Archives de catégorie : Enquête de confinement

Aime et ce que tu veux fais-le

AIME ET CE QUE TU VEUX, FAIS-LE
Témoignage de confinement/25

par Nathalie, de base 3 en tête-à-tête

Le confinement me fait captive mais tellement libre… Ces deux mois m’ont ouvert les portes des choses simples et pourtant oubliées.

Quand je parviens à tout contrôler, je m’assure que rien ne peut m’arriver ou presque… Quelle illusion! Je n’ai pas attendu le confinement pour en prendre conscience mais il m’a appris à que le bonheur est tout proche pour qui sait recevoir.

Au début du confinement, fidèle à ma base, je me fixe des objectifs, être dans l’efficacité et la performance. La pratique de la méthode Vittoz étant déjà bien amorcée, je me suis dit finalement que j’allais vivre ce temps si particulier à mon rythme. Voilà deux mois que je me suis mise au rythme de la nature ou presque. Au diable l’efficacité et les cadences infernales. C’est curieux car, dans ma vie d’avant, je me rappelle être toujours sollicitée par quelque chose à faire (efficacité quand tu nous tiens…). Ce confinement me libère de la pression du temps et me permet de mettre à profit la vertu d’eutrapélie. Prendre le temps d’écouter le chant si varié des oiseaux, contempler la nature qui s’éveille, admirer les fleurs, sentir leurs parfums, admirer les animaux qui sont à l’orée du jardin (biches et chevreuils), écouter la chouette qui hulule dans le sapin, le coucher du soleil… Et m’improviser jardinier en maniant la bêche, la pioche, la binette, le sécateur et m’apercevoir que je suis en pleine harmonie avec la création, j’active alors ma flèche 9 que je laissais soigneusement de côté et je me rends compte que j’y trouve beaucoup de plaisir et une grande sérénité. Chaque jour je pratique la relaxation et quelques pratiques sportives: un gigantesque bienfait.

Tout est plus intense, écouter un opéra, et vibrer d’émotions, se remplir de toutes ces belles
choses qui vont probablement me changer. Je ne goûtais pas la saveur des choses
parce que le rythme que je m’imposais ne me laissait pas de répit… Durant une partie de ma vie, j’étais dans le faire, cette pause m’invite à en faire moins, à ralentir le rythme, la relation
au temps devient différente et me permet de faire l’expérience jubilatoire de l’oisiveté. Mon esprit n’était pas disponible pour les réceptivités douces, elles m’étaient même parfois inaccessibles. Lorsque je ralentis, mes pensées et mes sens deviennent disponibles pour ces petites choses que je peux recevoir pleinement. Aujourd’hui, je fais ce qui me plait, je ne parle pas d’inaction mais simplement de rester assise là, sans écrire, sans lire, sans parler, sans rien faire juste le plaisir d’être là. J’ai pris conscience qu’être productive, obtenir des résultats rapides, ne pas perdre de temps pour être rentable, réduit considérablement la sensibilité aux plaisirs simples et esthétiques, laquelle requiert une aptitude à savourer, accueillir ce qui est.

Toutes ces bouées de sauvetage (musique, lecture, cinéma (chez soi !) jardin, cuisine,
échanges avec les enfants) feront désormais partie des aménagements que je souhaite
mettre en place après, pour vivre autrement. J’aimerais croire à un monde meilleur,
bienveillant après cette période mais de cela je doute. Ma flèche 6 me paralyse et me fait
entrevoir les inquiétudes pour l’avenir et les inévitables incertitudes… Elles sont néanmoins atténuées par le retour à l’instant présent à chaque égarement de mon cerveau. Cette flèche me montre tous les risques d’un futur peu réjouissant mais je prends le temps d’accueillir les émotions qui m’habitent et d’apprivoiser mes peurs et le côté battant resurgit…

Au sens spirituel, j’ai pris du temps quotidiennement pour la lecture de la Bible et un temps
de prière assidu, un tête-à-tête avec Dieu, des écoutes d’homélie et de conférences. Période
propice à l’interrogation sur le sens de ma vie, ma relation à Dieu. Me taire, écouter le
silence… J’ai su mettre à profit mon aile 2: prendre le temps d’appeler les amis éloignés, les grands-parents, ceux qui souffrent, ceux dont je n’avais pas de nouvelles depuis longtemps, une
voisine malade, faire profiter des bons œufs frais de mes poules dans mon voisinage, couper
des masques pour des maraudes et mitonner chaque jour des plats différents pour ma
famille: un vrai régal pour les papilles, les yeux, le nez…

Ce confinement fut pour moi un cadeau… J’ai peur de l’après et je le redoute. Je suis aussi remplie d’espérance… Mon corps et ma mémoire ont enregistré toutes ces
modifications de rythme, il n’appartient qu’à moi de l’écouter et de me souvenir, et de
bannir la vitesse, la hâte et la trépidation. Ce ralentissement est une intériorisation
bénéfique. Je sais que je peux être happée dans une spirale infernale, mais je sais
dorénavant que j’ai moins besoin de courir après le temps, car ce ralentissement est
ancré et je peux désormais puiser la joie dans la réceptivité.

Connaissance de soi et vie de foi

CONNAISSANCE DE SOI ET VIE DE FOI

A l’occasion de l’enquête Ennéagramme et confinement 
Troisième volet

« Seigneur, que je me connaisse et que je te connaisse ! » Saint Augustin

Troisième série de  huit témoignages pour mieux comprendre les enjeux de l’Ennéagramme.
En guise de rappel pour les anciens, de découverte pour les nouveaux.
Dix-huit femmes – et oui 🙂 et six hommes qui font un arrêt sur image en période de confinement.
Neuf profils qui nous dévoilent un peu de leurs ressorts intérieurs, leurs combats, leurs ressources, leurs talents et leur liberté de les mettre au service.

Dans son Château intérieur, Thérèse d’Avila évoque sept demeures de l’âme, le Roi résidant dans la dernière. Pour s’y rendre, il faut traverser les six autres, dont les deux premières sont ceux de la connaissance de soi. Elles sont peuplées d’animaux étranges et de chausse-trappes dont nous avons aperçu quelques méandres à travers les témoignages de nos stagiaires.

De fait, plusieurs d’entre eux ont évoqué leur vie de foi: Alexandra donne quelque chose à voir d’un mouvement pascal, quand la confiance passe par risquer « l’heure de la main vide », selon l’expression de Christian Bobin dans Le Très-Bas. Eléonor traverse l’épreuve de l’inaction en la transformant en combat par la prière.

Par ailleurs, nos désirs, nos appétences, nos expertises, donnent quelque chose à voir de notre petite mission dans le monde: « Le propre de l’Esprit est d’éduquer le désir, écrit Jacques Philippe dans Appelés à la vie. […] Il y a de fait une coïncidence entre l’appel de Dieu et le désir le plus profond du cœur de l’homme. Dieu nous invite au don de nous-mêmes par amour, mais cela correspond aussi au désir secret qui nous habite. » Dès lors, mieux se connaitre peut aider au discernement spirituel.

S’en dégage qu’il y a des relations intimes entre connaissance de soi et vie de foi. Mais peut-être aussi des risques de confusions entre vie psychologique et vie spirituelle. D’où l’importance de les articuler sans les séparer, de les unir sans les confondre, pour reprendre l’expression de Jacques Maritain.

Pour distinguer les différentes dimensions de la personne et respecter leur lieu propre, dans le cadre de l’Ennéagramme et de la méthode Vittoz qui sont au cœur de ma pratique, j’ai choisi l’image des trois cercles de Simone Pacot.

Sœur Samuelle Mosaïques

Le cercle extérieur pourrait être celui du corps. C’est ce qui m’apparaît en premier: la couleur de la peau, des yeux, de la chevelure, la corpulence, la manière de se vêtir… Ce sont des caractéristiques extérieures, ce qui m’apparaît d’abord quand je rencontre une personne.

Le cercle suivant serait celui de la psyché, qui m’échappe déjà beaucoup plus: le tempérament de la personne, son histoire, sa culture, son éducation, ce qu’elle aime ou qu’elle n’aime pas, ce dont elle a peur, ce qui la met en colère etc. Pour y accéder, une relation plus personnelle est nécessaire.

Le troisième serait celui du cœur profond, de l’unicité de la personne. Nous pourrions le rapprocher de ce que saint Paul appelle l’esprit, Thérèse d’Avila la fine pointe de l’âme, d’autres le for interne. C’est le lieu de sa vie spirituelle, de son rapport à Dieu, un peu comme la septième demeure de Thérèse d’Avila où réside le Roi.

L’objet de l’ennéagramme est le deuxième cercle: il permet de faire la lumière sur nos traits de caractères psychiques, parfois inconscients. Depuis les Pères du désert, dont Evagre le Pontique, sont distingués plusieurs types de personnalité, auxquels correspondent des moteurs propres. « Il y a en chacun une passion principale autour de laquelle s’enlacent toutes les autres. C’est celle-là qu’il faut vous efforcer avant tout de dénicher. » écrit Théophane le Reclus au XVIIIè siècle. L’homme étant mu par la recherche du bonheur, selon Aristote et Saint-Thomas, il s’ensuit qu’en fonction des tempéraments, nous avons une appétence pour le bien spécifique, des excès de passion dont nous pouvons avoir du mal à nous défaire, une vertu et des talents propres à développer.

La méthode Vittoz quant à elle, s’occupe des deux premiers cercles. Comme démarche psychocorporelle, elle propose des moyens de prise de conscience qui permettent l’évolution via le corps, « qui ne ment jamais » selon l’expression d’Alice Miller. La psychogénéalogie peut la compléter heureusement.

Dans le cadre d’une anthropologie chrétienne, une déontologie sérieuse ne permet pas au thérapeute ou au formateur, de pénétrer dans le troisième cercle, lieu inviolable de la liberté de l’homme, de son intimité profonde, de ses choix propres, de sa volonté (seul l’accompagnateur spirituel, habilité et formé pour cela, peut éclairer la conscience).  C’est quand il s’y aventure, que peuvent surgir des risques de confusion de ces trois dimensions et les dérives afférentes.

Pour autant, l’homme ne peut séparer de manière étanche les différentes dimensions de sa personne. Il existe des interactions permanentes entre ces trois cercles: nous constatons qu’une baisse de forme aura une influence sur notre humeur et notre vie de prière. Et à l’inverse, notre vie intérieure peut rayonner sur notre visage. Il est donc nécessaire pour tendre à l’unité que nous fassions ces liens par nous-mêmes, au besoin à l’aide d’un accompagnateur spirituel.

En bref, l’Ennéagramme et la méthode Vittoz peuvent faire la lumière sur ce qui entrave l’exercice de notre liberté par des filtres psychologiques qui, indirectement, peuvent être des obstacles à l’accueil de la grâce.

Comme nous prenons soin de nos corps, qu’il soit malade ou bien portant, il est aussi possible de prendre soin de notre psychisme blessé et/ou grandir en liberté intérieure. Notre cerveau a des ressources souvent inexplorées, via la neuroplasticité, et l’Ennéagramme, la méthode Vittoz font partie de ces démarches (parmi d’autres) qui rendent possible un véritable changement de perspective, quand le « c’est plus fort que moi » entrave notre liberté.

L’Ennéagramme propose de mieux prendre conscience de sa vision spécifique de soi, des autres et du monde, afin d’« élargir l’espace de sa tente »(Isaïe, 54, 2) et mettre au service ses talents. Sans jamais renoncer à ce qui fait que nous sommes uniques dans le cœur de Dieu: nous sommes plus grands que nos caractéristiques, nous aspirons à plus grand que nous, nous sommes faits pour l’infini« Notre cœur est sans repos tant qu’il ne demeure en Toi », selon l’expression de Saint Augustin.

Sœur Samuelle Mosaïques

 

 

« Commencer par soi, mais non finir par soi; se prendre pour point de départ, mais non pour but; se connaître, mais non se préoccuper de soi. » Martin Buber, Le chemin de l’homme

 

 

 

 

Dernier volet à venir: LA MÉTHODE VITTOZ COMME MISE EN MOUVEMENT PAR LE CORPS

L’Ennéagramme est une méthode de connaissance de soi et de compréhension des autres qui se transmet en groupe, par tradition orale. Il ne peut se réduire à une étude mentale qui en figerait les manifestations et  sa fécondité se trouve dans le mouvement, l’expérience, les échanges. C’est par eux que quelque chose de moi peut se révéler, qu’une prise de conscience peut jaillir.
En ce sens, le confinement est une frustration – les échanges humains qui sont au cœur de la méthode ne sont plus possible pour le moment. Mais il peut aussi se révéler une opportunité car la situation particulière peut-être un révélateur: ma réaction première et son développement dans le temps peuvent me surprendre moi-même. En tous cas, ils parlent de moi, de mon intérieur, de mes ressorts, de mes motivations profondes, parfois inconscientes.
C’est pourquoi l’idée d’un panel virtuel a germé et nos stagiaires y ont trouvé l’occasion de témoigner de leurs découvertes, un grand merci à eux! Le panel est la spécificité de la tradition orale et consiste à témoigner concrètement de ce qui se passe au-dedans et qui ne correspond pas toujours à ce que l’on voit au-dehors. Repérer ses points de blocage, ses ressources inutilisées en temps normal, ses voies de progression, ses talents. 
Sans doute ces témoignages peuvent présenter certaines parts d’incompréhensions pour qui n’a pas entrepris la démarche, qui ne saurait se faire sans le groupe hic et nunc. Cependant, la diversité des témoignages peut faire émerger quelque chose de cette démarche et c’est l’objectif de cette enquête.

Comme des oies sauvages

COMME DES OIES SAUVAGES
Témoignage de confinement /24
par Adeline, de base 9 en survie

L’esprit d’équipe des oies sauvages a pris tout son sens dès le début du confinement. Pour traverser d’immenses territoires lors de leur migration, elles se réunissent et forment un vol en forme de V. Cette façon de faire augmente leur efficacité de 71 % par rapport au vol d’une oie solitaire. Quand une oie quitte la formation en V, elle ressent plus fortement la résistance de l’air et la difficulté de voler toute seule. Elle essaye alors de rejoindre rapidement le groupe pour tirer avantage du pouvoir de la volée.

Pourquoi sauvage? Parce que le magma du volcan qui est en moi a atteint ma carapace! J’explose ma colère refoulée face aux incohérences, aux délires, aux supplices que  le gouvernement nous inflige. J’attends de rejoindre avec ma bannière ceux qui suivront le Seul qui nous garanti la vraie vie. Je suis armée, je suis prête, je n’ai pas peur! Mon instinct de survie est à vif.

Mise en perspective: je rends visite quotidiennement à mes parents, Maman a déclaré un Azheimer depuis quelques temps et Papa, le chef de la volée, bien fatigué, continue bravement, s’obligeant à tenir malgré les souffrances physiques et psychologiques imposées par les mesures gouvernementales en cette période d’épidémie. Je jongle entre chez moi et chez eux. Je veux que tout le monde soit bien! Chez les oies sauvages, lorsque le chef de la volée se sent fatigué, il quitte sa place pour se mettre à la fin de la formation en V, et une autre oie prend le commandement: Je vous présente mon aile 8!

Ma sœur cadette handicapée, sort le premier jour du confinement de l’hôpital, où elle était depuis quinze jours. Le foyer me demande de la prendre avec moi par précaution. Chez les oies sauvages, lorsqu’une oie est blessée, malade ou trop fatiguée, et qu’elle doit quitter la formation, d’autres oies quittent aussi le groupe pour l’accompagner dans son vol. Elles la protègent, l’aident à voler et restent avec elle jusqu’à ce que l’oie malade meure ou soit capable de rejoindre le groupe. Elles retournent alors à leur groupe ou créent une nouvelle formation en V. Après une heure de panique totale, j’accepte et évidemment je l’accueille avec moi, petite oie fragile et blessée. Mais qu’il est difficile de m’éloigner du groupe pour l’aider…

Les oies caquettent pour encourager celles qui sont en première ligne et ainsi gardent la même vitesse de vol. Je prends alors conscience que tous les manifestations d’amitié qui m’entourent de près ou de loin depuis toujours, me rassurent et m’annoncent que mes amis sont là et que je dois compter sur eux. Et tout commence. Nous étions trois, ma dernière fille, ma sœur et moi. Ça va aller! Mon fils et sa fiancée m’annoncent alors qu’ils prennent la route le jour même pour se confiner avec nous. Ok! L’aile 1 se déclenche: Organisation. Je donne des directives pour les horaires, pour les rangements, pour le ménage, pour les petits travaux de maison et de jardinage. Moi qui remets tout au lendemain, tout va être impeccable. Je peux vous dire qu’aujourd’hui, je découvre un champs de pissenlits à la place d’un beau gazon. Des natures mortes sont posées dans multiples endroits de la maison… ici un tas de vêtements, ici des livres, ici des chaussures, des boutures de plantes ou encore un vélo.

Le chef de la volée, mon père, est parti dans la Vie Éternelle. Il eut la grâce de recevoir les derniers sacrements, le rapatriement de son corps auprès de Maman et de toute sa volée, entouré jusqu’au cimetière de ses enfants, de quinze de ses petits-enfants et sept de ses arrières-petits-enfants qui avaient pu rejoindre le vol, sans compter des amis si proches, véritables franges d’or dans ces nuages noirs. Le bruissement de nos ailes réunies nous a porté et soutenu lorsque l’un se sentait faiblir. De l’instant où il partit à l’hôpital pour déficience cardiaque (il n’y a pas de hasard…) et jusqu’à son inhumation, toutes les oies ont prit chacune sans exception la fonction et la position qui leur étaient attribuées. De près ou de loin, toujours dans la même direction et dans le même but.

Aujourd’hui, il y a des choix et des décisions à prendre, pas facile pour mon 9… Mais à travers ces événements douloureux, j’ai accueilli mes émotions en remerciant Dieu des qualités d’harmonie dont il m’a dotée. J’ai également appris à accepter mes défauts et à travailler sur le fait que décharger n’est pas abandonner, et qu’il fallait savoir compter sur chacun d’entre nous.

Apprivoiser la souffrance

APPRIVOISER LA SOUFFRANCE
Témoignage de confinement /23
par Perrine, de base 7 en survie

Quand le confinement a commencé, j’ai tout de suite réagi positivement« Le changement, pas de problème. On va s’adapter, créer. Je vais proposer des accompagnements en ligne, faire des ateliers, organiser des Skype, des apéros, trouver des moyens de garder tout le monde connectés et ensemble, apporter de la joie et de l’optimisme… »

J’ai rapidement mis en place une organisation, des règles, vérifié l’état des stocks pour faire la liste des approvisionnements nécessaires, réuni mon équipe pour leur donner des conseils et instituer un rendez-vous café virtuel et convivial tous les jours… J’étais connectée 10h/jour, débordante d’énergie, de projets, d’envies… Je jonglais sans problème entre mes deux métiers, la préparation de bons petits plats pour ma famille, les rendez-vous Skype le soir, les cours de yoga et la marche, cinq livres différents commencés…

Je n’étais pas très inquiète. Ce n’était qu’une période un peu différente à passer, une de plus car je vis au Liban où j’ai appris à manœuvrer avec une instabilité fréquente, mais tout irait bien. Et puis, je me considère très privilégiée en étant en couple et pas toute seule, en vivant dans un agréable appartement que nous avons aménagé comme un cocon, avec une belle terrasse fleurie…

Et puis, un jour, j’ai tout d’un coup compris que ce n’était pas si simple et que j’avais volontairement occulté ce qui pouvait être enfermant et douloureux. Quand j’ai réalisé le travail, sans moyens, des personnels hospitaliers dépassés, dont des amis, des membres de ma famille; la souffrance et l’isolement des malades qui mourraient seuls, et que cela pouvait arriver à mes parents, les gens que j’aime; que j’ai pensé à ma chère grand-mère en Ephad confinée dans sa chambre du haut de ses 99 ans… j’ai littéralement craqué. Les larmes ont coulé à flot, une tristesse immense m’a envahie et j’ai réalisé non pas dans ma tête, mais dans mon cœur, la réalité de la situation ou, du moins, certaines réalités liées à la situation…

L’angoisse aussi est arrivée, de me savoir enfermée dans ce pays que j’aime, qui m’a adoptée, que je considère comme mien, mais si loin de ma famille et de mes amis d’enfance… Les frontières fermées représentent une atteinte à ma liberté physique très douloureuse et anxiogène.

Je suis dans la gratitude d’avoir eu ce réveil, cette prise de conscience qui m’a permis de sortir de mes mécanismes de défense pour tendre vers plus de mesure, de stabilité et de sérénité. Depuis, et grâce à l’ennéagramme, j’accueille mes émotions et les jours sans. J’ai accepté d’avoir peur, d’être parfois triste. Et comme j’ose le dire, je sens comme un soulagement autour de moi. Sans doute mon entourage se sent plus accueilli aussi dans ses émotions. « Ah, même toi? Alors… C’est normal ? » Ces cœur-à-cœur sont puissants et doux, et tellement plus authentiques que cet éternel sourire qui peut être parfois un masque inconscient.

J’ai, à la fois, fait des choix au milieu des multiples options offertes (conférences, apéros, rendez-vous, cours en tout genre, films, livres…) en gardant un cours de yoga tous les jours, à la même heure, même si j’avais d’autres propositions alléchantes… Et j’ai aussi appris à lâcher-prise en ne mettant pas de réveil, en acceptant de travailler plus certains jours que d’autres, à refréner ma quête de plaisir et de zapping pour être là, pleinement, lors d’un Skype, d’un appel, même d’une heure. J’ai enfin réalisé que la liberté dont j’ai le plus besoin est celle de l’esprit et de l’âme. J’ai besoin de temps et d’espace calmes pour rêver, penser, imaginer, créer, méditer et prier. Et je suis d’autant plus disponible aux autres quand ils m’autorisent ces temps solitaires.

Et vous savez quoi? Que c’est bon de prendre le temps, de goûter aux plaisirs uniques et simples, d’avoir le cœur grand ouvert, d’être en lien, d’être à l’écoute des autres même dans la tristesse et la peur, de lâcher un peu la tête, les projections, les idées et de vivre maintenant, là, tout de suite, dans l’Espérance et la sérénité!

 

Reconnaître le nécessaire

RECONNAÎTRE LE NÉCESSAIRE
Témoignage de confinement /21
par Giovanna, de base 6 en social

Comme une base 6 prévoyante et clairvoyante, j’écoute avec attention les informations qui m’arrivent de ma famille en Italie. Je pense que ce maudit virus ne va pas s’arrêter aux frontières et que bientôt il arrivera chez nous. Je n’avais pas tort. Je commence à pratiquer les gestes barrière bien avant que ceux-ci soient imposés en France. Dès la fin février je nettoie, je stérilise, je ne touche plus rien au travail, je désinfecte mon bureau, les tables des cours, j’impose la distanciation sociale… Je me fais prendre pour une stressée car ici, tout va bien, la France va gérer, elle est prête. Je me méfie et j’en fais qu’à ma tête jusqu’au jour ou tout s’accélère et le confinement tombe comme un véritable coup de massue. Pour les autres, pas pour moi. Je m ‘y attendais et probablement mon deuil de la vie d’avant avait déjà commencé. Je n’ai pas cédé à aucune forme de panique collective: pas de folles courses pour remplir ma maison de conserves et papier toilettes, pas de plein de gas-oil, ni de boîtes de Doliprane. J’ai gardé un étrange sang froid et je me suis dit que je pouvais sûrement compter sur mon mari, que je pense être de base 1 en survie.

Rester confinée, enfermée chez moi… cela me faisait davantage peur. Cette idée m’a toujours rebutée. Je suis une 6, sociale et j’ai besoin d’être en contact avec les autres. Mon oxygène est de vivre avec et à travers les autres, au delà des confines étroits des quatre murs de ma maison. Comment y songer? Comment y arriver? Surprise: je me suis adaptée très vite avec un certain fatalisme que je ne me connaissais pas. Rester chez moi, avec mes hommes, ce n’est pas mal. Un mari que je ne voie pas souvent car toute la journée à Paris pour le travail, des grands garçons à l’école… et là nous sommes tous réunis, tous ensemble. Une nouvelle organisation se met en place, presque naturellement. Chacun crée son petit espace de travail pour étudier et télétravailler, le tout intercalé par des moments forts de partage. Les repas, les pauses détente, le sport, la musique, le film, une de mes grandes passions, ou la série adorée de mes enfants, le tout rigoureusement en famille avec de longs moments de réflexion et de discussion.

Ces occasions d’échanges et de partage se multiplient, les tensions s’assouplissent, nous allons revenir à l’essentiel et aux valeurs profondes de la vie. J’ai comme l’impression que ce confinement est en train de nous faire un grand bien. Je retrouve ma famille. C’est un sentiment fort accompagné de belles émotions. Je compense le manque de vie sociale en appelant souvent mes proches en Italie, mes amis et mes étudiants avec qui j’ai gardé le contact. Je me suis découverte capable de gérer l’informatique et je donne mes cours via Skype et d’autre logiciels de communication. J’enregistre des vidéos et des exercices vocaux. Tout est nouveau mais aussi excitant. Je ne cours plus, je me pose, je réfléchis, je savoure, je prends le temps et surtout, je ne me projette pas. Je vis le jour le jour et je goûte aux petits plaisirs que le quotidien m’offre. Avec gratitude et espoir.

Vittoz nous aide beaucoup dans tout cela. Chaque jour est vécu en acte conscient. Chaque jour a sa beauté et sa grâce et je remercie d’avoir la chance de vivre à Fontainebleau, au calme et entourée par cette belle nature. Une nature qui nous réconforte, nous apaise et nous montre avec délicatesse et justesse combien la vie est belle. Dans ma nouvelle havre de paix je ne me sens pas prisonnière mais libre, étrangement libre. Quelqu’un a écrit « La liberté, c’est savoir reconnaître ce qui est nécessaire », et bien je trouve qu’en cette période de confinement, nous avons le temps de réfléchir profondément à ce qui nous est vraiment nécessaire. Cette expérience ne nous laissera pas indemnes; je sens qu’au moment venu, nous allons quitter notre confinement, notre refuge, pour reprendre une vie qui ne sera plus la même et dans laquelle nous allons nous découvrir changés, plus forts et meilleurs.

La solitude, cauchemar ou salut ?

LA SOLITUDE FORCÉE, CAUCHEMAR OU SALUT ?
Témoignage de confinement /20
par Raphaëlle, de base 2

Aux premiers échos d’un confinement possible, quelle angoisse s’empare de moi… Plus personne à voir, plus personne à qui donner, plus personne de qui recevoir.

J’ai expérimenté pourtant, depuis quatre mois que j’ai quitté ma région d’attache pour arriver dans une nouvelle vie, combien je résistais mal aux semaines de solitude, seule avec mon bébé de 18 mois. Pas facile de quitter d’un coup la région parisienne, un groupe d’amis constitué depuis 15 ans, un métier passionnant et à responsabilités importantes, une vie trépidante, active, hyperactive même… La perspective un instant envisagée d’une période de retrouvailles en couple disparaît à l’annonce du maintien du travail de mon homme: en somme rien ne change, et tout change.

Rien ne change: il part aux mêmes heures, revient peut-être un peu plus tôt, la petite est toujours là, centre de nos journées, merveille à qui donner sans aucun retour, dans l’expression même de la gratuité maternelle, la maison, les travaux, le linge, les repas, et la petite vie qui grandit en même temps dans mon ventre qui s’arrondit. Et tout change: impossible de se ressourcer auprès des amies, des nouvelles connaissances qu’on voudrait approfondir, cette hantise de faire son trou dans une nouvelle région: qui va m’aimer, qui va m’accueillir? Je m’accroche à cette attente des preuves d’amitié, scotchée à mon téléphone comme à une planche de salut, guettant les messages d’amour comme autant de petites bouées de
sauvetage. Et ce confinement qui arrive au moment même où j’avais pris en main cette nouvelle vie, organisant journée après journée des rencontres, des retrouvailles, des découvertes… et me sentant tellement plus complète et épanouie.

Et puis soudain ce silence. Comme un repos, comme un soulagement, comme un grand souffle. C’est là que je découvre une nouvelle approche de l’autre. Oh ce n’est pas si facile. Ça passe par des jours de cafard, des coups de blues, des colères et des impatiences. Mais c’est réel. D’abord une mise à disposition: c’est si facile d’aider par téléphone un neveu qui galère sur son exercice de grammaire; de se mettre à l’écoute d’une amie vivant un confinement forcé en famille et qui est l’arbitre des conflits, de réfléchir à qui on peut envoyer un petit message de soutien. Ensuite une ouverture du cœur: mon autre n’est plus celui que j’avais choisi: la bonne copine bien sous tous rapports, de la même paroisse, de la même sensibilité, maman comme moi, avec qui je peux discuter; l’autre c’est le voisin bougon qu’on découvre délicieux, la voisine au drôle de look qui est enceinte pour un mois après moi, la petite vieille revêche qui craque devant ma fille et me parle de ses huit enfants.

Ensuite la prise de conscience de l’exigence d’un cadre: à la 2 dispersée, extérieure, avide d’expériences que je suis, apparaît comme un refuge cette maison en travaux que chaque jour embellit, ce coin de nature où la vraie vie continue, avec les herbes qui poussent, la terre qu’on retourne, les massifs qu’on crée et le soleil qu’on boit, cette montagne en arrière-plan, immobile et changeante, si sûre dans sa présence solide.

Un cadre et un rythme aussi, tellement plus facile à mettre en place dans ces journées sans engagement extérieur: grâce du rendez-vous de l’oraison quotidienne, où chaque lecture est comme une preuve de son unicité aux yeux de l’Autre.

Enfin la perception de sa faiblesse: à la 2 qui n’hésitait jamais à aller vers l’autre, qui était prête aux kilomètres, il faut de l’humilité pour reconnaître qu’on n’a pas tant besoin d’elle, ou qu’elle rechigne aussi aux services virtuels, tellement moins gratifiants…

Alors maintenant? Maintenant, la vie va reprendre, doucement. Et mon cœur s’élargit, se réchauffe et bouillonne à l’idée qu’il arrive, ce temps où l’on va tous les revoir. Creusé dans la solitude, le désir de l’autre est féroce, intense, et en même temps presque timide: on va s’aimer…

Mais le calme profond qui demeure en définitive est dû aussi à une certitude: l’amour profond, exigeant, inconditionnel que me porte celui dont je partage la vie, et dont l’expression pendant ce confinement vient de m’ouvrir des horizons insoupçonnés pour la 2 que je suis… Mais ça, c’est une autre histoire… à suivre…

Barbie fait sa thèse

BARBIE FAIT SA THÈSE
Témoignage de confinement /19
par Erika, de base 5 en tête-à-tête

Le confinement, c’était presque une promesse de bonheur. Cloîtrée chez moi, je me voyais déjà avancer mes travaux de recherche, lire tout mon soûl, mener une vie monacale, simple et authentique, débarrassée des atours que la société nous impose, gérant la pénurie avec
ingéniosité (je ne suis jamais autant inspirée que quand je n’ai presque rien), obéissant à une routine saine et salvatrice. Tel le Philosophe de Rembrandt, reclus près du foyer, je
m’adonnais déjà, par la pensée, à cette période béate (j’ai un peu honte de le dire).

Mais c’était sans compter l’immixtion brutale, dans mon univers austère, de Barbie et de son acolyte déchaînée, chair de ma chair, amour de ma vie mais petit poison ambulant, exigeant et bruyant: ma fille. Ce tête-à-tête ne m’a au départ pas fait trop peur: il est mon sous-type. Ma fille travaillerait pendant que je travaillerais, elle jouerait pendant que je travaillerais, elle dormirait douze heures pendant que je travaillerais. Nous vivrions en bonne intelligence, partageant régulièrement des moments de convivialité, de complicité. Où était le problème?

En réalité, rien ne s’est passé comme prévu et me voilà aspirant à un confinement plus strict
encore: une personne dans chaque pièce et pas de contact entre elles durant la journée. Parce que les mesures barrières, ma fille ne les connait pas. Confinée dans le mètre carré que
j’occupe et non contente de jouer les arapèdes, adhérant à leur rocher, elle n’est pas seule:
Barbie et sa troupe sont comme collées à elle, parlant fort, se souciant peu de mes sujets de recherche, montant à cheval (qui a le mauvais de goût de hennir et pire, de danser !!), en proie à des crises conjugales avec Ken et gérant avec peine (un comble!) les attentes et exigences de ses propres enfants.

Adieu discipline! Adieu solitude créative! Bonjour crise de nerfs! Me voilà contrainte de
com-poser. Aussi ai-je rapidement abandonné toute velléité d’écriture et de lecture pour passer
en mode Barbie. Nous étions en guerre! Avec l’entrain que j’aurais pu mettre dans mes
recherches, j’ai créé d’abord toutes sortes d’objets, d’éléments de mobilier: de la bibliothèque
design au canapé convertible de type Poltrone sofa en passant par l’aspirateur, le piano à
queue et le poêle à bois, j’ai fait feu de tout bois et ai recyclé frénétiquement tout ce qui me
passait sous la main, thésaurisant les boites en carton, les fonds de bouteille en plastique,
m’extasiant devant un bouchon ou une nouvelle conserve vide, déplorant rapidement la
pénurie de colle…

Au début, ma fille tâchait de faire des choses avec moi; mais très vite elle s’est aperçu qu’elle
n’avait pas le niveau d’exigence qui était le mien et c’est bientôt seule que j’ai continué de créer un univers fait de tout ce que je déteste: des marques, du luxe, du superflu. J’ai feuilleté et déchiré les pages de dizaines de magazine de déco hors de prix que mon conjoint entasse comme Harpagon entasse son or dans sa cassette. Chaque objet est unique, fait sans modèle, bidouillé avec trois bouts de ficelle. Mais les objets se juxtaposèrent bientôt sans trouver leur place. Alors j’ai eu l’idée de construire une maison: cinq chambres, dont une avec mezzanine, piscine à débordement, terrasse arborée, patio… J’ai personnalisé les sols de chaque pièce, conçu la décoration intérieure avec des lés de papier peint, des effets d’optique, des jeux de perspective: j’étais le nouveau Nouvel, le Léonard d’Arras, le Le Corbusier du carton recyclé. Je m’étais transformée en une savante folle passant des heures sur sa création (mais était-ce vraiment une transformation ?)… finalement seule: ma fille a déserté les lieux de mon invention, trop absorbée à jouer avec la future propriétaire des lieux ou pire à regarder des vidéo de bricolage… pour accessoires de Barbie.

Ce que je n’ai pas pu faire avec l’écriture, je l’ai donc fait avec les mains. J’ai transformé, sans
y prendre garde, une activité solitaire intellectuelle en une activité non moins solitaire
manuelle, si tant est qu’une telle dichotomie ait un sens: c’est tout l’objet de ma thèse de montrer le contraire… ma thèse de doctorat, elle, justement, n’avance guère. Du moins pas au
sens académique. Je projette donc, par la force des choses, de revoir mon sujet et de proposer à ma directrice de réfléchir aux conditions de vie de cette pauvre Barbie. Seule échappatoire
pour avoir quelque chose à dire quand le confinement sera enfin terminé et qu’on me demandera des comptes sur l’état d’avancement de ma recherche…

Barbiesquement vôtre,
Erika

A la recherche du temps perdu

A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU
Témoignage de confinement /18
par Marie-Liesse, de base 5

L’annonce du confinement a d’abord résonné en moi comme une promesse. Je l’ai envisagé avec régal en me frottant les mains d’avance de tout ce temps disponible, libre, sans contraintes, sans dérangements. Du temps pour moi, du temps pour mon couple, pour notre famille…

C’est inespéré de pouvoir envisager les semaines à venir sans sorties, sans sollicitations, sans pressions. Je vais pouvoir prendre le temps de me consacrer enfin à toutes ces choses qui m’attirent (lectures-couture-peinture…), sans culpabilité et sans devoir me justifier. Là où confinement rime pour beaucoup avec emprisonnement, moi je pense: Liberté! Lectures, couture, peinture, mes projets et aspirations m’apparaissent comme autant de possibles, pouvant enfin aboutir.

Je m’éparpille un peu (flèche 7?) et réalise rapidement que le temps qui nous est rendu reste malgré tout limité. Je vais devoir prioriser, et me consacrer de toute urgence aux révisions de mes cours et rédaction de mémoires. Je réalise tout-à-coup, qu’en bonne type 5, je n’ai fait que deux années de pause – non consécutives – dans les études, depuis l’obtention de mon bac il y a 15 ans. Je multiplie les formations complémentaires, ne me trouvant jamais assez informée, jamais assez rassasiée…

Et puis, l’engouement du début passé, je me retrouve confronté à la réalité du quotidien
confiné, qui m’apparaît terriblement chronophage. Plus encore qu’en temps normal, les
tâches ménagères me sont particulièrement lourdes et leur aspect répétitif m’assourdit. Ce
sont là de véritable petites croix, et je demande la grâce de savoir donner joyeusement,
largement, fidèlement. Les journées passent et j’attends toujours cet oasis du temps-perdu-enfin-retrouvé! La crèche fermée, ma petite fille demande une attention de chaque instant… je savoure bien sûr nos moments partagés, mais je me surprends à attendre sans cesse ce moment où, enfin, je serai SEULE. Je repense alors à cette avarice, démon de mon âme, et m’applique à renoncer sans aigreur, puisque l’Eternel bénit celui qui donne de tout son cœur.

Le piège du confinement? M’avoir fait croire que j’allais pouvoir me garder tout à moi,
m’avoir fait miroiter monts et merveilles de lectures, couture, peinture. Avoir signé un
chèque en blanc à ma soif de solitude, un chèque falsifié. Concrètement, je n’ai plus d’espace à moi. Aux alentours de Pâques, j’étouffe. J’ai besoin de me retrouver, seule. J’ai besoin d’être seule pour penser, pour savoir où j’en suis et refaire mes forces. Et puis je n’en peux plus de notre quartier bétonné. La montagne se fait si belle avec le retour du printemps, nous l’apercevons à chaque fenêtre de notre appartement! J’ai aussi besoin de nature, d’horizons. Et cette attestation qui me donne des boutons! Je ne supporte pas de devoir rendre des comptes, je sens gronder en moi la révolte (flèche 8?).

Je revis lorsque des amis voisins partis se confiner au vert, nous prêtent leur appartement
dans lequel je peux m’isoler pour travailler de temps en temps. Je ne suis jamais aussi
efficace que seule. Un jour, bien encouragée par mon mari, je décide de me remettre au sport et d’aller courir. Quel bienfait! J’essaie de garder le rythme depuis, et de faire de temps en temps quelques respirations Vittoz, en pleine conscience de mon corps. Voilà mon petit chemin d’incarnation. Disons que le confinement en aura fait une urgence.

La date du 11 mai agit comme une piqûre de rappel, un compte à rebours… J’appréhende le
flux des dîners et autres sorties autant que je les espère… Oui, j’ai hâte de retrouver ceux
que j’aime, d’échanger et de partager, mais c’est plus fort que moi, je me prépare déjà à l’assaut…

Tout avait bien commencé !

TOUT AVAIT BIEN COMMENCÉ !
Témoignage de confinement /17
par Dominique, base 4 en social

Tout avait bien commencé !

Le tragique était au rendez-vous charriant sa dose d’émotions assurée. Des infos non-stop, la concorde nationale. Des appels réguliers tendres et protecteurs. Les enfants, les amis, tous confinés, tous immanquablement joignables enfin. Joie!

L’éternel et inconfortable tiraillement entre mon type 4 aile 5 (individualiste et volontiers solitaire) et mon sous-type social (soucieux de ne faire défaut à personne) n’avait plus lieu d’être, puisque je n’avais plus le choix. J’étais confinée, j’étais comme tout le monde, et donc à ma place assurément.

La beauté était là tout autour de moi, le printemps nullement décevant. Les pierres de tuffeau, ces écrins de lumière, dormaient dans le calme des rivières de l’Anjou. Les promenades solitaires auguraient d’une vie intérieure augmentée, densifiée. Je ne ressentais aucune nostalgie de la ville, de ses restaurants et de ses spectacles puisque, mes amis n’y étant plus, je ne manquais donc pas au monde et le monde ne me manquait pas.

Il ne s’agissait plus que de respirer, de contempler et de remercier…

Comble du luxe, hébergeant un ami prêtre confiné chez nous, nous avions la possibilité d’assister à la messe tous les jours quand tant d’autres en étaient privés, même le dimanche. J’allais grandir assurément…

Oh je n’étais pas tout à fait dupe de moi-même: mon portable était toujours à portée de main et dès 18 heures, quand les débats se faisaient vifs, que la castagne reprenait ses droits, la télé à fond m’assurait l’intensité émotionnelle dont j’avais besoin pour compenser la monotonie de la préparation des repas. Et malgré le sinistre visiteur du soir et son chapelet de mauvaises nouvelles, pour être honnête, j’y trouvais mon compte. Et puis la bonne conscience était de mise puisque travaillant pour un mensuel d’informations il fallait bien que je m’informe…

Mais les nuits! Quelle épouvante que ces nuits. Plus de répit, plus de bonne conscience et encore moins de paix. Un boucan incessant. Mozart et Montherlant se donnent rendez-vous à mon chevet; mille statues du commandeur semblent me siffler : « En prison ! En prison pour médiocrité! » Peloton d’exécution, guillotine, je suis coupable de désertion, jugée pour haute trahison. Sentiment de culpabilité… Où est ma faute? Où ai-je failli? Quand ai-je manqué au monde?

Allez, allez, réveille-toi ma grande et debout! Il est trop tard pour t’improviser infirmière ou boulangère, trop tard pour rejoindre les rangs des braves, des vaillants, de ceux qui ne manquent jamais au monde. Debout, reprends ta place de confinée.

Respire, contemple, et souviens-toi de remercier!