des voiles de mélancolie ou de détresse, qui prennent toute la place. Et cela, déjà, en dit long sur les tumultes intérieurs dont la parole ne peut livrer qu’une part.

C’est peut-être le secret de la douleur de la personne en base 4 : ne pouvoir exprimer ce qui se passe à l’intérieur, ou alors de façon approximative, dégradée, insuffisante: « je constate que je suis horriblement insuffisant par rapport à ce que j’ai envie de raconter » déclare Brel dans cette extraordinaire conversation de 1966, Comment parler aux gens:

 

D’où cette forme d’insatisfaction qui est un point commun des trois types idéalistes, 1, 4, 7. En 4, je focalise toujours sur ce qui manque: sur le décalage entre ce que je porte, ce à quoi j’aspire et ce que je vis, ce que je peux donner et ce que je veux faire. Mais aussi sur ce que l’autre possède et que je n’ai pas, sur ce qu’il est, que je ne suis pas et que j’idéalise largement.

Et pourtant, il faut dire ce que l’on porte en son cœur, de façon vraie et authentique, et ne pas être lâche et veule. Il faut dire quelque chose de singulier, être comme les autres ont résolu de ne pas être, totalement vivant dans des émotions à la fois plurielles, intenses, profondes et changeantes, jusqu’à la cyclothymie.

Choisir telle voie, tel langage, telle attitude, tel engagement sera souvent chez la personne de base 4 « purement sentimental, un choix arbitraire ». Au cœur de ce centre cœur, il y a la quête d’amour, le don de l’amour aussi. Un amour radical qui peut être perçu comme dur et exigeant pour les autres, à rebours de toute guimauve : « de la tendresse sans sanglots » dit Brel. Des sentiments qui n’ont pas peur de la douleur, de la mélancolie, de la tristesse, qui parfois les recherchent. Une manière de « tenir debout » par des émotions dont il se nourrit, jusqu’à introjeter celles des autres, à deviner « un cri que les gens ne poussent même pas », avec cette conscience d’être à part, singulier, unique. La fameuse contradiction du 4 entre mésestime de soi et conscience de sa différence qui peut parfois s’exprimer comme une arrogance.

Passions dévorantes, logique du cœur et non de la raison, amour du symbole et des images qui permettent d’approcher une réalité indicible, feu qui brûle, eau qui murmure ou qui submerge: en 4 l’urgence vitale est la connexion, le lien, sans lesquels il n’a plus de valeur à ses propres yeux, il n’a plus de raison d’être. Le célèbre Ne me quitte pas de Jacques Brel en est la plus poignante expression.

 

* L’archétype est un représentant connu et supposé d’un type de l’ennéagramme, l’hypothèse reposant sur des éléments caractéristiques de sa vie ou de son oeuvre. 

Une Palme d’or au cœur du sujet

imgresWINTER SLEEP
un film de Nuri Bilge Ceylan
Palme d’or 2014

Cette année la palme d’or de Cannes a été décernée à un chef d’œuvre du septième art, Winter Sleep du cinéaste turc Nuri Bilge Ceylan, dont certains ont déjà vu et aimé Uzak ou Les Climats. On ne dissertera pas ici des qualités esthétiques de ce film – photo, direction d’acteurs, science du champ/contrechamp – mais on s’attachera à l’analyse ennéagrammique des trois personnages principaux dont la subtilité est remarquable.

1Inspirée de nouvelles de Tchekov, Winter Sleep met en scène dans une intrigue aussi mince que tendue, un personnage principal, Aydin. Acteur de théâtre en retraite, il gère un petit hôtel troglodyte en Cappadoce, écrit quelques papiers pour le journal local et repousse au lendemain l’écriture d’une histoire du théâtre turc… A ses côtés sa jeune épouse Nihal, avec laquelle il ne partage plus grand-chose et qui se dépense sans compter dans les actions caritatives ; et sa sœur Necla, récemment divorcée, qui vit avec eux. Un jet de pierre sur une vitre de voiture, une lettre reçue par Aydin vont déclencher un séisme qui va faire tomber les masques.

2Aydin nous apparaît comme un prototype du type 7 avec ses côtés attachants et détestables. Charmeur, débonnaire, sympathique, Aydin se révèle aussi d’un égoïsme forcené, d’une lâcheté pitoyable, et s’avère être un parfait velléitaire, incapable de mener à bien ses projets, tout en étant très arrogant et sûr de son intelligence. On voit bien ici que le 7 appartient à la triade mentale, même si son incapacité à persévérer dans l’effort l’empêche de produire ce qu’il pourrait. On voit aussi combien le 7 est marqué par la peur comme tous les mentaux, et en particulier la peur de souffrir qui est la marque du 7, et dont une des premières scènes est la parfaite illustration : au moment d’un conflit entre son homme à tout faire et un de ses locataires avec lequel il est en procès, Aydin reste à distance, ne s’implique pas, laisse faire, littéralement pétrifié par la scène. Ce 7-là aurait une forte aile 6 qui fait de lui un 7 moins en prise sur le réel que le 7 à aile 8, et plus en proie en doute, mais aussi à la nuance. Une flèche 5 semble également manifeste chez Aydin qui lui fait trouver du plaisir à se réfugier dans son bureau devant son ordinateur, mais sans arriver à aboutir. Sa flèche 5 viendrait ainsi au service de son 7 soucieux de son plaisir. Là où le personnage est magistral c’est qu’il montre dans ce 7 un mélange inouï d’égoïsme individualiste et de dépendance des autres dans la recherche de son plaisir qui peut paradoxalement susciter en lui des attitudes que l’on pourrait prendre pour de l’abnégation.

imagesNihal, interprétée par la belle Melisa Sözen, pourrait bien être le prototype d’une 4 introvertie, avec une belle aile 5. Toujours en avance sur son mari et sa belle-sœur dans la compréhension des émotions (il suffit de voir la scène terrible dans laquelle le petit garçon qui a brisé la vitre de la voiture présente ses excuses), elle est capable, acculée par l’arrogance d’Aydin, de l’exécuter en quelques mots, avec une profondeur de jugement magistrale. Mais son aile 5 tempère son 4 qui, on le comprend au fur et à mesure du film, bouillonne à l’intérieur et s’extériorise de manière déroutée grâce à une forte flèche 2 qui la pousse à vouloir sauver la planète, en tous cas la Cappadoce. On voit clairement combien son engagement humanitaire est avant tout une manière pour elle d’exister à travers les émotions fortes que son mariage ne lui donne plus. Mais cet altruisme est un leurre. Nihal est centrée sur elle-même et Aydin n’a pas tout à fait tort de lui reprocher une forme d’ingratitude. Nous entrons ici au cœur des difficultés et de la souffrance d’un couple 4/7 qui peut parfois tourner à la lutte de deux narcissismes.

UNNAMED_crop_cropQuant à Necla, elle nous apparaît comme un archétype de base 6. Prise entre sa loyauté vis-à-vis de sa famille et la suspicion envers elle, Necla joue une partition bien connue des 6, passant d’une sorte de soumission (elle n’est ici que la pièce rapportée) à une agressivité sans pareille. La manière dont elle crache son venin à sa belle-sœur et à son frère, avec un art de la parole stupéfiant, illustre cette capacité du 6 à exceller dans une forme de violence verbale dont il est maître. Elle flaire l’imposture chez Aydin comme personne : un vrai chien de chasse qui va faire sortir du bois celui qui veut faire illusion ! Elle attaque sa belle-sœur aux endroits qui font mal, avec un grand sourire. Et en même temps, elle est prête à se soumettre à son ex-mari qui l’a bafouée et à s’humilier pour le retrouver. Ce mélange de soumission et de violence est typique de la base 6. Le personnage de Necla en traduit bien toute l’ambivalence.

La richesse des caractères de Winter Sleep, sa plongée dans les eaux profondes de l’homme intérieur, une fin qui ouvre à tous les possibles sont des signes de la qualité de ce film surprenant vers lequel il faut courir tant qu’il demeure sur les écrans. Ce qu’il dit de l’humanité souffrante l’est avec un génie qui évoque irrésistiblement le grand Bergman, qui sait si bien souligner les ombres. La justesse des personnages, leur traitement sans concession peut dérouter, gêner, questionner; il est en tous cas, par quelque bout qu’on le prenne, une occasion de remise en question de soi, qui engage à chercher la lumière.

Métaphore de la base 4

imagesUNE TAPISSERIE A L’ENVERS

par Aude, de base 4

Ma soif d’idéal, de beau et d’absolu a toujours été telle que mon enfance s’est passée à trouver qu’il ne s’y passait rien et qu’elle était la plus terne du monde.

A vingt ans, ce fut donc décidé : la tapisserie de ma vie serait la plus belle qui soit. Je m’y échinerai vaille que vaille. Comme si j’en étais le seul artisan.

safe_imagePendant vingt ans, j’ai travaillé dur, ne mangeant pas le pain de l’oisiveté, petite fourmi qui déplace plusieurs fois son poids pour ceux qu’elle aime. Pour que les choses soient belles, le mieux était de passer en 1. Mes nuits se perdaient dans l’entrelac des arabesques, le mariage des couleurs et les mouvements des animaux graciles. Souvent, je me reculais pour étudier la perspective, réfléchir aux tenants et aux aboutissants, conduisant l’ouvrage de mon mieux et n’hésitant pas à remettre plusieurs fois le métier sur l’ouvrage: épouse parfaite, mère parfaite… Il y avait des hauts, il y avait des bas, j’étais fatiguée. Mais on ne s’écoute pas lorsqu’on crée sa vie.

Pourtant, plus mon labeur avançait, plus l’objet de ma quête semblait s’éloigner, plus l’insatisfaction me gagnait, plus il y manquait quelque chose. ll y manquait même les beautés qui s’y trouvaient au départ… Certaines formes étaient disgracieuses, la plupart des couleurs étaient fades, les angles cassants, les contours ternes. Là où je n’aurais voulu qu’harmonie, paix et douceur, s’insinuaient dissonances, tristesse et colère. Et l’ensemble était plein de nœuds… Il y avait des hauts, il y avait des bas. J’avais dû me tromper quelque part, ce devait être de ma faute…

Un jour, plus grand que moi m’a visitée. Gratuitement. Sans bruit de parole, il a uni la lumière de sa divinité aux couleurs de mon humanité. Un désir infini s’est emparé de moi, un désir déjà comblé. « Tu es ma petite, ma toute belle, mon unique » m’a-t-il chuchoté à l’oreille. Et je me suis perdue dans son silence, dans ce cœur à cœur où mon âme se dilatait enfin sans que je n’ai rien à faire, qu’à recevoir, pleurer et contempler. Plus rien n’avait d’importance et j’étais prête à mettre le feu à ma tapisserie pour un si grand amour.

C’est pour cet amour alors que je me suis remise à mes fils, avec ardeur, sûre que mon ouvrage serait enfin beau, que mon travail allait porter… Et il m’a laissée faire, et il m’a laissée dire, répondant à mes soupirs, entretenant ma flamme jour après jour, me relevant à chaque chute. Quand je fus prête, doucement, paisiblement, il me fit comprendre que la plus belle des œuvres d’art se fait dans l’obscurité, dans le calme et la tranquillité ; qu’elle se travaille point par point et sur l’envers et que pourvu que l’ouvrier soit humble, confiant et souple comme un enfant, qu’il consente à ne rien voir ; il peut être sûr que chaque point conspire à la beauté du monde entier.

Alors j’ai vu ma pauvreté et je l’ai aimée.

Depuis, je sais que le lieu de la rencontre avec le bien-aimé, c’est ce point de l’instant, le seul qui rejoigne l’éternité et je ne me lasse pas de l’épouser. L’équanimité, cette mystérieuse vertu du 4, je la trouve dans le baiser à ce qui est donné ici et maintenant. Ma joie, c’est de me savoir petite et de me remettre sans mesure en celui qui sait répandre par les temps et par les lieux la beauté d’un amour indicible ; c’est de le laisser faire. Il y a toujours des hauts, il y a toujours des bas et plutôt que de lutter contre des vagues déferlantes qui seront toujours plus fortes que moi, je me réfugie aujourd’hui dans le silence et la paix de ce cœur en lequel je m’abandonne.

Le papillon : métaphore de la base 4

SAMSUNGLE PAPILLON

par Bénédicte, de base 4

Je suis un papillon qui s’éveille le matin et meurt le soir. Je vis chaque jour avec cette intensité dans ce que je fais et cet éternel recommencement : j’ai besoin de changement !

Je vais de fleur en fleur et papillonne car je suis sensible au beau. Cela peut dérouter pas mal les esprits terriens, cartésiens ou matérialistes, mais apporter aussi un point de vue nouveau sur les choses…

PapJe me distingue même des autres papillons, c’est dire si j’ai besoin qu’on  reconnaisse mon originalité !

Je me sens bien dans les airs car alors je vois les choses d’en haut, débarrassées de leurs encombrements ; mais je ne peux y rester longtemps. En effet, je suis fragile et si l’on m’effleure, mes ailes perdent la substance qui les entraîne : Je  reste alors comme englué sur le sol et je ne me sens plus bien du tout !

Cette sensibilité et cette fragilité sont ma force et ma faiblesse : ce qui me plait c’est que cela me donne un regard aiguisé car toujours neuf, entraîné à débusquer la beauté partout où elle se cache ; et l’attrait que je suscite peut me permettre de sensibiliser les autres à ce beau qui m’ennivre !

 

Downton Abbey à la lumière de l’ennéagramme

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Il y aurait bien à dire sur cette série déjà culte, et notamment sur la finesse de sa qualité de reconstruction historique et sociale, sa réussite esthétique : décors, costumes, scénario, dialogues, réalisation, mais surtout photo et qualité du jeu des acteurs. Nous choisissons ici d’aborder Downton Abbey par le versant de l’ennéagramme. Une telle palette de caractères suivis dans la durée et au gré de circonstances diverses est pain béni pour qui s’intéresse aux ressorts de la personne, sans interprétation ni jugement

Pain béni parce que la délicatesse de l’ennéagramme vient du fait que, selon la déontologie de la tradition orale, seule la personne peut attester de sa base car elle seule connait ses motivations propres. Prétendre les connaitre mieux qu’elle-même peut être non seulement blessant mais surtout servir de prétexte de toute puissance à notre ego. Or, aucun risque de ce genre n’est pris avec un personnage de fiction : toute liberté nous est donnée de le prendre comme objet d’étude afin d’affiner notre connaissance des caractères humains. Bien plus, il peut nous permettre de nous remettre nous-mêmes en question en nous interrogeant sur la raison qui nous fait réagir à tel ou tel personnage : si Lady Mary ou Isobel me sont tellement antipathiques, que cela veut-il dire de moi ? Qu’est-ce qui fait que je comprends si bien Lord Grantham ou Branson ? Pourquoi suis-je tellement touché(e) par Lady Sybil ou Lady Violet ?

En guise de préambule, nous voudrions prendre quelques précautions :
Toutes nos hypothèses sont… des hypothèses : elles sont le fruit de notre expérience mais aussi de ce que nous sommes. Personne n’est à l’abri d’un prisme trop étroit ! Et nous évoquerons seulement les types des personnages qui nous seront apparus avec une relative clarté.
– Nous tacherons de nous appuyer principalement sur les deux premières saisons afin d’éviter de révéler à ceux qui n’ont pas encore vu les saisons 3 et 4 la mauvaise expérience des spoilers.
– Toute la série est colorée de l’esprit de la société anglaise des années 1910-1920. On y retrouve le côté distant, réprimant ses émotions de la culture anglaise qui a souvent fait typer l’Angleterre comme une société de base 5. C’est donc une sorte de sur-couche 5 qui vient colorer chaque caractère et sans doute tempérer les plus extravertis. Par ailleurs, l’enjeu de la série étant la pérennité du titre et du domaine de Dowton, cette responsabilité rejaillit avec une teinte de base 6 sur les personnages principaux, que ce soit au sein de la famille Crawley ou même chez les domestiques.

19Lord Grantham, Robert Crawley, semble un assez bel exemple de type 9. Il n’aime pas être bousculé, apprécie plus que tout son confort et l’atmosphère – normalement – paisible du château. Sa présence à elle seule apaise et rassure. Plus que tout, il recherche l’harmonie et la paix. Il déteste les conflits et a du mal à s’opposer. Alors que la solution du mariage de Lady Mary avec Matthew apparaît comme la plus évidente, il ne fera rien pour influencer le choix de sa fille. C’est un rassembleur, un homme de consensus comme le montre son accueil paisible du nouvel héritier du nom. Mais l’on pointe en même temps le défaut du 9, dans une tendance à procrastiner au lieu d’agir : alors que son entourage le pousse à étudier une possibilité légale pour contester l’héritage de Matthew, il ne bouge pas. Sa force d’inertie est patente, mais s’il est bousculé (par exemple par l’attitude de sa benjamine Lady Sybil), ses colères peuvent être redoutables, quoique légèrement décalées. Une aile 8 et un sous-type en survie ne seraient pas impossibles.

8Son épouse Lady Cora pourrait être un bel exemple de type 4, dans un monde où l’expression de l’émotionnel est bridé. Bien que jouant admirablement son rôle de comtesse (en activant une flèche 1 tellement utile aux 4 en responsabilité), elle garde sa spécificité et son indépendance d’esprit. Elle n’oublie pas qu’elle est américaine et cultive cette différence avec tact. Même si elle joue le jeu de la haute société et de ses traditions corsetées, si elle met tout en place pour ne pas laisser paraître ses up and down (notamment au moment de la perte de son bébé), son regard ne trompe pas : tour à tour ému, tendre, bienveillant, il peut se faire cinglant et indigné. Beaucoup de choses passent chez elle par le non verbal car il ne s’agit pas ici de mentaliser comme en 5/6/7, la communication se fait par le cœur.

3Autre planète, celle des personnes de base 6, avec un personnage légendaire, la comtesse douairière, Violet Grantham, magistralement interprétée par Maggie Smith. Humour à couper au couteau, réparties assassines, elle défend le clan Crawley avec une fidélité sans faille et un sens du devoir inoxydable. Les rapports de Lady Violet et Lady Cora pourraient bien être emblématiques des relations 4-6 : là où l’une parle d’amitié et dialogue du regard, l’autre répond stratégie et envoie des piques en guise de manifestation d’affection.

16Dans les filles Crawley, laquelle préférez-vous ? Lady Mary est un des personnages les plus complexes de la série. Du feu sous la glace. Il se pourrait bien qu’elle constitue un bel archétype de base 3. Elle se dit « sans cœur », elle agit en pragmatique, mais on la sent à plusieurs reprises touchée au cœur. Ses aventures tournent autour de la problématique du mensonge et de la vérité, et d’abord vis-à-vis d’elle-même. On est en plein dans la tension intérieure de la base 3 qui, au cœur de la triade émotionnelle, évite ses émotions pour ne pas nuire à ses objectifs. Le mot challenge allume des étincelles dans ses yeux et son apparence est importante, plus précisément l’image que l’on peut avoir d’elle. Elle s’adapte à ce qu’elle croit que l’on attend d’elle avec parfois une innocence déconcertante. D’où le séisme que constitue son aventure avec M. Pamuk. Elle pourrait avoir une forte flèche 6 qui peut la conduire, pour le meilleur à refuser un certain conformisme 3, ou pour le moins bon à être bien indécise dans ses affaires de cœur.

6Lady Sybil, la benjamine, pourrait être une belle représentante de la base 7. Elle étouffe dans le cadre contraignant de Downton et elle a besoin de s’en évader. Tout est bon pour cela : apprendre à cuisiner, chercher du nouveau dans l’excitation des mouvements politiques, devenir infirmière pendant la guerre, faire sauter les cadres avec Branson… Elle met ainsi en lueur cette curieuse mais récurrente confusion possible entre les personnes de base 7 et 2 : même dynamisme, même souci de faire plaisir, même goût de l’occupation (pour ne pas s’ennuyer en 7, pour aider en 2) ; avec cette spécificité en 7  de vaquer dans le monde de la souffrance des hôpitaux sans en paraître affecté. Un besoin de liberté conjugué à une légèreté qui pourrait parfois être superficielle. Sa fugue avec Branson est emblématique : elle accepte de revenir pour quelques jours chez elle afin de ne pas trop peiner ses parents et par conséquent de ne pas trop souffrir… tout en garantissant sa porte de sortie !

29 (2)Branson… idéaliste, homme du tout ou rien, il ne vit que par sa passion pour ses idées puis par sa passion pour Sybil : leurs points communs ? La fuite de la routine et du figé, la recherche du nouveau, le combat pour des causes belles mais un peu utopistes. La suite de la série ouvrira sur la possibilité d’un sous-type social du type 4 : tiraillé entre son désir de singularité et son aspiration à être reconnu à Dowton, il est en permanence habité par la honte de n’être pas de ce monde-là tout en désirant en être et en travaillant à sa pérennité.

5Venons-en à notre héros, Matthew, vraisemblablement de type 5 – comme le pays à l’origine de la série, tiens, tiens… Son arrivée à Downton est assez symptomatique. Il manifeste son souci d’indépendance de manière nette : besoins matériels minimalistes, jalousie de son intimité, il a du mal à dépendre des soins d’un valet et n’y consentira que par délicatesse pour Lord Grantham. Sa visite de l’église avec Lady Edith est délicieuse : alors que la jeune fille cherche à établir du lien, Matthew est là pour échanger informations et connaissances culturelles… Discret et sensible, un sous-type en tête-à-tête pourrait expliquer son cœur passionné mais ne va pas jusqu’à lui permettre de déclarer sa flamme. Pas étonnant que les relations amoureuses entre Lady Mary et lui mettent du temps à se mettre en place avec deux bases, 3 et 5, qui ont pour souci premier de se protéger des manifestations émotionnelles…

20Le monde des domestiques est dirigé par deux magnifiques personnes de type 1 : Carson et Madame Hughes ! Rien n’est laissé au hasard par l’un ni par l’autre : véritables chefs d’orchestre d’un monde qu’ils voudraient toujours plus parfait, ils assurent le bien être et la bonne place de chacun jusque dans les moindres détails. Le travail est la valeur suprême et la colère intérieure est là, dans le regard ou dans l’expression quand les personnes ou les choses ne sont pas à leur place, mais elle ne sort que de manière maîtrisée. Le sens du devoir les pousse à sans cesse se sacrifier, jusqu’à pour Madame Hughes renoncer au mariage et pour Carson jusqu’à s’éreinter à la tache et n’écouter la fatigue de son corps que quand celui-ci le lâche. Au fur et à mesure des saisons, nous les voyons évoluer grâce aux ressources additionnelles de leurs flèches 4 et 7, vers moins de rigidité et plus de légèreté. On se prend à espérer que lors des saisons suivantes, ils puissent faire preuve de la même tendresse vis-à-vis d’eux-mêmes que celle qu’ils manifestent l’une à Ethel, l’autre à Lady Mary…

7Bates est un personnage énigmatique. D’une loyauté infaillible (jusqu’à laisser croire au comte qu’il le trahit pour ne pas le mettre en difficulté), son regard est d’une grande douceur et il ne tarde pas à attirer la compassion et l’amitié de – presque -tous. Pourtant, tout un pan de sa vie échappe et le peu qui affleure laisse envisager une violence latente. C’est comme s’il gardait jalousement un jardin secret, comme s’il craignait une lumière dont il ne pourrait pas maîtriser les effets. « Je suis un inquiet et les inquiets s’inquiètent » laisse-t-il échapper. Nous pourrions être face à l’ambivalence bien caractéristique de la base 6. La suite nous en dira sans doute davantage…

30Anna sa bien-aimée, attentionnée et compréhensive, pourrait être de type 2. Mais c’est Isobel, la mère de Matthew, qui remporte la palme dans ce domaine, avec vraisemblablement une aile 3. Incapable de retenir sa pulsion d’aider les autres jusqu’à prévenir leurs besoins avant qu’ils n’en aient eux-mêmes conscience, son incroyable énergie fait sa force et sa faiblesse. Sa force, car elle sait d’instinct ce qui peut sauver tel malade, transforme Dowton en hôpital de campagne pendant la guerre, sait repérer les talents et les mettre en valeur. Sa faiblesse, car elle a du mal à se donner des limites, finit par étouffer son entourage et succombe à la tentation de se vouloir indispensable. « Vous comprendrez que j’ai besoin d’un minimum de reconnaissance pour rester », dit-elle à Lady Cora. Il ne sera pas difficile à cette dernière de trouver le moyen de lui faire développer ses talents loin de Dowton Abbey…

4Thomas et O’Brien sont les âmes damnées de Downton. Thomas semble illustrer un type 3 sans scrupule : manipulateur et fourbe, il met tout en oeuvre pour la réussite de sa promotion. O’Brien, beaucoup plus mentale, pourrait être de type 6, à aile 5. Calculatrice froide, elle anticipe avec virtuosité, mais elle est parfois victime de ses projections abusives. Le scénario catastrophe qu’elle construit à l’encontre de Lady Cora et qui lui fait croire que celle-ci veut se débarrasser d’elle, est typique.  A la différence de Thomas, le remord a de la prise sur elle et elle mettra d’autant plus d’énergie à être loyale à Lady Cora qu’elle aura été coupable du pire vis-à-vis d’elle.

imagesEt pour finir, comment ne pas voir en base 8 l’inénarrable cuisinière Mrs Patmore ? Colérique, d’une énergie incroyable, elle œuvre à masquer ses faiblesses et protège, à sa manière, sa petite équipe. Dans un autre univers, sir Richard, puissant patron de presse et fiancé de Lady Mary, serait un 8 dominant, ne respectant aucune règle, à la finesse discutable et qui envisage toutes les relations à l’aune des rapports de force.

6Que nous dit aujourd’hui cette grande fresque des personnalités en matière de connaissance de soi et de compréhension des autres ? La première évidence, c’est que toutes les bases sont belles : il n’y en a pas de bonne ou de mauvaise. Chacune a sa part d’ombre et de lumière, contribue à la beauté du monde et lui apporte sa vision et ses compétences. Quelle qu’elle soit, nous restons libres d’en user pour le meilleur ou pour le pire.

9De la même manière, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise alliance des bases : le secret d’une alliance réussie passe par la reconnaissance de ses propres talents et failles et l’accueil de l’autre tel qu’il est. Comment ne pas penser que plusieurs des situations de blocage de la série auraient pu être évitées si les protagonistes avaient eu conscience de ce qui les animait l’un l’autre ? C’eut peut-être été dommage en l’occurrence : on ne fait pas de bonnes séries sans bons imbroglios !

Mais dans la vraie vie, mieux se connaître soi-même permet de développer ses talents propres en se gardant des dommages afférents et mieux comprendre l’autre aide à la miséricorde et pourquoi pas, à la compassion. On aime encore mieux les personnages sympathiques quand on connait leurs ressorts. Et même les plus antipathiques, lorsque leur lutte intérieure est entraperçue, n’ont plus le même visage à nos yeux.